Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...« Qui a cassé Enigma ? » : dans le labyrinthe du décodage…
En 1931, le Deuxième Bureau français met la main sur des documents exceptionnels : les copies documentant la conception d’une machine de chiffrement à cylindre utilisée par l’Allemagne nazie. Son nom, Enigma, résonne comme un défi en 1939, lorsqu’il devient crucial de comprendre les mouvements militaires de l’adversaire. Polonais, Français et Anglais allièrent de fait leurs forces et leurs cerveaux pour marquer l’histoire scientifique. En 120 pages, Fabien Tillon (longuement interviewé en fin d’article), Lelio Bonaccorso et Dermot Turing (le neveu d’Alan Turing) nous permettent de comprendre ce décryptage devenu un contre-la-montre décisif : un passionnant récit d’espionnage-clé, traité dans une ligne claire moderne et permettant de comprendre à lui seul les arcanes de la Deuxième Guerre mondiale…
L’histoire de la machine Enigma est connue de ceux qui ont notamment lu « Blake et Mortimer T23 : Le Bâton de Plutarque » (2014) et « Champignac T1 : Enigma » (2019) ou vu le film « Imitation Game » (Morten Tyldum, 2014), inspiré de la vie du mathématicien et cryptanalyste britannique Alan Turing (1912-1954). En 1938, ayant rejoint le centre secret de Bletchley Park, ce dernier sera l’initiateur de machines électroniques (prénommées bombes) permettant le décryptage quotidien de milliers de messages ennemis. S’il ne faut pas exagérer son rôle (voir plus loin), celui qui fut considéré comme l’un des pères de l’informatique moderne s’appuiera, initialement, sur les percées effectuées conjointement par les services secrets polonais et le renseignement français. Le nom de code adopté par le service d’espionnage français (PC Bruno) renvoyait aux 70 personnes réunies par le commandant Gustave Bertrand au château de Vignolles, à 40 kilomètres au sud-est de Paris. Bertrand était lui-même parvenu, dès 1931, à mettre la main sur une source (Hans-Thilo Schmidt) travaillant au sein-même du bureau du chiffre de la Reichswehr. Rester encore à comprendre comment fonctionnait Enigma, et si possible à s’emparer d’une machine originale : l’invention de l’Allemand Arthur Scherbius (1919) étant longtemps réputée inviolable…
Comme nous le voyons en couverture de « Qui a cassé Enigma ? », les hommes de l’ombre (du titre !) tentent d’effectuer un travail de fourmi, unis dans un univers pour le moins dangereux : vagues d’avions bombardiers, officier nazi inquisiteur, omniprésence de l’état policier et mystères de l’appareillage de chiffrage rendent la réussite de leur opération extrêmement improbable. Au-delà du logo titre, renvoyant tant à Will Eisner (les titres imaginatifs du « Spirit ») qu’aux superproductions cinématographiques des années 1950 (voir l’affiche de « Ben-Hur » en 1959), la teneur du scénario explique naturellement la présence du logo du ministère des Armées ; sachant aussi que, à l’occasion de son 40e anniversaire, la DGSE labellise et préface l’album. Probablement une première en France !
Divisé en trois chapitres racontant successivement les premières tractations des services secrets alliés, les primo-décryptages polonais (grâce au mathématicien Marian Rejewski), et les essais britanniques sous l’impulsion de Turing, l’album n’évite pas le traitement frontal du conflit. Du cruel bombardement de Varsovie jusqu’au commando lancé sur un U-Boot allemand dans l’Atlantique nord, la violence et la répression éclatent ; jusqu’à rattraper ceux – souvent demeurés inconnus et ici mis en lumière – qui œuvrèrent pendant près de 15 ans pour terrasser une machine qualifiée de « Minotaure électrique ». Le dossier documentaire de six pages présenté en fin d’album ouvrira, à ce titre, bien des perspectives, en répondant aux questions principales tout en faisant percevoir aux jeunes générations l’importance fondamentale des mathématiques. L’Histoire et la science y retrouvent figures humaines, derrière le terrifiant jeu des masques inhérent au monde des services secrets.
