Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Azimut T4 : Nuées noires, voile blanc » par Jean-Baptiste Andreae et Wilfrid Lupano
Selon un vieux proverbe : « Si nous tuons le temps, celui-ci nous le rend bien. ». Sur terre sans aucun doute, mais pas dans l’univers de la série déjà culte « Azimut ». Tous les personnages luttent contre le temps qui passe, certains avec un succès qui s’amenuise … avec le temps. Un jeu absurde et meurtrier contre la montre est engagé. Sans perdre son temps, le lecteur fidèle entrevoit les ultimes révélations grâce aux indices savamment distillés par les maîtres du temps : Wilfrid Lupano au scénario pour le somptueux dessin de Jean-Baptiste Andreae
Nous vous avons entretenu dans cet article (« Azimut T3 : Les Anthropotames du Nihil» par Jean-Baptiste Andreae et Wilfrid Lupano) de la très grande qualité des trois premiers volumes de la série « Azimut ».
Dans un univers qui tient d’un absurde merveilleux à la Lewis Caroll se croisent des personnages pour qui la question du temps, qui passe douloureusement, est au cœur des préoccupations.
Le farfelu professeur Aristide Breloquinte est à la recherche d’un monde où la vieillesse et la mort n’existeraient pas. Comme la planète sur laquelle il débarque a perdu le Nord, il sombre dans les méandres de l’espace-temps.
Pendant ce temps, la très pulpeuse Manie Ganza est promise à devenir la cent troisième épouse du grand mamamouchi du désert Baba Musiir, si son amoureux, le poète Eugène, aidé du major Oreste Picote ne peuvent l’empêcher.
Le temps continue de filer inexorablement, mais pas pour tous avec l’action nocturne du mystérieux arracheur de temps.
Ce quatrième volume commence au cœur de l’horloge du temps. La gigantesque machine dysfonctionne car le chevalier a réactivé le dieu-machine. Une énorme femme qui baigne nue dans un liquide laiteux passe son temps à fabriquer des oiseaux mécaniques. C’est elle qui est alimentée depuis des lustres en substemps par son homme : l’arracheur de temps. Or l’éternité lui pèse, elle se soupçonne une rivale, elle qui était auparavant si belle. Mais ce vieux portrait qui la représente, n’est-ce pas la belle Mani Ganza. Décidément, le temps nous joue bien des tours !
Pendant ce temps, dans une cité orientalisante, Mani, en déshabillé vaporeux, s’apprête à rentrer contre son gré dans le harem de « l’étalon érotique », le bedonnant Baba Musiir. Celui-ci échappe aux griffes de l’arracheur de temps car il prend chaque jour une « antidatte » de son mythique palmier antidattier. C’est pour cela qu’il ne dort jamais et qu’il règne sur le désert. C’est la terrible reine d’Éther, la propre mère de Mani, qui la délivre de ce mariage forcé. Mais pour ce faire, elle a libéré les nuées noires, des forces maléfiques que nul ne peut contrôler. Rien ne doit l’empêcher de se venger de la beauté de sa fille. Elle ne supporte pas les outrages du temps.
On retrouve aussi dans ce récit choral bien maîtrisé d’autres personnages importants comme le major Oreste Picote et Eugène qui se retrouvent prisonniers des glaces, sous un bateau, après la terrible colère du pôle Nord, un lapin (!), désespéré par la vitrification de sa bien-aimée, une gigantesque et bienveillante dame en sable. Bloqués combien de temps ? Ils aimeraient bien le savoir, un petit laps de temps sans aucun doute, mais c’est quoi exactement un laps ? La réponse dans le tome 5 d’ « Azimut ».
La série foutraque de Lupano et Andreae est une des réussites les plus intrigantes du moment. Le scénariste de « Les Vieux Fourneaux » mêle avec un talent consommé diverses influences d’« Alice aux pays des merveilles » de Lewis Carroll à « Peter Pan » de J. M. Barrie, pour créer un univers personnel particulièrement inventif marqué par l’absurde et le non-sens. Il y ajoute ses propres obsessions sur la fuite du temps, la peur de la mort et du vieillissement et la finitude de tout amour, même immortel.
Lupano maîtrise toutes les subtilités de son art avec des actions parallèles qui se rapprochent tellement qu’elles sont imperceptiblement en train de se rejoindre. Le graphisme de Jean-Baptiste Andreae magnifie un récit d’une grande intelligence. Le Bordelais travaille à l’ancienne, avec du papier et des encres acryliques qu’il dilue pour éclaircir. D’où des couleurs subtiles, parfois improbables, sur des dessins d’une grande finesse avec moult détails qui se révèlent, au fur et à mesure du récit, significatifs.
Pour ceux qui ne connaissent pas encore Mani Ganza et tout le monde d’ « Azimut », plus de temps à perdre mais beaucoup de plaisirs à gagner à la lecture d’une « magnifique fable métaphorique, mélancolique, mais surtout fantastiquement amusante », comme nous l’écrivions pour la sortie du tome 3. Décidément, le temps semble avoir suspendu son vol pour la parution de tous les volumes de la série.
« Azimut T4 : Nuées noires, voile blanc » par Jean-Baptiste Andreae et Wilfrid Lupano
Éditions Vents d’ouest (13,9 €) – ISBN : 978-2-7493-0848-7
Juste un détail mais de taille(!) Pourquoi classer cet ouvrage en BD jeunesse? Quelque chose m’échappe !…
Pas d’images choquantes, de l’aventure, du fantastique, tout pour intéresser un jeune public dès l’âge du collège.
D’ailleurs le tome 1 d’Azimut était dans la sélection jeunesse du festival d’Angoulême de l’époque et a concouru pour le prix BD des collégiens.
La série de Lupano et Andreae a donc toute sa place dans notre rubrique jeunesse. Bien cordialement.
Merci pour votre réponse, m. Les sous, cordialement aussi
La question est légitime ; elle anime les coulisses des éditeurs pour la jeunesse lors du présent festival d’Angoulême. Le fauve jeunesse est attribué par un jury composé d’enfants de 9 à 12 ans. Il est complété par le prix des écoles pour les 6 -11 ans et le prix des collégiens pour les 11 – 15 ans. Certains voudraient un prix spécifique pour les primo – lecteurs attribués par les professionnels. Nous nous intéressons dans cette rubrique aux BD pour les plus petits comme les BD muettes jusqu’aux ouvrages pour les 3èmes de 15 ans.