Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...MARGAUX MOTIN
C’est avec l’album de Margaux Motin et celui de son « Evil twin » Pacco que Marabout a lancé sa collection de bande dessinée, « Marabulles », en mai 2009.
Nous avions alors rencontré Pacco pour son album « Le blog de Maé » (http://bdzoom.com/spip.php?article3870). Rendez-vous aujourd’hui avec Margaux, dont le blog (http://margauxmotin.typepad.fr), qui n’a qu’un peu plus d’un an d’existence, attire d’ores et déjà 15 000 visiteurs quotidiens.
Coline BOUVART : Pourrais-tu me décrire ton parcours ?
Margaux Motin : Mmm, voyons, voyons, évidemment j’ai toujours voulu être « dessinatrice », coup de bol, je suis un poil tenace si bien que je ne me suis jamais véritablement écartée de ma voie et que tout mon parcours s’est construit sur le désir de faire ce métier. J’ai fait une école d’Arts Appliqués après mon année de terminale, Olivier de Serres, où je me suis spécialisée en communication visuelle juste parce qu’un des profs principaux était Jean Christophe Chauzy. Après trois ans d’école et mon diplôme, j’ai été victime d’une grosse attaque de flemme et d’envie de non-responsabilité si bien que j’ai erré un certain temps de petit boulot en petit boulot avant de me botter les fesses, quasiment trois ans après ma sortie de l’école. Un jour j’ai ressorti mes crayons, et j’ai commencé à frapper aux portes des professionnels. J’ai commencé par faire du dessin de presse, puis de l’édition, et enfin j’ai pris un agent qui m’a ouvert les portes de la pub. Et puis il y a un peu plus d’un an, sur un coup de tête, j’ai ouvert un blog. Et de ce blog a fini par naître mon premier livre.
C.B. : T’intéressais-tu déjà à la BD ?
Margaux Motin : Je ne m’y intéressais plus en fait. J’ai été très fan quand j’étais plus jeune, jusqu’aux Arts Appliqués, puis je m’en suis éloignée. J’étais lassée du support, du format, des cases. Aujourd’hui je replonge avec plaisir dans cet univers. La BD est beaucoup plus vaste que je ne le pensais, je suis en mode « découverte », je feuillette, je me laisse surprendre, j’y trouve des histoires, des traits de crayons, des expérimentations vraiment stupéfiants !
C.B. : Tu as lancé ton blog en mars 2008, ce qui en fait un blog relativement jeune, et son succès a été fulgurant : quel était alors ton objectif et comment le concevais-tu ?
Margaux Motin : L’idée du blog tenait plus du besoin que de l’envie au départ. Le site Internet qui me servait de book pro a lâché, il me fallait rapidement un espace sur la toile pour diffuser mon travail et permettre a mes clients de visualiser mes illustrations. Je ne savais même pas, en ouvrant le blog, si j’allais me contenter de faire un genre de book en ligne, ou si j’allais me mettre à poster des choses plus personnelles. Finalement, j’ai trouvé l’outil tellement génial que j’ai petit à petit instauré ce « principe » de billets quasi quotidiens sur ma vie.
C.B. : Comment définirais-tu la tonalité de ton blog ?
Margaux Motin : Je n’ai jamais suivi aucun plan, aucune stratégie, je n’ai pas prémédité de ton, de ligne éditoriale, j’avance a l’aveuglette, je suis mon intuition, c’est vraiment un blog de petit animal, je ne le réfléchis pas. Toute ma réflexion est centrée sur le travail de scénarisation et de dessin des posts eux-mêmes, mais plus globalement, le blog n’est qu’un support. Si je le regarde de loin, oui, peut-être que je peux énoncer quelques lignes évidentes, que c’est un blog léger, que c’est l’histoire d’une fille qui préfère se moquer d’elle-même et chercher le rire et le plaisir dans chaque situation plutôt que de tomber dans le tragique. C’est important, rire des petites choses du quotidien. On a besoin de suffisamment d’énergie pour les vrais drames sans épuiser nos réserves avec de petites choses pas si graves. Que c’est un blog qui revendique un peu malgré lui le droit à la superficialité, au glamour, au trash et à la profondeur, tout ça dans le même package. Mais fondamentalement, ce blog c’est juste moi, avec toute la sincérité dont je suis capable. Et je suis infoutue de me définir donc je suis infoutue de définir ce blog !