En complément à ce dossier, le scénariste Fabien Tillon a aimablement accepté de répondre à nos propres questions :
Comment s’est réalisé le travail autour de l’adaptation de l’ouvrage « Enigma, ou comment les Alliés ont réussi à casser le code nazi » (Nouveau Monde éd., 2019), signé par Dermot Turing, auteur également associé à cet album ?
Fabien Tillon (F. T.) : « Le livre de Dermot Turing est passionnant, mais très dense et riche. Du coup, mon premier souci a été de simplifier, tout en respectant la réalité des faits, les informations fondamentales. J’ai été notamment dans l’obligation de laisser de côté un aspect intéressant du dossier : l’existence d’un Bletchley Park français, durant la guerre. Le château de Vignolles, où se faisait également le décryptage d’Enigma… et même sous Vichy, ce qui est stupéfiant ! Vichy a longtemps mené une politique ambiguë, se lançant comme on le sait dans une collaboration de plus en plus avilissante, mais ne perdant pas de vue un canal de contact avec les Alliés, et notamment les Britanniques… Pour développer utilement ces détails peu connus, il m’aurait fallu un second ouvrage (clin d’œil à l’éditeur, blink blink !)… L’autre question fondamentale de l’adaptation, c’était la réalité humaine des personnages. Le livre de Dermot analyse des faits avant tout, et assez peu des caractères : ce n’est pas un romancier. Aussi, pour donner de la vie à ces êtres, il a fallu chercher ailleurs, deviner, extrapoler un peu parfois. L’essence des relations entre les agents français Bertrand et Rex/Lemoine m’a été inspirée par une remarque lue dans un livre de témoignages, et un peu de bon sens psychologique. Bertrand, en militaire de carrière, devait regarder avec un petit peu de distance un personnage plus interlope comme Lemoine, qui avait un côté très balzacien : viveur, espion, dandy, homme d’affaires habitué des palaces. De là l’espèce d’agressivité joueuse avec laquelle il le traite… Cela m’a permis d’installer entre eux une tension, ce qui les incarne plus intensément… Dermot a lu et validé le scénario au fur et à mesure que je l’ai écrit. Il nous a également permis de picorer dans son immense iconographie. »
Blake & Mortimer (dans « Le Bâton de Plutarque » en 2014) ou le comte de Champignac (dans « Enigma » en 2019) ont récemment été associés au décodage de machine de cryptage nazie, sans parler du film « Imitation Game », racontant dès 2014 cette part de la vie d’Alan Turing. Quelles différences ou quelles options adoptent votre album par rapport à ces précédentes œuvres ?
F. T. :« La première différence, c’est que l’on met en scène dans notre album des faits historiques avérés. Même si j’ai injecté du jus romanesque pour faire vivre cette histoire et lui donner de l’épaisseur humaine, c’est essentiellement un ouvrage réaliste. Les albums que vous citez utilisent davantage l’affaire Enigma comme toile de fond (même si elle est souvent assez bien renseignée), pour organiser leur suspense et donner une coloration. Même si ça me fait beaucoup rire d’imaginer Olrik, Mortimer et Blake mêlés aux recherches de Bletchey Park ! « Imitation Game », c’est autre chose. Ce film a installé dans l’opinion publique Alan Turing comme génie décrypteur du code et, finalement, sauveur de la guerre à lui tout seul ou presque. C’est tout à l’honneur de Dermot Turing, neveu d’Alan, d’avoir grâce à son ouvrage voulu remettre les choses à leur place. C’est ici la seconde différence majeure entre notre album et d’autres efforts romanesques sur le sujet. Loin du romantisme teinté de fierté nationale qui est l’option adoptée par les Anglo-Saxons pour raconter cette histoire, il faut admettre que le rôle de Turing, malgré tout le charme souriant de Benedict Cumberbatch, est en réalité historiquement relativement modeste. Turing n’a « que » contribué avec