Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...« Billy the Cat : l’intégrale T1 » par Stéphan Colman et Stephen Desberg
De nouveau proposé ce mois-ci en intégrale par Dupuis dans ses collections patrimoniales (1), « Billy the Cat » demeure comme l’une des plus belles réussites scénaristiques et graphiques des années 1980 et 1990, dont l’émotion ne s’est pas envolée au fil des années. Apparue une première fois dans les pages du Journal de Spirou dès 1981, cette série renaîtra en 1989 au profit d’une première aventure intitulée « Dans la peau d’un chat » : Billy Colas, un jeune garçon odieux notamment envers les animaux, se fait subitement renverser par une voiture. L’au-delà lui ayant offert une seconde chance, il sera ramené à la vie sous l’apparence d’un bien faible chaton, devant dès lors surmonter tous les dangers et accomplir assez de bonnes actions pour espérer redevenir un jour humain…
Au seuil des années 1980, la série « Billy the Cat » naît de la rencontre entre le scénariste bruxellois Stephen Desberg (né en 1954) et le dessinateur liégeois Stéphan Colman (né en 1961). Rappelons que Desberg vient alors tout juste de commencer en 1978 sa carrière aux côtés de Will et Tillieux, qui l’ont chargé d’imaginer de nouvelles aventures du fameux duo « Tif et Tondu », héros qu’il reprendra complètement à partir de 1980 (« T28 : Métamorphoses »). Dès 1978, Desberg créé également « Mic Mac Adam » avec André Benn, avant d’imaginer la première trame de son futur « Billy the Cat ». De son côté, issu d’une famille d’artistes (un grand-père peintre (Robert Crommelinck) et une grand-mère décoratrice), Colman s’est assez naturellement passionné pour l’art graphique. Après avoir rencontré Jijé en 1976, Colman suit les cours de l’académie des Beaux-Arts de Liège puis enchaîne quelques travaux pour le journal rock En attendant ou le fanzine Aïe (il côtoie d’autres auteurs en devenir, tels Ptiluc, Geerts, Dupuy et Berthet). Il intègre en 1978 l’équipe du Journal de Spirou, dont il devient – à 17 ans – l’un des plus jeunes membres. Outre « Petit Piotre » en 1980, la première collaboration entre Desberg et Colman débouche donc, nous l’avons dit, sur une première version de « Billy the Cat » : celle-ci donnera lieu à une histoire courte (une seule planche pour « Une petite histoire sans importance »), publiée dans Spirou n° 2279 (1981), puis à une histoire complète en 20 planches, publiée à son tour à partir de février 1982 (n° 2288 à 2292). Déjà très maîtrisé, le trait de Colman rejoint ceux de Warnant, Benn, Fournier, Lambil, Walthéry, Will ou Hislaire, sans compter son admiration pour Franquin.
Sans cesse en renouvellement artistique, et après deux autres albums publiés chez Magic Strip, Colman se tourne à la fin des années 1980 et au début des années 1990 vers les agences de communication et la publicité. Il y explorera l’image sous toutes ses formes (stylisme, logo, vidéo, etc.) avant de revenir à la bande dessinée ; de nouveau au sein du Journal de Spirou. Desberg lui propose alors de développer en série l’histoire créée 10 ans plus tôt, au profit de scénarios aux tonalités plus adultes, abordant ainsi des thèmes (exclusion et pauvreté, mort, racisme, cruauté envers les animaux, etc.) inhabituels dans les séries jeunesse de l’époque. Paraîtront ainsi et successivement « Dans la peau d’un chat » en 1990, « Le Destin de Pirmin » en 1991, « L’Été du secret » en 1994, « Saucisse le terrible » en 1996, « L’œil du maître » en 1997 et « Le Choix de Billy » en 1999. Ces 6 titres (qui seront rassemblés en deux volumes d’intégrales par Dupuis en 2014 et 2015) permettront aux lecteurs de comprendre l’évolution du caractère du héros, de rencontrer ses véritables amis (le chat de gouttière Monsieur Hubert, l’ours de cirque Pirmin, le pigeon Jumbo) et ses terribles ennemis (le chat borgne Sanctifer, le basset familial Saucisse ou le gorille Virunga), mais aussi à Billy d’être lentement reconnu et adapté par sa famille humaine. Magnifiée par ses caractères excentriques, son humour, sa tonalité dramatique et les somptueux décors de Colman (qui excelle dans la composition très détaillée des ambiances et paysages), « Billy the Cat » se distingue dès son premier tome, qui obtient le prix Alph-Art enfant & jeunesse au Festival d’Angoulême en 1991.
Cette reconnaissance poussera la série vers d’autres cieux : quelques années plus tard surgit ainsi « Billy the Cat, dans la peau d’un chat », une série télévisée d’animation franco-belge en 26 épisodes de 22 minutes, diffusée à partir du 10 septembre 1996 sur Canal+, puis rediffusée en septembre 1997 sur France 3. Afin d’être plus léger et adaptée à sa cible jeunesse, Billy n’est plus tué accidentellement puis réincarné, mais transformé en chaton par un magicien, pour le punir d’avoir maltraité son propre chat. Le magicien a également transformé son chat en la forme humaine de Billy afin de remplacer ce dernier dans sa famille… Cette série sera développée sur deux saisons, diffusées entre 1997 et 2003.
