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« Chaque jour Dracula » par Clément Lefèvre et Loïc Clément

31/05/2018
Par Laurent Lessous

Tout comme la liberté d’expression, le droit à la différence semble aller de soi dans nos démocraties. Or, on le sait, dans les cours de récréation, certaines différences sont sujettes à moqueries, humiliations voire causes de harcèlement. Avec un décalage intelligemment mis en scène, cette bande dessinée nous donne réfléchir sur le cas du petit Dracula, garçon différent, victime de harcèlement dans une école contemporaine.

Le célèbre Dracula a été un enfant comme les autres… ou presque ! Car, pourtant bon élève, il se rend toujours à l’école avec une boule au ventre. Ce n’est pas sa maitresse, le gentille mademoiselle Stoker, qui est la cause de ses tourments somatiques mais quelques garnements de sa classe. Trois petits caïds le harcèlent méchamment parce qu’il a les yeux rouges, les dents trop longues, un teint trop pale et qu’en plus il est le meilleur élève de sa classe.

Chaque jour Dracula

Les brimades se succèdent de plus en plus méchantes. Le petit vampire se réfugie dans un mutisme complet quand il rentre chez lui, une façon de laisser le mal à l’extérieur. Un soir, pourtant, il s’en ouvre à son père. D’une faible voix il lui avoue que, parfois, on l’embête à l’école. Le vieux Vlad prend du temps pour parler à son fils. Calmement il lui explique qu’il doit être plus intelligent que ses tourmenteurs qui sont, sans doute, des gens malheureux.

Gonflé à bloc, Dracula retourne à l’école. Il ose enfin affronter Christophe et sa bande, les yeux dans les yeux. Mal lui en prend : « Cette fois-là, la violence atteint un palier supplémentaire, celui de trop, celui qui marque et laisse des séquelles… ». Mais l’histoire ne s’arrête pas là, bien aidé par des adultes réceptifs, l’écolier modèle sait faire preuve de résilience. Il retourne calme et déterminé dans le groupe scolaire et là, fort de son expérience il parvient à triompher de se harceleurs.

Le bébé chauve-souris de Dracula

Quel petit bijou d’intelligence narrative et graphique nous avons là. Tout en subtilité, empathie et grâce, Loïc Clément développe un récit décalé, à la fois amusé et grave. Grave car le sujet du harcèlement est sérieux, amusé par le décalage entre ce que l’on connait du monde des vampires et les tourments que subit un tout jeune Dracula, inoffensif mais pas apeuré.

Le scénariste explique sa démarche ainsi : « Ce livre a été alimenté par mes nombreuses lectures et visionnages de témoignages sur le harcèlement. J’ai souvent eu l’impression que les parents et l’enfant se dépatouillent un peu seuls dans ce genre de cauchemar. Je ne suis pas un expert mais j’ai essayé d’aborder de façon constructive ce fléau. Tenter de résoudre, même dans une fiction, le problème du harcèlement scolaire par la magie ou une pirouette scénaristique me semblait un écueil à éviter. Aussi, ai-je beaucoup échangé pour traiter de la meilleure manière possible, le parcours intérieur de la victime. »

Le graphisme doux, de Clément Lefèvre apporte une grande sensibilité à ce récit à hauteur d’enfant qui aborde avec beaucoup de délicatesse les moments les plus délicats de la vie de souffre-douleur ; quand il faut en parler à ses parents, la réaction des parents et celles des autres enfants jusqu’au moment magique où la victime réussit à se délivrer de l’emprise de ses tortionnaires.

Nous avions déjà signalé le talent des deux auteurs dans des œuvres telles « Chaussette », « Le Voleur de souhaits » ou « L’Épouvantable Peur d’Épiphanie Frayeur ». Les lecteurs attentifs retrouveront dans le fruit de leur dernière collaboration des clins d’œil à leurs ouvrages précédents ainsi qu’au monde des vampires ; du nom de la professeure des écoles : Stoker comme celui du romancier créateur du mythe Dracula à une galerie de vampires célèbres en fin d’ouvrage.

Après « Seule à la récré », le fléau du harcèlement est abordé de nouveau intelligemment en bande dessinée avec « Chaque jour Dracula », un conte moral fort, poétique qui amène doucement les lecteurs de tous âges à accepter les différences pour mieux vivre ensemble.