son équipe à casser la version d’Enigma utilisée par les nazis pour communiquer avec leur marine de guerre. Il a aussi contribué à l’essor des efforts industriels en matière de développement des supercalculateurs, notamment avec les Américains. Mais les véritables « tombeurs » d’Enigma, ceux qui ont les premiers cassé le code et compris comment marchait cette machine infernale, ce sont les Polonais de l’équipe du Bureau du Chiffre à Varsovie, et notamment le génial mathématicien Marian Rejewski ; et ce, dès les années 1930. Ce sont eux également qui ont eu l’idée des premiers supercalculateurs, les « bombas », ces ancêtres des ordinateurs… « Imitation Game » est d’ailleurs d’une mauvaise foi assez joueuse sur ce chapitre – malgré les qualités du film – , puisque, au détour d’un dialogue, Alan Turing/Cumberbatch reconnait s’être inspiré de « recherches polonaises » pas menées assez loin selon lui – entendez : « des trucs de continentaux mal fagotés, mais nous autres Anglais, hein…! ». C’est un travers très british, et c’est d’ailleurs l’un de ces défauts pour lesquels on les adore : regarder le continent du haut de leur Tour Insulaire, avec un air vaguement dégoûté, et une sorte de commisération distinguée… Mais si Boris Johnson lit ces lignes, qu’il le sache et qu’il médite ces mots : « Reviens, Boris ! Tout est pardonné ! Vous nous manquez !! « . »
Les Polonais tentent dès la fin des années 1920 de déchiffrer les messages allemands, mais quid, dans ce contexte menaçant, des services secrets français ?
F. T. :« Le rôle des services tricolores a été déterminant. C’est parce que Source Asche – un fonctionnaire allemand – a décidé de vendre les secrets de son pays à la France, que les services français ont été très tôt informés des dangers d’Enigma. Dès lors, ils ont tenu le rôle d’animateur, de rassembleur et de source d’information, grâce à la clairvoyance de Bertrand et son équipe, et ont entrainé les Alliés dans une véritable course contre la montre pour casser le code avant qu’une nouvelle guerre ne soit déclarée avec le Reich. Comme je vous le disais plus haut, le code a été brisé grâce aux efforts franco-polonais durant les années 1930, ralliés par les Britanniques vers la fin de la décennie, mais entretemps les Nazis ont rendu la machine plus complexe encore, plus vicieuse, et ont multiplié les versions selon les types d’armes (une Enigma pour la Marine, une autre pour l’Armée de terre, pour l’aviation, etc.). Cela a rendu les efforts des années 1930 inopérants à l’heure où commence la guerre. D’où l’importance du relais qui se fait ensuite à Bletchley Park en Grande-Bretagne (où se trouve Turing et des dizaines d’autres crypto-analystes, mathématiciens, cruciverbistes, traducteurs, ingénieurs…), ainsi qu’au Château de Vignolles en France (dans une moindre mesure), pour affronter les nouveaux défis posés par Enigma… Et pas que par Enigma d’ailleurs : il y avait aussi le code Lorenz, aussi important peut-être, qui permettait aux hauts dignitaires nazis de communiquer entre eux. L’armée nazie était diabolique sur ces sujets là, comme dans d’autres domaines d’ailleurs… Le plus drôle, c’est que les armées anglo-saxonnes ont adopté après-guerre des machines de codage directement inspirées d’Enigma, dans le cadre cette fois de la guerre froide, pour embrouiller les Russes ! C’était, je crois, les systèmes SIGABA ou ADONIS pour l’OTAN. Mais les Soviétiques avaient leur propre bidule, un embrouilleur de première force appelé FIALKA. En cyrillique, en plus : cerise sur le gâteau. »
Raconter et représenter les opérations de décryptage est un casse-tête de scénariste autant qu’un défi de dessinateur : comment faire pour rendre les choses lisibles par les lecteurs ? Avez-vous anticipé l’image du labyrinthe et du Minotaure, éléments présentés sur quelques planches ?