C.B. : Comment travailles-tu ?
Margaux Motin : Techniquement, je suis toujours « en travail ». J’écoute, j’observe, je note, des couleurs, une attitude, une conversation. Je réfléchis à la façon dont je peux m’en servir. Toutes mes notes sont issues de situations réelles, je cherche juste le ressort comique, ou sensible depuis peu, pour en faire quelque chose qu’on a envie de lire jusqu’au bout. Jusque là , je bossais à l’arrache, sans anticiper, parfois cinq heures d’affilée, le soir, quand je tenais une idée. Mais je ne peux plus. Je passe à côté de plein de moments de vie en bossant comme ça. Du coup j’ai décidé de consacrer une journée par semaine au blog, pour encrer et mettre en couleur mes crayonnés, découper les histoires, finaliser, et de mieux m’organiser pour caler mon travail d’illustratrice sur les 4 jours restants. Oui je sais ça laisse deux jours vacants. Paraît qu’on appelle ça « le week end », un concept que j’ai bien envie de me réapproprier !
C.B. : Quels sont les rapports entre toi et ton « alter ego » mis en scène sur le blog ?
Margaux Motin : Pacifiques. Cette mise en scène de moi-même n’est possible, en ce qui me concerne, que parce que je suis en paix avec moi-même. Je peux être sincère et authentique, j’ai fait le travail, je me suis acceptée, donc je n’ai pas à tricher, à jouer, à faire semblant. Mon alter ego n’est que mon strict reflet. « Elle » n’est pas là pour vivre ce que je n’aurais pas le cran de vivre. Elle est moi. Sa vie est ma vie. Sauf qu’elle n’a pas de cellulite cette salope !
C.B. : Te fixes-tu des limites lorsque tu dessines pour le blog ?
Margaux Motin : Oui bien sûr. Je serais seule, j’aurais beaucoup moins de pudeur et je pense que la tonalité du blog serait vachement plus trash. Mes limites se situent là où je risque de blesser. Mon amoureux, ma fille plus tard, les gens très proches que j’aime. Moi je suis un peu du genre je-m’en-foutiste avec moi-même. Mais je ne veux pas faire de mal donc je travaille en équilibre parfois, pour garder ma liberté d’expression sans pour autant emprisonner mes proches dans un univers qui les met mal à l’aise.
C.B. : L’adaptation album de ton blog est sorti il y a peu de temps : comment ce projet a-t-il abouti ? En avais-tu l’idée en créant ton blog ?
Margaux Motin : Non, en démarrant le blog, je ne projetais absolument pas d’en faire un livre. Mais il semblerait que bon nombre d’éditeurs étaient à l’affût, tapis dans l’ombre, depuis le succès du livre de Pénélope Bagieu. Je n’ai rien fait, je n’ai lancé aucune perche, contacté aucune maison d’édition, ce sont elles qui dès juillet 2008 ont commencé à lancer des propositions. J’ai attendu, j’ai comparé, et puis Marabout a émergé du lot. Ils se lançaient dans la BD tout comme moi, l’idée était de me laisser vraiment libre de faire le livre que je voulais, il n’y avait pas de collection à laquelle m’intégrer, pas de format prédéfini, juste un vaste espace de création à occuper. Je me suis laissé séduire par cette envie commune de construire quelque chose en partant de presque rien. Sans expérience précise sinon leur savoir faire. Et puis le contact est très bien passé avec l’équipe, je me suis tout de suite sentie en confiance. Et elles ont été les premières à proposer de m’éditer en même temps que Pacco. C’est aussi pour ça que j’ai choisi Marabout. Ne pas être toute seule mais transformer ce gros boulot en une aventure partagée avec un ami proche. L’énergie qui s’est dégagée de tout ça a été géniale.
C.B. : Comment as-tu travaillé à cette adaptation ?
