Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Le Cri de la fiancée » : entretien avec Anthony Pastor
Dans la lignée de leur longue collaboration autour de la littérature policière, la SNCF et le journal Le Monde ont lancé lors de l’été 2012, la collection Les Petits Polars du Monde. La particularité de cette collection est d’associer un auteur de romans noirs et un dessinateur. La première année, seule la couverture était dessinée. L’été dernier, des illustrations pleines pages furent insérées au sein du recueil. Cette année, une place encore plus grande est attribuée aux dessinateurs puisque trois bandes dessinées seront publiées. La première sortira jeudi 12 juin : « Le Cri de la fiancée » est l’œuvre d’Anthony Pastor, lauréat du Fauve Polar SNCF du festival d’Angoulême 2013.
L’histoire débute par l’arrivée de Julien Ravel dans le chalet familial, lieu de retraite traditionnel depuis son jeune âge. Il y vient depuis son enfance et se souvient des après-midi passés à dévaler les pentes enneigées en luge. La quiétude de ses souvenirs est interrompue par un cri perçant le calme hivernal. Julien se rend alors chez les Anthonioz, ses seuls voisins. Il y trouve leur fils, Fanchon, tenant à la main une hache ensanglantée.
Avec ce récit Anthony Pastor s’intègre parfaitement dans l’exercice proposé par cette collection, celui de la nouvelle.
En une quarantaine de pages, il cristallise une atmosphère angoissante où le déterminisme social, les préjugés et la méconnaissance de l’autre mènent au drame.
Cette histoire, sèche et brutale, nous surprend comme un coup de branche lors d’une balade en forêt sur le bord d’une oreille frigorifiée.
Bonjour, j’ai 41 ans, une mère française, un père espagnol, et j’ai édité mon premier livre en 2006.
J’ai donc mis du temps à finaliser un album BD, alors que j’ai depuis toujours l’envie d’en faire mon métier.
J’ai suivi une formation en Arts plastiques, après avoir obtenu un bac scientifique.
J’ai fait un grand nombre de métiers différents et passé pas mal de temps à bricoler, surtout dans le monde du théâtre, sans jamais cesser d’écrire. J’ai aussi pas mal bougé en France, en Espagne, en Angleterre…
Comment avez-vous rencontré les éditions de l’An 2 qui est votre éditeur historique ?
Une fois achevé mon premier album, et sachant que je venais de faire un objet particulier, j’ai cherché des éditeurs qui, de par leur catalogue, seraient susceptibles d’être intéressé par mon travail. Il n’y en avait que quelques-uns, dont les éditions de l’An 2, en l’occurrence, Thierry Groensteen, m’a écrit très vite pour me dire son enthousiasme.
Il faut signaler que vos deux premiers albums pour cet éditeur « Ice Cream » en 2006 et « Hôtel Koral » en 2008 (voir Plus de lectures) furent réalisés avec des stylos Bic. L’idée vous en est venue comment ?
J’ai été un grand dessinateur de marges de cahier pendant mes études et je voulais utiliser un outil d’écriture (une velléité un peu vaniteuse) et pas forcément de dessin a priori. Le décalage entre la pauvreté du stylo à bille et la richesse du résultat m’intéressait. Mais il y a eu aussi beaucoup de tentatives avec d’autres outils et un peu de hasard, avant de me caler sur cette technique.
Vous avez définitivement abandonné le Bic ?
Non, il m’arrive de faire encore des illustrations avec cette technique. En revanche, c’est vrai que mes deux derniers albums ont été réalisés en numérique et m’ont conduit à évoluer. Ceci étant dit, on peut voir dans la nouvelle du Monde que je suis en train de revenir à des techniques proches de mes débuts. Je tire mon travail numérique vers ce que je faisais au Bic, en utilisant de la même façon la pauvreté et la rudesse du stylet informatique.
Dès « Ice Cream », on retrouve un univers lié au polar. C’est un genre qui vous est cher ?
La découverte de la littérature « noire » m’a aidé à reprendre la BD que j’avais délaissée, un temps, au profit d’autres genres (comme les pièces de théâtre). J’y ai trouvé un cadre qui me convient pour sonder la psychologie humaine, tout en proposant une trame accrocheuse et divertissante.
Des auteurs fétiches ? Votre personnage de Sally Salinger fait penser à Dave Robichaux ou Walt Longmire. L’univers dans lequel elle évolue est aussi important que ses enquêtes et sa vie apparaît petit à petit sur les deux albums qui lui sont consacrés.