F. T. :« En fait, il y a un secret cousinage entre la bande dessinée et le codage. Il s’agit toujours de signes à interpréter, pour lesquels il faut avoir une grille de décodage, une manière spéciale de lire et d’écrire. J’ai toujours été frappé par la difficulté de compréhension que l’on ressent, en tant que lecteur, quand on commence à lire des mangas (donc de droite à gauche) : plus rien n’est clair, le moindre détail cafouille, on est dans un autre monde… Le gaufrier d’une planche ressemble étonnamment à une grille de décodage (et même à un message Enigma), avec ses cases, ses blancs, son architecture de sens. C’est cet aspect de ressemblance frappante qui m’a donné l’idée de jouer, dans certaines pages, avec cette thématique du « gaufrier », laquelle entrait en résonnance avec d’autres images, d’autres métaphores : celles du plateau d’échecs, du mot croisé, du labyrinthe, du parquet damassé des couloirs d’hôtel… Dans ce cadre, la figure du Minotaure s’est imposée comme le visage démoniaque donné à Enigma. Notre album peut-être lu, d’ailleurs, comme une errance dans un grand labyrinthe de sens, depuis la perte de repères de Schmidt au début de sa relation avec Bertrand et Lemoine, lorsqu’il s’égare dans le hall de l’hôtel où ils ont rendez-vous, jusqu’à l’arrestation de Lemoine et des autres, à l’autre bout du labyrinthe, dans un hall d’hôtel similaire, de l’autre côté de l’échiquier. Lorsque Schmidt entre dans le tunnel de la trahison qui le mènera à révéler l’essentiel des secrets d’Enigma, nous avons opté, l’espace d’une image avec Lelio et Francesco, pour une mise en scène proche de celle d’ « Alice au pays des merveilles ». Schmidt pénètre dans un terrier fou : celui de l’espionnage de guerre. Par ailleurs, l’album se finit par une dernière planche d’ « énigme », où l’on demande en quelque sorte au lecteur de deviner quel est notre dernier mot sur notre propre histoire (je vous rassure, le « code » n’est pas trop compliqué à analyser, du moins je l’espère : c’est surtout une suite de petites images). »
Votre album laisse une grande part à l’humour, du moins jusqu’aux séquences montrant l’invasion de la Pologne : des choix scénaristiques délibérés ?
F. T. :« Bien sûr, il était important d’alléger tout cela avec de la distance et de l’humour. De toute façon, je ne crois pas au tragique durable, dans la vie comme dans la narration : on n’est pas toute la journée à faire la tête, même si la tension est vive. Il y a toujours un rire ou deux pour nous sauver. J’aime beaucoup, chez Malraux, le personnage de Clappique [dans « La Condition humaine » (1933) : un antiquaire reconverti dans le trafic d’armes] : chaque homme est à lui-même son propre tragédien, mais aussi son propre bouffon. Mais bien sûr, face à l’horreur, il devient plus difficile de s’échapper par ce biais. C’est pourquoi l’humour s’efface devant la guerre, à partir de l’invasion de Varsovie, cette ville-martyr… C’était étrange : nous avons regardé les épreuves du livre à peu près au moment de l’invasion russe en Ukraine, et le sort de Varsovie dans notre roman graphique devenait celui de Kiev dans la réalité… encore un effet de labyrinthe. »
« Casser Enigma » fut aussi un pari portant sur l’intelligence collective, avant l’usage de l’ordinateur : une manière de rendre hommage au génie humain ?
