Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...L’Épatant d’avant-guerre (deuxième série 1937-1939) : huitième et dernière partie
Huitième partie d’un imposant dossier de Michel Denni sur le magazine L’Épatant, publiée à l’origine (sans les illustrations et sans la mise à jour), dans l’ultime numéro de la revue spécialisée Le Collectionneur de bandes dessinées : le n° 113-114 d’octobre 2008. On y parle de Albert-Georges Badert, George Clarlis, Mat, Eu. Gire, Jen Trubert, Raoul Thomen, Roger Melliès, Ham Fisher, René Pellos, Jean Ferraz, Auguste Liquois, Rodaly… Des auteurs bien oubliés aujourd’hui…
Pour consulter les premières parties, cliquez ici : L’Épatant d’avant-guerre (première série 1908-1937) : première partie, ici L’Épatant d’avant-guerre (première série 1908-1937) : deuxième partie, ici L’Épatant d’avant-guerre (première série 1908-1937) : troisième partie, ici L’Épatant d’avant-guerre (première série 1908-1937) : quatrième partie, ici L’Épatant d’avant-guerre (première série 1908-1937) : cinquième partie, ici L’Épatant d’avant-guerre (première série 1908-1937) : sixième partie et ici L’Épatant d’avant-guerre (deuxième série 1937-1939) : huitième et dernière partie.
Les Pieds nickelés gentlemen cambrioleurs en petit format
Au n° 61 du 27 octobre 1938, terminé le format moyen. On revient frileusement au 20 x 26 cm que l’on n’aurait jamais du quitter, laissant au n° 83 de L’As le soin de continuer toutes les bandes d’aventures : « Le “Bison noir” du Far–West », « La Vie héroïque de Mermoz », « Dans l’empire des Incas », « L’Ennemi du monde » et « Le Signe sanglant ».
Seules les humoristiques survivent, à savoir « Popol le joyeux pompier » et « César-Napoléon Rascasse » auxquelles vont s’adjoindre « Les Pieds nickelés » et « Les Aventures acrobatiques de Charlot ». C’est donc un nouvel Épatant à cent pour cent d’humour qui va redémarrer en cette fin octobre 1938, avec quatre bandes comiques et des blagues illustrées par George Clarlis.Le rédactionnel présente par ailleurs deux pleines pages du supplément « La Patte de thon » rempli d’histoires drôles et de petites annonces loufoques.
« Nous revoilà ! … » s’inscrit en rouge en première page au-dessus des trois têtes joviales des Pieds nickelés.
C’est Albert-Georges Badert, évoqué précédemment, qui reprend leurs aventures commencées par Perré.
Ils viennent de terminer leur croisière en Méditerranée, après avoir revendu à un armateur marron le yacht qu’ils avaient volé.
Sous le crayon de Badert, ils vont quitter leur côté voyou gouailleur pour devenir des gentlemen cambrioleurs distingués, un peu ridicules.
Mais rien à faire ! Les Offenstadt, décidément indécrottables, continueront jusqu’à la fin de L’Épatant de commenter les images avec un texte de quatre lignes plus encombrant qu’autre chose.
Autre bande comique, « Les Aventures acrobatiques de Charlot » de Raoul Thomen (1876-1950) ont débuté dans Le Cri-Cri en 1921, sont passées dans Boum ! (1937), puis dans L’As (1937-1938) qu’elles viennent de quitter au n° 82.
Il s’agit évidemment du personnage créé au cinéma par Charlie Chaplin, comme acteur, en 1914 : voir aussi l’article d’Henri Filippini sur BDzoom.com : Charlot a cent ans !.
Doué d’une étonnante virtuosité graphique, Thomen, qui a passé sa vie à concevoir des personnages farfelus et un bestiaire des plus délirants, ne pouvait qu’être à l’aise avec ces aventures acrobatiques agrémentées de quelques bulles. (1)
Treize albums du « Charlot » de Thomen ont été publiés par la S.P.E. entre 1926 et 1935, puis réédités chez le même éditeur de 1947 à 1953.
Au n° 67, en décembre 1938, Roger Melliès (1901-1969) fait son entrée au journal avec « Police de l’air », mettant en scène des bandits attaquant en hydravions biplaces les grands courriers aériens au-dessus de l’Atlantique.
D’abord en noir et blanc, puis en couleurs, la bande restera inachevée au n° 104 et dernier de L’Épatant. À l’aube d’une longue carrière, Melliès publie, à la même époque, « Pilotes des sables » dans Pierrot (1939), avant d’être fait prisonnier pendant la guerre et de ne reprendre son activité qu’en 1944. Il se fera alors connaître aux éditions Artima avec « Luc Hardy », « Tex Bill », « Tony Cyclone », etc.
