Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Entre Hergé et Tati, Rabaté et Ravard détournent « La Loi des probabilités »…
Martin Henry apprend par son docteur, lors d’un examen de routine, qu’il ne lui reste que trois mois à vivre. Et encore, le praticien est large : le cœur est complètement usé, l’aorte est foutue et une greffe n’est pas envisageable… Quelles sont les probabilités pour que ce diagnostic soit une erreur médicale ? Le taux est certainement bien plus élevé que ce que l’on pourrait croît : en tout cas, ici c’en est bien une, d’erreur… Heureusement, dans le propos de Pascal Rabaté, transcendé ici par la bonhommie du dessin semi-réaliste de François Ravard, tout n’est que bienveillance, sourire et humour décalé : et, comme à l’accoutumée chez ces deux auteurs, la charmante comédie de mœurs qu’est « La Loi des probabilités » fonctionne parfaitement !
Le praticien — qui se rend compte très vite (en recevant son client suivant qui, lui, s’appelle Henri Martin) qu’il s’est trompé de dossier, ayant échangé les noms et prénoms de ces deux patients — dévale les escaliers pendant une livraison de pianos. C’est alors que l’un de ces encombrants instruments échappe aux déménageurs, ce qui propulse le carabin sur le palier de son immeuble, juste au moment où Henri Martin — le vrai condamné, vous suivez ? — lui tombe dessus, car ce dernier s’est jeté par la fenêtre du cabinet médical pour tenter de se suicider : résultat, le docteur se retrouve dans le coma, sans avoir pu prévenir la victime de sa bévue qu’il n’a plus à s’inquiéter. Et ce n’est que le début de cette ravissante histoire rocambolesque…
Comme Martin Henry — toujours sous le choc de l’annonce erronée de son médecin de famille — rêve depuis une éternité (sans jamais avoir osé franchir le pas) d’aller au Canada pour voir le somptueux bal des baleines blanches, pour ce faire, il démissionne de son emploi dans la foulée : pensant toujours n’avoir plus un seul jour à perdre… Il faut dire aussi qu’en tant que verbicruciste (concepteur de mots croisés), son quotidien professionnel était assez morne… Sans alerter sa femme sur son état, Martin la convainc de prendre des congés pour partir avec lui faire le voyage de sa vie et admirer les majestueux cétacés en Gaspésie.Â
C’est à l’aéroport que leur route va percuter (c’est le moins qu’on puisse dire), pour la première fois, celle de Séraphin Lanterne, lequel va sérieusement pimenter leur voyage : cet assureur maladroit, casse-pieds sans gêne, en rappelle évidemment un autre de Séraphin, ayant le même métier, et que les tintinophiles connaissent bien !
Évidemment, entre clins d’œil appuyés (mais hilarants), gouleyantes expressions québécoises et improbables quiproquos, rien ne va se passer comme prévu… Mais rassurez-vous, même quand tout va mal au point de défier toutes les probabilités, il reste toujours l’humour comme solution ! Et de l’humour, Pascal Rabaté (1) en a à revendre pour que l’on passe encore un excellent moment de lecture avec sa nouvelle bande dessinée !
Quant à la tendre illustration, ronde, légère — et pas si éloignée de celle de son collègue scénariste quand il dessine — de François Ravard, elle est soutenue par une nostalgique teinte bleutée qui ambiance du plus bel effet cette agréable balade canadienne, aussi burlesque que poétique.
(1)   Sur Pascal Rabaté, voir aussi sur BDzoom.com : Rabaté règle ses comptes avec les apparences et les faux-semblants…, « Alexandrin : l’art de faire des vers à pieds » par Alain Kokor et Pascal Rabaté, « C’est aujourd’hui que je vous aime » : les années Giscard vues par François Morel et Pascal Rabaté…, « La Déconfiture T1 : Première Partie » par Pascal Rabaté, « Le Linge sale » par Sébastien Gnaedig et Pascal Rabaté, Avec « Fenêtres sur rue » (sortie fin août), Pascal Rabaté jongle avec différents arts : dont le 9e !, Pascal Rabaté et Simon Hureau, à propos de « Crève Saucisse », Rabaté met Trenet en BD !…
« La Loi des probabilités » par François Ravard et Pascal Rabaté
Éditions Futuropolis (18 €) — EAN : 9782754831949