Enfin, à partir de 2002, la série bd passe entre d’autres mains : le tome 7 (« La Bande à Billy ») est dessiné par le Serbe Marco Ilïn, mais un conflit quant à la répartition des droits d’auteur fait que le tome 8 (« La Vie de chaton », 2003) est repris par Peral, qui signera là son premier album après des débuts comme intervalliste… sur la série animée « Billy the Cat, dans la peau d’un chat « ! Tout en conservant l’esprit graphique de Colman, Peral poursuivra sa collaboration avec un nouveau scénariste, Jean-Louis Janssens, sur les tomes 9 (« Monsieur Papa », 2005), 10 (« Les Machines à ronronner », 2010) et 11 (« Le Chaméléon », 2007), avant que la série ne soit interrompue.
Au jeu des analogies, des hommages et des correspondances, il nous faut dire un mot sur le titre « Billy the Cat ». Outre un certain Billy the Kid, bandit qui donnera à Morris la matière du 20e opus de « Lucky Luke » en 1961, nous pouvons songer au célèbre comic strip « Krazy Kat »de George Herriman, apparu dans le New York Evening Journal dès 1913. La riche histoire de la bd anglo-saxonne aura également connu un autre « Billy the Cat » (création de David Sutherland en 1967, voyant le héros humain William Grange et sa cousine Kathleen, lutter contre le crime dans la ville de Burnham, dissimulés sous des costumes de chats), ainsi qu’un « Bill the Cat », apparu en juin 1982 sous le crayon du caricaturiste Berkeley Breathed. En considérant ce dernier comme une parodie acide du « Garfield » de Jim Davis, on reliera « Billy the Cat » à ce vaste ensemble de chats anthropomorphisés, plus ou moins conscients de leur nature animalière originelle : citons ici Tibert le chat dans « Le Roman de Renart », Alphonse dans « Les Contes du Chat perché » (Marcel Aymé, 1934 à 1946), l’étrange Chat du Cheshire d’ « Alice au pays des merveilles » (Lewis Carroll, 1865), sans compter « Les Aristochats » (W. Reitherman, 1970), Tom, Sylvestre, Hercule, «« Poussy » par Peyo (1965), Le Chat » de Geluck (créé en 1983) ou « Blacksad » (Canales et Guarnido, depuis 2000) ! Rajoutons aussi à celle liste ce détective transformé momentanément en chat (chaque nuit, suite à un accident), et menant donc en partie ses enquêtes sous une forme féline, selon la série « Alex Lechat » créée dans le Journal de Mickey par Patrick Galliano et Yves Beaujard le 7 janvier 1986.
La suite de l’aventure pour Stéphan Colman sera toute autant animalière : ayant rendu un vibrant hommage à Franquin dès sa disparition en janvier 1997, l’auteur réalise un rêve en assurant les décors de la série « Le Marsupilami » (tomes 15 et 18 en 2001 et 2005) aux côtés de Batem, avant d’en signer le scénario complet à partir du tome 19 en 2006 (« Magie blanche »). Le succès ne s’est pas démenti à ce jour, avec un 27e tome paru en 2013 (« Cœur d’étoile ») et un 28e (en cours de prépublication dans le Spirou, depuis le n° 3392 du 15 octobre 2014) en hommage au mémorable « Nid des Marsupilamis » (Franquin et Jidéhem, 1960). Signalons encore les multiples voies scénaristiques de Colman, sur une note plus sombre et adulte : une participation au troisième «O’boys » en 2012 chez Dargaud et un très remarqué « Choc T1 : Les Fantômes de Knightgrave » avec Éric Maltaite en 2014, sur les pas (ou entrechats ?) de Will… et de Desberg (voir notre article d’analyse de couverture).
En 2014, donc, c’est sous une magnifique couverture inédite (dans un décor urbain et nocturne, la solitude désemparée du chaton Billy y est à nouveau émouvante…), que paraît ce premier volume, enrichi d’un copieux dossier de présentation signé Didier Pasamonik : il recouvre comme il se doit les débuts de la série et intègre les trois premiers albums, pour la période 1981-1994. Gageons qu’un parfum de nostalgie enveloppera certains lecteurs, ainsi replongés dans l’évocation dynamique de ces années …
(1) Pour faire le point sur les intégrales Dupuis, lire le récent article de Gilles Ratier :
http://bdzoom.com/79393/patrimoine/tout-est-bon-dans-le-dupuis-surtout-ses-integrales-patrimoniales/
Philippe TOMBLAINE
« Billy the Cat : l’intégrale T1 » par Stéphan Colman et Stephen Desberg
Éditions Dupuis (24,00 €)
ISBN : 978-2800161037