S’appuyant sur une documentation extrêmement précise, il deviendra avant tout un auteur d’aventures, notamment aériennes, servi par un dessin réaliste d’une rare élégance avec des jeux d’ombres et de lumière parfaitement maîtrisés.
Les jeunes lecteurs des années cinquante apprécieront notamment ses superbes couvertures en couleurs exécutées au pinceau pour les mensuels Aventures film ou Dynamique des éditions Artima.
Quatre mois passent et, au n° 85, en avril 1939, une bande sportive apparaît : « Kid Patouillard poids lourd » intitulée « Joe Palooka » aux États-Unis.
L’histoire conte les démêlés d’un boxeur candide affrontant parieurs véreux et autres mauvais garçons dans un dessin semi-réaliste, à la limite de la caricature.
La bande a été créée en 1928 par Ham Fisher (1901-1955), en strips quotidiens.
Puis ont suivi des planches du dimanche à partir de 1930 distribuées par le McNaught Syndicate, toujours signées Ham Fisher, mais avec le concours de Moe Leff, Al Capp et Phil Boyle.
Après le suicide de Fisher à New York, en 1955, « Joe Palooka » sera repris par différents dessinateurs et scénaristes jusqu’en 1984.
Dernier sursaut comique avec « Les Cinqs sous de Lavarède », « Baby Pancrace », « Monsieur Petipon » et « Le Brigadier Petitetête »
En juin 1939, au n° 93, quatre nouvelles bandes font leur apparition dont « Les Cinq sous de Lavarède » d’après le film de Maurice Cammage qui vient de sortir sur les écrans parisiens, avec Fernandel et Josette Day dans les principaux rôles.
Le scénario est tiré du roman de Paul d’Ivoi (1856-1915) et d’Henri Chabrillat. Créé dans Le Petit Journal en 1893, il a été édité en volume l’année suivante. Lavarède, en l’occurrence Fernandel, doit faire le tour du monde en cent jours avec pour toute fortune une pièce de cinq sous s’il veut toucher l’héritage de son oncle. René Pellos (1900-1998) a concocté une superbe couverture où notre comique national, toutes dents dehors, fait de l’équilibre sur une pièce de 25 centimes (5 sous) au n° 93. Il s’agit d’une histoire en images, sans bulle, avec texte et couleurs sur les deux pages centrales.
Pellos travaille surtout à l’époque comme illustrateur dans la presse sportive depuis 1931, mais il a abordé la bande dessinée en 1937 avec « Monsieur Petitpon » dans Jeunesse magazine, puis dans Pierrot. Toujours en 1937, il a créé la célèbre fresque de science-fiction « Futuropolis » dans Junior dont les cadrages audacieux innovent pour l’époque. Après la guerre, il donnera naissance à « Durga Rani » dans Fillette et surtout à la nouvelle version des « Pieds nickelés » qui, débutant en 1948, se prolongera sur plus d’une centaine d’albums jusqu’en 1988.
En même temps que Lavarède, sort « Le Brigadier Petitetête » : une bande policière loufoque réalisée par Jean Ferraz.
Nous avons déjà évoqué cet auteur dans notre étude sur la première série de L’Épatant où il a publié une bande comique : « Dudule est verni », début 1937. Il s’est fait connaître comme illustrateur humoriste dans Jeudi, en 1931. Puis il a travaillé dans Gens qui rient (1934), Midinette (1935) et La Vie de garnison (1937). En noir et blanc sur une page, ce brigadier finement dessiné avec des gags tout à fait dans l’air du temps loufoque de l’époque restera malheureusement inachevé au n° 104 et dernier de L’Épatant. (2)
Toujours au n° 93 paraît « G. Man 25 », dont l’action se situe aux alentours de New York. Des gangsters possèdent un rayon mystérieux qui pulvérise le fer. Un policier, James Scott, matricule G.M. 25, se fait enfermer à la prison de Sing-Sing afin de les infiltrer.
Avec une utilisation judicieuse des jeux d’ombre et de lumière, Auguste Liquois (1902-1969) dessine cette bande policière de science-fiction. Il a commencé comme illustrateur dans Gai-Paris en 1930, puis signé sa première bande dessinée dans Boum en 1937, avec « Coco de la Lune ». Il travaille également à l’époque dans Pierrot avec « À travers les mondes inconnus » (1938) et « Méridien 60 » (1939).
