Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Quelques séries de comics chez Delcourt…
Petit retour sur quelques séries en cours, qui débutent ou qui se finissent au sein de l’excellente collection Contrebande chez Delcourt : « Lobster Johnson », « Fatale », « Walking Dead » et « Rising Stars »…
« Lobster Johnson T1 : Le Prométhée de fer » par Jason Armstrong et Mike Mignola
Vous le savez, l’univers d’« Hellboy » ne cesse depuis quelques années de s’élargir, s’étoffant de plusieurs spin-of qui n’ont rien à envier à leur matrice… Le premier d’entre eux, le fameux « B.P.R.D. », a acquis une vraie notoriété, rencontrant un tel succès qu’il a lui-même engendré quelques spin-of comme « Abe Sapien » que Delcourt a commencé à éditer il y a trois ans. Avec une belle constante, la collection Contrebande continue d’offrir aux lecteurs français les différents titres créés par Mignola, et donc en premier lieu ceux liés à l’univers d’« Hellboy » : ainsi, cette année est sorti le premier tome d’un autre spin-of : « Lobster Johnson », et Delcourt se prépare à publier prochainement « Witchfinder ». Lobster Johnson est un personnage créé par Mignola lors d’une histoire d’« Hellboy », « Le Ver conquérant ». Ce personnage atypique semblant sorti tout droit de « Watchmen » ou du « Sandman Mystery Theatre » est un justicier masqué qui a combattu les truands dans les années 30 à New York. Caché derrière son masque et ses lunettes d’aviateur, il brûlait le front de ses adversaires avec son gant qui leur apposait la marque de la pince du Homard (lobster = homard en anglais). Je parlais de « Watchmen », car il y a clairement une corrélation avec cette Å“uvre, ce super-héros sans réels super-pouvoirs issu de la première moitié du 20ème siècle étant aussi dans le récit de Mignola le modèle d’un héros de pulps puis de comics, faits relatés par des pages de texte illustré insérés entre certains chapitre de l’histoire… En lisant « Lobster Johnson », vous allez donc plonger dans un univers délicieusement pulp où ce héros pittoresque va devoir combattre des ennemis aussi divers que terrifiants à l’aube de la seconde guerre mondiale… Cannibales, yétis et autres méchants occultes vont donner du grain à moudre au Homard et à sa petite équipe d’assistants. Le style de Jason Armstrong semble se situer exactement à la croisée de ceux de Mike Mignola et Guy Davis, aussi contrasté que libre. Un très bon divertissement…
« Fatale T2 : La Main du diable » par Sean Phillips et Ed Brubaker
Après avoir posé le contexte et les personnages de cette Å“uvre hybride dans le premier volume, Brubaker et Phillips donnent une suite qui prend un chemin de traverse et élargit le champ des possibles en ne faisant pas se confronter une nouvelle fois Nicolas Lash et Josephine mais en relatant leur parcours respectif après les derniers événements en date. On ne croisera Lash que par intermittence, donc, l’essentiel de l’action se resserrant sur Josephine qui est toujours recluse, se cachant de ceux qui la recherchent… Mais le lien qui unit ces deux personnages ne disparaît pas pour autant, prévisageant de futures rencontres… fatales, bien sûr. Josephine ne croit pas au hasard, et c’est bien pour cela qu’elle laisse un petit acteur de seconde zone dénommé Miles rompre l’apparente tranquillité de sa réclusion volontaire, celui-ci ayant été en contact avec les satanistes qui veulent la capturer. L’arrivée de cet homme un peu paumé redonne du souffle à Josephine qui – malgré elle – se sent revivre tout en sachant que cette pulsion ne peut que la remettre entre les mains d’Hansel et de ses sbires psychopathes. Brubaker et Phillips réussissent à maintenir cette ambiance bien spécifique qui oscille entre les genres, même si la dimension parfois lovecraftienne du premier volume a laissé place ici à une atmosphère de pulp plus hitchcokienne et moins fantastique… Mais ce n’est pas pour ça que des choses étranges et angoissantes ne surviennent pas encore, pour notre plus grand trouble ! Plus intime et tissant des liens avec la réalité de Miles qui nous éloigne un temps des fortes ramifications temporelles et surnaturelles du premier volume, « La Main du diable » se penche plus avant sur le ressenti et la vie – possible ou non – de Josephine, sa nature et son pouvoir de séduction après tout ce qu’elle a déjà traversé. Les dessins de Phillips, toujours superbement mis en couleurs par Dave Stewart (qui a aussi colorisé « Lobster Johnson »), sont parfaits pour restituer les ambiances voulues par Brubaker, juste assez réalistes pour qu’on y croit et assez libres pour nous faire passer de l’autre côté… On attend bien sûr la suite, en espérant qu’elle sera plus bigarrée et contrastée que ce volume-ci, mêlant plus fortement les genres (même si ce genre d’interlude est nécessaire et bénéficie à l’ensemble par ses qualités psychologiques et atmosphériques). La série est toujours en cours aux États-Unis, le #17 étant paru ce mois-ci : Delcourt n’en a donc pas fini avec ce comic, à la grande joie des aficionados français…
« Walking Dead T18 : Lucille… » par Charlie Adlard et Robert Kirkman
