Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Les aventures du fan-club de Spirou pendant l’Occupation !
L’univers de Spirou (que ce soit le personnage ou la revue) n’en finit pas de se développer : après « Gaston Lagaffe », « Marsupilami », « Le Petit Spirou », « Zorglub », « Champignac », « Super Groom », « Mademoiselle J. » ou les nombreuses versions du célèbre groom du Moustic Hôtel, voici une nouvelle série spin-off consacrée, cette fois-ci, aux membres des A.d.S. (le club des Amis de Spirou) et à un certain Jean Doisy. L’excellent premier recueil de leurs aventures, tout aussi humoristiques que dramatiques, est destiné à un jeune public (mais pas que…) et s’inspire d’une histoire vraie : les auteurs y rendent un hommage poignant à d’innocents lecteurs qui voulaient appliquer le code d’honneur du héros fétiche de leur magazine préféré et qui sont morts pour la Résistance !
Ce fan-club avant l’heure défendait des valeurs humanistes et a été mis en place quatre mois après la parution du premier numéro du Journal de Spirou, en 1938 : multipliant les réunions, activités sportives et collectives, insignes, badges, fanions…
 Jean Georges Evrard, plus connu sous son pseudonyme Jean Doisy, en était l’animateur et avait pour cela rédigé un code d’honneur dont le premier point (un ami de Spirou est franc et droit…) — sur neuf en tout — en résume toute la philosophie : ils seront un peu plus tard adaptés en strips et illustrés par l’immense Joseph Gillain, alias Jijé. (1) Au journal, Doisy faisait alors office de rédacteur en chef et signait aussi Le Fureteur en répondant au courrier des lecteurs. Par ailleurs, pendant la Deuxième Guerre mondiale, ce grand résistant créera, sous forme d’une marionnette conçue par André Moons, le personnage de Fantasio au sein du théâtre ambulant du Farfadet : la couverture d’un réseau exfiltrant, entre autres, des enfants juifs.
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L’essentielle implication de Doisy dans la Résistance belge et ses répercussions sur l’histoire du périodique des éditions Dupuis ont été racontées, avec forces de détails, dans le premier tome de l’indispensable « Véritable Histoire de Spirou » de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault.
À quand le troisième opus ?
C’est d’ailleurs la lecture de cet ouvrage (et les discussions avec leurs auteurs qui ont suivi) qui a donné l’idée à  Jean-David Morvan de développer les péripéties fictives — avec des gags un peu rétro, des bagarres dans des terrains vagues et diverses cavalcades — d’une attachante bande de gamins.
D’obédiences très diverses, leurs membres, affiliés aux A.d.S., vont ainsi devenir des héros pendant l’occupation de la Belgique par les troupes d’Hitler : un exemplaire et nécessaire hommage à une jeunesse qui ne voulait, alors, pas courber la tête et perdre sa liberté.
En septembre 1943, Le Journal de Spirou est empêché de paraître par l’occupant nazi. Ayant assisté à la rafle sanglante d’une famille par l’armée SS, un quintet de copains entreprend illico de mettre hors de danger une fillette qui en a réchappé par miracle, à leurs risques et périls. Dans la foulée, cette fine équipe, composée de fidèles lecteurs de l’hebdomadaire, décide de résister encore et toujours à l’envahisseur… et d’adapter leur code d’honneur à ces temps de guerre : en commençant par créer un magazine de BD satirique antinazi, sans oublier de tailler régulièrement des croupières aux jeunes rexistes (adeptes d’un mouvement nationaliste d’extrême droite en Belgique) qui défilent crânement dans les rues de Marcinelle.
Ainsi, entre réalité et fiction, le scénariste de « Sillage », déjà sensibilisé par le thème et l’époque avec ses réussis « Madeleine résistante » ou « Iréna » et « Simone » (deux séries également réalisées avec son complice graphique David Evrard — aucun lien de parenté avec Doisy —, dont le trait virevoltant et presque à contre-emploi fait merveille sur ses graves sujets historiques) nous a concocté un émouvant premier album documenté, truffé de références et de belles valeurs à transmettre, mais aussi plein de légèreté…
(1) Voir Les « Spirou » de Jijé (1ère partie), Les « Spirou » de Jijé (2ème partie) et Et Jijé apporta la fantaisie.
« Les Amis de Spirou T1 : Un ami de Spirou est franc et droit… » par David Evrard et Jean-David Morvan
Éditions Dupuis (14,95 €) — EAN : 979-1-0347-6318-4
Ce dessinateur est prévoyant. Si par malheur il était touché par la maladie de Parkinson, son style n’en souffrirait pas. i-)