Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Les Vents ovales » : l’émancipation de la campagne française à l’heure de Mai-68 par Horne, Tripp et Mermilliod
Ayant envie d’une bande dessinée où il pourrait parler du rugby de son enfance dans le Sud-Ouest et qui soit dans la lignée de son « Magasin général » réalisé avec Régis Loisel — évocation du quotidien des habitants d’un petit village qui nous a transmis tant de baume au cœur ! —, Jean-Louis Tripp a proposé à Aude Mermilliod de la coécrire avec lui. Le triptyque « Les Vents ovales » est le résultat de cette belle collaboration et nous plonge, avec délices, dans la ruralité française des Trente Glorieuses. C’est une magnifique fresque humaine et sociale aux personnages attachants, à la fois drôle et émouvante, où le rôle des femmes est largement mis en avant : notamment dans ce premier tome de 120 pages dessinées avec talent par Horne, dont le trait précis et rigoureux s’adapte parfaitement à l’esprit aussi profond que léger du propos.
Dans le Sud-Ouest, la culture du rugby est une religion : à chaque village son club, à chaque dimanche ses affrontements et ses réconciliations ! En ce mois de mai 1967, le club de Montauban vient de remporter, pour la première fois de son histoire, la finale du Championnat de France. Les habitants des deux villages Larroque et Castelnau, reliés par un pont qui enjambe la Garonne, fêtent comme il se doit la victoire, oubliant un peu la rivalité de leurs propres équipes juniors formées de pitchouns pas vraiment motivés pour gagner le championnat régional : de véritables bras cassés, à chaque fois plus mauvais à chaque match, entraînés d’un côté par le curé et de l’autre par le patron de la briqueterie locale. Cependant, tous les autochtones se sentent concernés par les valeurs d’abnégation et de solidarité de ce sport : que ce soit le vieux marquis, l’instituteur communiste, les paysans, les ouvriers, ou encore Monique (bientôt majeure !) qui vient d’être nommée professeure de sport à Béthune et Yveline qui passe son bac et pense à ses prochaines études à Paris…
Ces deux jeunes filles, emblématiques de leur époque, rêvent de liberté, alors que les années soixante touchent à leur fin ; et, avec elles, l’emprise de ces figures d’autorité qui s’opposent et ne comprennent plus les jeunes qui souhaitent s’émanciper : dans un an, ce sera Mai 68. Manifestement, Jean-Louis Tripp (1) et Aude Mermilliod (2) se sont régalés à écrire ensemble cette histoire sensible, touchante et résolument positive, à l’ambiance proche de « Magasin général » : le premier s’étant réservé les péripéties rugbystiques, tandis que la seconde s’est plutôt chargée des scènes concernant l’émancipation de ces personnages féminins qui ne se laissent pas marcher sur les pieds.
Quant au trait réaliste d’Horne Perreard — qui signe de son seul et original prénom —, il a très bien su s’imprégner de cette atmosphère spécifique, particulièrement bien équilibrée entre humour et gravité, qui sent bon l’accent toulousain et les idéaux de douceur ou d’utopie…
Gilles RATIERÂ
P.-S. À noter que le tome 2 paraîtra en octobre et le volume 3 au début de l’année prochaine.Â
(1)  Sur Jean-Louis Tripp, voir sur BDzoom.com : La déchirante histoire familiale de Jean-Louis Tripp !, « Extases » T1 par Jean-Louis Tripp, « Magasin Général » T8 (« Les Femmes ») par Régis Loisel et Jean-Louis Tripp, « Magasin général » T6 par J.-L. Tripp et R. Loisel…
(2)  Sur Aude Mermilliod, voir sur BDzoom.com : Touchante et très réussie adaptation BD d’un best-seller de Martin Winckler où les soignants sont vraiment à l’écoute des patients !, Martin Winckler héros d’un émouvant roman graphique sur l’IVG……
(3)  Sur Horne, voir sur BDzoom.com : « Elle s’appelait Sarah » par Horne et Pascal Bresson [d’après Tatiana de Rosnay], « Malpasset : causes et effets d’une catastrophe » par Horne et Corbeyran…
« Les Vents ovales T1 : Yveline » par Horne, Aude Mermilliod et Jean-Louis Tripp
Éditions Dupuis (26 €) — EAN : 9 791 0347 6234 7