Hé bien, je lis beaucoup, enfin autant que possible, et ça va de best-sellers comme les Connelly, Indridarsson, Vargas, à d’autres auteurs plus particuliers comme James Crumley. Tous ceux que j’ai cités ont des personnages récurrents et j’aime voir comment ils les font vivre. Mes influences sont très diverses.
Tous vos récits se centrent autour d’héroïnes, les protagonistes de « Las Rosas » sont des femmes. Les personnages féminins sont plus intéressants à écrire et à dessiner ?
Plus j’y pense et plus je considère que c’est une forme d’engagement, un acte quasi politique : c’est ma façon d’interroger notre société et le rapport homme/femme semble encore rétrograde aujourd’hui par beaucoup d’aspects. Artistiquement, ce que je trouve intéressant, c’est de creuser à fond les personnages, hommes ou femmes, et de les mettre en relation. Même quand je donne les rôles principaux aux femmes, mes histoires restent très intimes.
Vous avez écrit « Style enfer » un roman policier pour les adolescents pour Actes Sud junior, pourquoi ne pas l’avoir dessiné ?
C’est simple, pour une question de temps. J’écris beaucoup plus que je ne peux dessiner. J’ai écrit ce roman en même temps que je réalisais les « Bonbons ». Au-delà de ça, j’ai besoin de faire d’autres choses, j’avais besoin de travailler l’écriture seule aussi, cela ouvre aussi des portes. Le roman se passe dans un village du Gard, là où je vis, et a amorcé l’envie de changer d’ambiances, moi qui étais toujours dans des décors américains. Peut-être que j’avais une certaine pudeur à dessiner ce qui m’entourait, c’était plus facile à faire avec un roman. Va falloir que je l’adapte maintenant ! (Rires)
Comment avez-vous été intégré dans la collection Les Petits Polars du Monde ?
On m’a proposé l’an dernier, suite au Fauve Polar que j’ai obtenu à Angoulême, d’illustrer une nouvelle de Christian Roux : « Dix doigts dans l’engrenage ». Et puis, maintenant, on s’entend bien, ils apprécient mon travail.
Vos ouvrages ont connu une progression régulière de leur nombre de pages : « Ice Cream » 91 pages, « Hotel Koral » 117 pages, « Las Rosas » 318 pages, « Castilla Drive » 158 pages, « Bonbons atomiques », 254 pages. Vous avez pu vous glisser facilement dans le genre de la nouvelle ?
C’était un vrai challenge, car c’est vrai que j’aime mettre en place des ambiances fouillées et creuser des personnages dans la longueur.
De plus, la nouvelle en BD se lit vraiment vite et je n’aime pas laisser les lecteurs avec un sentiment de frustration.
J’ai essayé de faire quelque chose de très tendu, sans quasiment de préambule, emmener tout de suite le lecteur dans un fait-divers un peu choc.
Vos dernières publications sont sorties de manière régulière, quasiment une par an, avec une forte pagination. Vous travaillez de quelle manière ?
C’est plutôt deux ans, jusqu’à maintenant, un an et demi pour les « Bonbons ». J’écris d’abord pas mal, je gribouille des tronches, je cherche des décors et je laisse mijoter.
Après, je réalise un story-board/crayonné très lisible ou le texte est posé ; c’est une des étapes les plus longues et celle que je prends beaucoup de soin à caler.
Je veux de la fluidité, du rythme, je relis beaucoup et triture énormément mon texte et mes images jusqu’à ce que j’arrive à un résultat satisfaisant.
Que préparez-vous pour le futur ? Nous retrouverons Sally Salinger ?
On va la retrouver, effectivement, d’abord dans un format court qu’on pourra lire dans le deuxième numéro de la nouvelle revue Citrus qui sera un spécial « Faits divers ».
Cette sortie est prévue pour l’automne. Je travaille aussi à un autre projet qui se passe en France dans l’entre-deux-guerres.
Mille mercis policés (et non policiers) à Anthony Pastor pour sa disponibilité.
Brigh BARBER
mise en pages : Gilles Ratier
« Le Cri de la fiancée » sera disponible à partir du jeudi 12 juin en kiosques et maisons de la presse pour une durée de 15 jours, au prix de 2,50 € (ISBN : 978-2-36156-176-5)
Le reste de la production d’Anthony Pastor est disponible chez Actes Sud sous le label L’An 2.
Le coffret « Saison 1 » (ISBN : 978-2361560539) et le coffret « Saison 2 » (ISBN : 978-2361561154) des Petits Polars du Monde sont disponibles en librairie au prix de 24,90 € l’unité.