Pendant la guerre, il réalisera « Le Signe du jaguar » dans Junior, des récits complets dans Les Cahiers d’Ulysse, puis publiera en 1943, au Téméraire, la bande pronazie « Vers les mondes inconnus », suivie l’année suivante par Zoubibette dans Le Mérinos qui ridiculise la Résistance. Mais il exécute sans vergogne un grand écart politique à la Libération avec « Fifi gars du Maquis » dans le journal procommuniste Vaillant, tout en fondant avec Alain Saint-Ogan le Syndicat des dessinateurs de journaux pour enfants. Par la suite, il œuvrera avec talent dans la bande dessinée, notamment de science-fiction, avec « Guerre à la Terre » (1946), « Salvator » (1947), « Satanax » (1948), devenant par ailleurs un peintre figuratif apprécié à partir de 1959 avec des expositions à Paris, Londres, Los Angeles, etc.
Quatrième et dernière bande à paraître au n° 93, « Baby Pancrace athlète complet », en dernière page couleurs, est une nouvelle réalisation comique due à l’infatigable Mat qui publie déjà, dans L’Épatant, « Le Brigadier Petitetête » et « Les Extraordinaires Aventures de César Napoléon Rascasse ».
Variations humoristiques avec graphisme ultra caricatural sur un professeur de culture physique complètement déjanté engagé par le roi de Soude au bénéfice du jeune prince Bicarbonate (de Soude). Ainsi va l’humour en ce milieu de l’année 1939.
Extravagant évidemment, d’autant que depuis le n° 67 du 8 décembre 1938, le simili supplément « La Patte de thon » sous-titré « Le Quotidien hebdomadaire Leplurelu » s’est adjoint un concurrent : « Le Taon à la patte ». Les deux responsables respectifs des publications, Adhémar Biquet et le comte Jules de la Gloseille, vitupèrent l’un contre l’autre à longueur d’éditoriaux, faisant assaut de loufoquerie.
Mais le 24 août, L’Épatant s’arrête au n° 104, « La Patte de thon » s’exclamant : « E finita la comedia ! » ; et son vis à vis « Le Taon à la patte » : « En l’an 2000, on ne rigolera pas tous les jours ! » Un encart en page 10 annonce la fusion avec L’As. Sur les huit bandes qui composent ce dernier numéro, trois restent inachevées (« Police de l’air » de Melliès, « Le Brigadier Petitetête » de Mat et « G. Man » de Liquois), deux s’arrêtent normalement (« Baby Pancrace » de Mat et « Kid Patouillard » de Ham Fisher) et trois se continuent dans L’As : « Les Pieds nickelés » de Badert et « Les Cinq sous de Lavarède » de Pellos.
C’est la fin d’une aventure journalistique hors du commun qui, débutant en 1908 dans la blague et le burlesque avec « Les Pieds nickelés », se termine trente ans plus tard dans la loufoquerie la plus extravagante avec Pierre Dac et autres Bill Holman.
Il faudra attendre 12 ans, le 19 avril 1951, pour voir renaître L’Épatantdans une nouvelle version plus anodine qui se révélera, d’ailleurs, un échec éditorial et financier. (3)
Mais, malgré cela, le souvenir du grand ancêtre sera tel que d’autres tentatives de résurrection suivront en 1967 et 1981, malheureusement sans plus de succès, laissant à chaque fois un goût amer aux fervents admirateurs de l’esprit loustic.
Michel DENNI (qui remercie Claude Guillot et Jean-Claude Blanc pour le prêt de leur collection)
Mise en pages et mise à jour du texte : Gilles Ratier
Merci aux sites http://www.bd-nostalgie.org et https://www.lambiek.net où nous avons trouvé quelques couvertures ou illustrations de L’Épatant qui nous ont permis d’illustrer dignement certains passages de cet article.
Sur cette période, voir aussi Les grands auteurs de la bande dessinée européenne, troisième chapitre. Vous avez dit phylactères ? : humour à la page et feuilletons de longue haleine… et Les grands auteurs de la bande dessinée européenne, quatrième chapitre. Américanisation à volonté et deuxième salve de périodiques pour enfants….
(1) Sur Thomen, voir les études de Claude Beylie et René Gaulard in Le Collectionneur de bandes dessinées n° 92.
(2) Sur Jean Ferraz, voir Le Collectionneur de bandes dessinées n° 103 page 20.
(3) Sur les différentes résurrections de L’Épatant, voir nos études dans Le Collectionneur de bandes dessinées n° 37 et n° 38.