Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Haïda, l’immortelle baleine » par Yann Dégruel et Séverine Gauthier
Et si le monde immuable des hommes disparaissait ? Comment empêcher l’impensable ? Comment guérir l’immortelle baleine, sur le dos de laquelle vivent les hommes, et qui se meurt ? Sévérine Gauthier le sait, ayant tiré un conte délicat d’une légende amérindienne.
Scénariste reconnue de la bande dessinée jeunesse, avec des titres comme « Aristide broie du noir », « Cœur de pierre », « Garance », « Mon arbre » ou sa série « Couette », Sévérine Gauthier s’intéresse aussi aux cultures de l’Amérique précolombienne. Sa série « Washita » fait ainsi la part belle aux légendes indiennes, en contant la quête d’un guerrier Cherokee pour trouver l’origine du mal mystérieux qui ronge la nature.
Elle utilise ses connaissances sur le sujet dans « Haïda, l’immortelle baleine » : une belle bande dessinée, poétique et très inventive.
Sur le littoral du Pacifique, l’archipel Haida Gwaii — au large du Canada — a longtemps abrité une nombreuse population amérindienne, vivant de la pêche et de la chasse. Leur civilisation, connue pour leurs sculptures traditionnelles et leur art graphique à base de figures géométriques colorées, s’est construite sur des mythes originaux. Le principal est raconté au début de la bande dessinée.
À l’origine du monde, il n’y avait qu’un gigantesque océan, et Corbeau qui flottait au milieu de l’immensité, assis sur le dos de l’immortelle baleine appelée Kùn. Corbeau ordonna à Kùn de se changer en terre et de se diviser. La plus petite partie devint l’île des Haidas, qui vivent donc toujours sur le dos de la baleine.
Beaucoup plus tard, les Indiens s’inquiètent de la montée anormale de la mer. Le trait de côte recule chaque jour, jusqu’au moment où leur village est inondé à marée haute. Dans le même temps, un jeune garçon, Taan, et son amie, Nizhoni, découvrent une femme mystérieuse sur le rivage. Elle demeure songeuse, le regard perdu dans le lointain, et quand l’océan touche ses pieds, elle se recule. Mais plus elle se retire dans les terres, plus le niveau marin s’élève. C’est grand-père Ts’ang qui leur indique la procédure à suivre pour sauver le village et découvrir qui est cette intrigante naïade.
Les deux enfants vont suivre, sous les eaux du Pacifique, la mystérieuse dame qui n’est autre que l’épouse de Kùn. La baleine est bien malade, mais les jeunes Amérindiens trouvent le moyen de soigner un cœur que Corbeau attaquait. C’est Ts’ang, le vieux chaman, qui tire la morale de l’histoire : « Les cœurs guérissent toujours, ils cicatrisent et parfois, les cicatrices les rendent plus beaux, plus forts, et plus vivants qu’avant. »
Ce conte initiatique respecte la géographie et l’histoire. On peut y apprécier aussi bien la beauté des paysages des îles de la Colombie-Britannique, que les réalisations artistiques et culturelles du peuple Haida, leurs mats totémiques et les sculptures traditionnelles.
Le graphisme coloré, rond et réaliste, de Yann Dégruel accompagne les méandres narratifs du conte. L’auteur interprète joliment les dessins haidas, dans les scènes de légendes, et il sait être d’une précision remarquable pour décrire le village amérindien ou les paysages du nord-ouest du Canada.
Cette bande dessinée charmante et sensible touchera un large public, des jeunes lecteurs aux adultes intéressés par les mythes des autres civilisations.
À noter que l’île des Haidas a déjà servi de décor à une bande dessinée francophone pour la jeunesse. La trente-huitième aventure de Yakari, « La Tueuse des mers » se déroulait en effet chez ce peuple de pêcheurs.
Un dernier mot, enfin, pour signaler la sortie de « L’Homme montagne », une autre BD pour la jeunesse scénarisée par Sévérine Gauthier. Ce conte, tendre et lyrique, autour du voyage initiatique d’un jeune garçon, qui doit accepter la disparition d’un être cher, est porté par le trait chaud et vivant d’Amélie Fléchais. Nous espérons vous avoir donné l’envie de lire les bandes dessinées scénarisées par la talentueuse Sévérine Gauthier. Elles transmettent toutes, avec beaucoup de tendresse, émotions et valeurs universelles, telle la solidarité entre les générations et les liens indissolubles entre les hommes et leur environnement.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Haïda, l’immortelle baleine » par Yann Dégruel et Séverine Gauthier
Éditions Delcourt (10,95 €) – ISBN : 978-2-7560-5391-2
« L’Homme montagne » par Amélie Fléchais et Séverine Gauthier
Éditions Delcourt (10,95 €) – ISBN : 978-2-7560-5439-1