Margaux Motin : Ca m’a semblé un boulot de titan ! Mais c’était super excitant. J’ai vraiment travaillé en collaboration avec Lisa, mon éditrice. J’avais sélectionné toutes les planches que je voulais réutiliser. Avec Lisa, on a organisé la structure du livre, tenté d’y apporté un fil conducteur, regroupé les histoires par thème, créé une dynamique. Je nous revois dans la grande salle de réunion, les planches imprimées toutes posées au sol, et nous deux, nous faufilant au milieu de ce bordel, prenant une planche ici pour la mettre là , construisant le livre. C’était magique. Je dois beaucoup à Lisa : moi j’avais un mal fou à prendre suffisamment de recul sur mon travail pour organiser un livre. Après ça, j’ai effectivement tout retravaillé. J’ai redessiné la plupart des planches par soucis de cohérence graphique, et parce que je suis un chouya maniaque. Il a fallu faire passer des histoires qui se déroulaient sur une seule colonne verticale à un format livre avec un déroulement plus horizontal. J’y ai passé des heures, les rythmes qui fonctionnaient verticalement étaient parfois laborieux mis en page. Mais je trouve qu’on s’en est plutôt bien sorties !
C.B. : Ta conception du blog a-t-elle évolué ?
Margaux Motin : Elle ne cesse d’évoluer. Je l’ai ouvert comme un book professionnel en ligne, c’est devenu un blog bd, je suis passé par les affres du besoin de reconnaissance, quand on n’envisage même pas de ne pas poster pendant une semaine tellement on a peur de perdre ses lecteurs. J’ai suivi les stats, répondu a tous les coms individuellement, puis j’ai pris de la distance, retrouvé le goût brut du dessin, me suis affranchie un peu des carcans virtuels que je m’étais imposés. Je poste moins régulièrement, je ne le fais plus que quand j’estime que je tiens une planche qui en vaut la peine, je n’ai plus peur de laisser le blog en friche pendant un mois. Aujourd’hui j’ai vraiment trouvé un espace où je me sens bien, libre de créer à ma guise.
C.B. : Selon toi, quelles sont les grandes différences entre la « BD » traditionnelle (édition) et le système des « BD Blogs » ?
Margaux Motin : Je m’y connais trop peu en BD traditionnelle comme en blog BD pour vraiment répondre à cette question. À mon niveau, le blog BD a ce gros avantage de permettre un lien direct avec le lecteur. Ça m’a fait énormément avancer, ce retour de l’internaute qui donne son avis. Ça m’a permis de me remettre en question sur plein de trucs. Le rythme de production impose aussi une gymnastique qui pousse à être plus efficace. Ça s’est beaucoup répercuté sur mon travail d’illustratrice. Je suis bien plus rapide aujourd’hui, je vais droit au but, je ne passe plus des heures sur une attitude ou une expression, je suis plus à l’aise, plus affirmée dans mon trait, c’est à la dynamique du blog que je dois ça. D’un autre côté, ce sont des heures de travail non rémunérées qui me prennent beaucoup de temps, pour lesquelles j’ai un peu trop sacrifié mes commandes pro et ma vie perso. Il faut trouver le juste équilibre, c’est un peu difficile parfois, je m’y attelle. Il y a une longue période où l’on s’enferme dans cette blogosphère et puis soudain on s’essouffle, on a envie de vraie vie, de vrais gens. Mais rien n’est figé hein, ça n’est vraiment qu’une question d’équilibre !
C.B. : As-tu l’impression que ton blog t’a offert de nouvelles opportunités ?
Margaux Motin : Bien sûr ! Je bossais déjà pas mal en tant qu’illustratrice mais le blog m’a apporté beaucoup de nouveaux clients. D’une part parce que ça m’a rendue « bankable » : les clients sont séduits par l’idée de lier leur produit, leur magazine, à une illustratrice qui a un peu de notoriété, ça draine un lectorat qui devient une clientèle pour eux. Bon, d’un autre côté, le revers de la médaille, c’est que le ton trash de mon blog leur colle un peu les jetons parfois ! Je suis passée a côté de certains contrats à cause de cela. Mais ça n’a pas d’importance. L’énorme luxe de tout ça, c’est qu’aujourd’hui, les clients qui font appel à moi, que ça soit pour de la presse, de la pub, ou de l’édition, savent ce qu’ils viennent chercher. Je ne suis quasi plus jamais en porte-à -faux avec ce que j’aime faire. Ça fait un bail que je ne me suis pas sentie comme une exécutante à qui l’on impose un style, une gamme de couleur, un ton, juste parce qu’on a besoin d’une image, et sans tenir compte de ce qui la caractérise. Mais tout ça va de pair avec les progrès que j’ai faits grâce au blog. J’ai affiné mon trait, mes attitudes, c’est aussi ça que les clients viennent chercher, des images plus justes que ce que j’étais capable de faire il y a encore un an.