Eh oui, on arrive à la série-phénomène-événement : comment faire autrement ?! Mais lorsqu’une série d’une qualité telle que celle-ci rencontre un tel succès, lorsqu’il y a à ce point corrélation, pourquoi faire autrement ? En effet, plus je lis « Walking Dead » plus j’aime cette série. Parce que l’aspect « histoire de zombies » s’efface de plus en plus au profit de la psychologie de chacun de ses protagonistes, processus engagé dès le début de la série mais ne cessant de prendre de l’envergure, jusqu’à devenir le sujet ultime de cette Å“uvre post-apocalyptique humaniste. Ce qui est passionnant et poignant, dans « Walking Dead », c’est définitivement ce qui se dégage de global sur le sens et la nature de notre humanité au travers des caractères de chacun des héros, de quel côté qu’il soit. Le volume précédent faisait monter l’angoisse d’un cran, très clairement, via l’arrivée tonitruante et violente de Negan, le chef fou du groupe des Sauveurs. Dans cet univers déjà violent et ancré dans la désolation où les qualités humaines sont la dernière bouée pour continuer à respirer, le personnage de Negan a apporté une dimension de perversion assassine qui a renversé l’équilibre des choses, le plus grand danger n’étant plus forcément les morts-vivants mais certains humains bien vivants, eux, malheureusement… Dans ce volume qui prend pour titre le nom de la batte de base-ball emberlificotée de barbelé de Negan, la cruauté est encore plus forte, la perversion plus appuyée, au fur et à mesure que l’on découvre la personnalité de celui-ci. Au-delà de la violence physique il y a la violence morale ; avec Negan, ce personnage immonde et profondément dérangé, Kirkman nous dresse l’un des portraits de méchants les plus terrifiants qui aient jamais été créés, et fait par rebond un terrible constat de ce que peut engendrer notre magnifique race humaine. Je ne vous en dirai pas plus, mais vous incite une nouvelle fois à ne pas refuser de lire ce comic en réaction au raffut médiatique qu’il génère (ça nous arrive tous), à le découvrir, même en route, les derniers volumes parus étant particulièrement intenses… Tout ceci est si efficace et redoutablement fait que l’envie de savoir la suite s’avère plus forte que tout… Et les dessins de Charlie Adlard ne baissent pas en qualité, bien au contraire, ayant trouvé une vraie maturité au sein de la série.
« Rising Stars » T3 par Brent Anderson et Joe Michael Straczynski
Enfin, je vous rappelle que Delcourt a achevé cette année l’édition intégrale en trois albums de la très belle série « Rising Stars ». Au début de l’année dernière je vous avais annoncé cet événement (http://bdzoom.com/45585/comic-books/«-rising-stars-»-t1-par-keu-cha-christian-zanier-ken-lashley-et-joe-m-straczynski/) en vous disant tout le bien que je pensais de cette Å“uvre. Aujourd’hui, je ne peux qu’appuyer une nouvelle fois mes propos en vous invitant à découvrir cette superbe saga si vous êtes passé à côté… Il me semble que tout fan de super-héros se doit d’avoir lu « Rising Stars », une Å“uvre qui 13 ans après « Watchmen » entreprit d’explorer les relations entre humains « normaux » et humains « spéciaux » (dotés de super-pouvoirs) et d’entrevoir ce qu’engendrerait la promiscuité entre ces deux natures différentes, des rapports les plus intimes aux répercussions nationales et internationales vis-à -vis de la loi, de l’éthique, de la morale, de l’équilibre de la civilisation humaine… Comme je l’ai déjà dit, on a une fâcheuse tendance à étiqueter Straczynski comme un humaniste un peu naïf, faisant du mainstream rempli de bons sentiments. Je trouve que c’est bien réducteur et finalement injuste et faux. Straczynski est bien plus nuancé et subtil que ça. Je ne vous raconterai rien du déroulement de l’histoire jusqu’à son dénouement, mais les éléments tragiques du récit sont de plus en plus nombreux et forts au fur et à mesure que la fin approche, avec parfois une violence soudaine faisant voler en éclats l’apparente bienveillance qui se dégage des moments d’émotion pure. « Rising Stars », même si elle est pétrie de beaux sentiments et qu’elle lance un message de paix et d’espoir en l’humanité, est loin d’être une Å“uvre « gentille ». Elle vous tord le ventre et le cÅ“ur avant de vous exploser à la figure pour mieux vous faire réfléchir après, l’auteur souhaitant nous toucher là où ça fait mal, sans méchanceté mais sans ingénuité non plus. Et puis c’est Brent Anderson qui clôt la série, ce qui ne gâche rien, ce dessinateur un peu sous-estimé à mon goût réussissant parfaitement à donner une crédibilité au récit de Straczynski par son talent à mêler réalisme et imaginaire… Un classique contemporain à lire ou relire, l’œuvre étant si riche qu’elle se révèle à chaque nouvelle lecture.
Cecil McKINLEY
« Lobster Johnson T1 : Le Prométhée de fer » par Jason Armstrong et Mike Mignola
Éditions Delcourt (15,50€) – ISBN : 978-2-7560-3969-5
« Fatale T2 : La Main du diable » par Sean Phillips et Ed Brubaker
Éditions Delcourt (15,50€) – ISBN : 978-2-7560-4083-7
« Walking Dead T18 : Lucille… » par Charlie Adlard et Robert Kirkman
Éditions Delcourt (13,95€) – ISBN : 978-2-7560-3957-2
« Rising Stars » T3 par Brent Anderson et Joe Michael Straczynski
Éditions Delcourt (19,99€) – ISBN : 978-2-7560-3007-4