Et à côté de tout ça, il y a le travail en tant qu’auteur. C’est gratifiant et c’est une superbe récompense aux années de travail de pouvoir signer son propre livre après avoir illustré ceux des autres. C’est un peu comme un métier parallèle fait de gros bonus et de plaisirs. Un minimum de contraintes et la grande satisfaction de mener à bien soi-même un projet du début a la fin.
C.B. : Comment imagines-tu l’avenir de ton blog ?
Margaux Motin : Je ne sais pas. Je commence à ressentir de plus en plus l’envie de me consacrer au support papier. Je suis très excitée par l’idée de refaire un bouquin. Mais je ne suis pas prête à abandonner le blog. Je pense que je vais pour l’instant simplement espacer un peu les posts. J’ai envie de prendre du plaisir à nourrir mon blog. Ne pas me sentir forcée, soumise, juste profiter de ce support et de la liberté qu’il m’offre, faire de la qualité avant tout et ne pas me soucier de la quantité. Et continuer de communiquer avec les lecteurs, de leur donner ce que je peux de bonne humeur.
C.B. : As-tu d’autres projets dans la bande dessinée ?
Margaux Motin : Un second tome oui bien sûr ! Je commence à bosser dessus, je me suis donné un an. J’aimerais qu’il compte vraiment beaucoup plus d’inédits donc ça va être un boulot de malade en plus du blog et de mon travail d’illustratrice. J’ai très envie de composer mes histoires directement pour un format livre sans passer par le format vertical du blog, c’est un défi, un nouvel espace a explorer, je trépigne d’impatience !
C.B. : Ton « Evil twin », Pacco, fait une incursion à la fin de ton album et les clins d’Å“il entre vos deux blogs sont fréquents : peut-on espérer un jour la sortie d’un album maléfique à quatre mains ?
Margaux Motin : J’adorerais ! On en a déjà parlé, je crois pouvoir parler en notre nom à tous les deux en disant que c’est vraiment quelque chose qu’on aimerait faire. Pour l’heure, on est chacun sur des projets perso qui mobilisent tout notre temps et notre énergie, et puis nous n’avons pas encore eu le déclic. On a l’envie, mais pas de point de départ. Ça se fera comme tout s’est fait jusqu’à présent, naturellement, quand le moment sera venu, ça nous percutera de plein fouet au détour d’un gribouillis, d’un coup de fil, d’un échange, et quand on tiendra l’idée qui nous correspond à tous les deux et sur laquelle on se sent capable de mettre nos énergies en commun, on se lancera !
C.B. : Pour finir, y a t il des blogs BD que tu aimes suivre et dont tu voudrais nous parler ?
Margaux Motin : Je ne suis pas très branchée blogosphère. Je vais avoir l’air d’un vieux croûton réac mais j’adorerais pouvoir ouvrir mon journal le matin, avec un bon café, sur le pas de ma porte, goûter la lumière du matin et trouver dans ce journal, à côté des nouvelles, de l’agenda des expos et sorties et de mon horoscope, les planches de mes auteurs préférés. Sur papier. Alors que passer une demie heure le matin à faire le tour des blogs, scotchée sur mon ordi, ça me gonfle. Du coup, si je vais toujours jeter un Å“il aux liens que je reçois, et qui me permettent parfois de jolies découvertes, je reste fidèle aux mêmes : Pacco, sur ses blogs Mae bd, et Fucking karma, parce que je suis fan et qu’on fonctionne comme des vases communicants. J’ai besoin de voir comment il met en pratique les choses dont on parle ensemble, ça me motive toujours, il est le seul dont je peux décortiquer le travail vu que je connais par cÅ“ur sa façon de bosser, et c’est super instructif pour moi de me pencher sur ses cheminements intellectuels et techniques. Boulet parce que c’est quelqu’un qui m’inspire toujours et qui me scotche, Pénélope parce que je suis très admirative de son travail qui frôle souvent le travail d’animation. Et puis il y a Diglee et Sanaa K que je suis aussi quotidiennement parce que je trouve qu’elles sortent vraiment du lot et qu’elles sont pleines de talent et d’avenir.