F. T. :« J’avais prévu une autre fin que celle que j’ai adoptée, mais que j’ai dû retrancher car elle était trop gourmande en place. Après avoir cassé le code de la marine, Turing allait boire un verre dans la hutte 2, la hutte réservée aux libations à Bletchley Park. Il y retrouvait son équipe et l’équipe de John Tiltman, qui a cassé le code Lorenz. La conversation roulait sur les « bombas » et Colossus – un super-super calculateur, le plus gros construit à B. Park -, et sur les perspectives de ce que l’on n’appelait pas encore l’intelligence artificielle. Turing a été précurseur sur cette théorie menant aux ordinateurs. Et j’avais envie que, dans cette conversation, Turing et/ou Tiltman expriment des réserves, une sorte de peur face à l’élan menant aux ordinateurs. C’est le démon de la guerre qui a poussé au développement des prémices de l’intelligence artificielle pour contrer des codes diaboliques, du coup, est-ce que ces intelligences non-humaines ne sont pas, elles-mêmes, un peu diaboliques ? L’ordinateur nous a certes aidés à grimper sur la lune, mais aujourd’hui il guide des missiles super-supersoniques et aide à déliter la démocratie en créant une agora mondialisée où les démagogues sont les rois. Ces machines sont-elles vraiment nos amies ?… Du coup, ces interrogations morales de Turing auraient été confirmées par une femme, qui aurait eu le denier mot de l’histoire, en assurant que « tout ne peut pas être décodé, tout ne peut pas être élucidé, il faut laisser au monde sa part de mystère ». Et, alors, on aurait fini en « fondu » sur une image du sourire de la Joconde (sous la forme d’une photo accrochée aux cintres de la hutte 2, au-dessus du bar), en gros plan de plus en plus rapproché… L’énigme de l’amour et du désir, au centre des mystères du monde ! Moralité : c’était compliqué, et il me fallait au moins vingt pages de plus !… C’est donc tombé dans la poubelle à idées… Pour répondre plus directement à votre question : oui, bien sûr, face à la raideur froide de la machine, le livre est aussi une exaltation de la fraternelle collaboration des cerveaux humains entre eux, et ce pour améliorer le sort de l’espèce. C’est aussi un salut à l’éternelle chaleur de l’amour… Le paradoxe de nos amis décrypteurs, c’est qu’ils ont accéléré la naissance de l’ordinateur en faisant de leur énergie et de leur intelligence collective, typiquement humaines, leur meilleur arme, et ce faisant ont donné naissance à quelque chose de très ambiguë, de pas très humain, la machine à « super-calculer ». En voulant lutter contre le Minotaure, ils ont contribué à créer un autre Minotaure. »
Comment a été pensée et réalisée la 1ère de couverture ?
F. T. :« C’est le second projet qui a été retenu. Le premier, que l’on n’a pas poursuivi par une mise en couleur, se trouve dans le cahier à la fin de l’album. Le dessin choisi vient essentiellement d’une collaboration entre Lelio Bonaccorso et Francesco Segala, respectivement dessinateur et coloriste de l’album, sur la base d’un mixte entre une approche « ligne-claire » modernisée, ce qui était notre approche graphique de principe pour tout l’album, et un héritage davantage cherché du côté de Will Eisner, pour le jeu entre les échelles et le « pan de mur Enigma », qui porte aussi le titre et évoque la machine elle-même. Pour ma part, j’ai eu l’idée de rajouter les nuées d’avions dans le ciel, pour marquer une menace. Une bonne collaboration entre humains sans ordinateur, donc ! »
L’on connaissait des albums de BD coédités par le ministère des Armées, des associations d’anciens combattants ou par les Archives nationales ; mais la participation – et la préface – de la DGSE est une première ! Le sujet à lui seul justifie-t-il cet intérêt particulier ?
F. T. :« Du point de vue de la DGSE, il y a certainement une politique d’ouverture, qui date de quelques années, où cette institution mal connue a progressivement rompu avec des décennies d’existence discrète (en apparence) pour assumer plus publiquement son identité, en ouvrant plus largement ses archives, etc. C’est certainement une bonne chose pour la démocratie : il est utile que les citoyens soient plus conscients des missions d’espionnage et de contre-espionnage qui sont nécessaires à la nation, qu’ils sachent davantage comment ça se passe, pourquoi, comment… Il y a là-dedans bien sûr une part de communication, mais aussi je crois une volonté d’être plus transparents. Bon, on ne va pas pouvoir consulter tous les secrets demain et en apprendre autant que nos gouvernants, il ne faut pas se leurrer ! Ce serait d’ailleurs absurde. Mais le mouvement est louable, et c’était intéressant de le saluer. Par ailleurs, il me semble que, étant donné les dangers que nous allons affronter dans le futur, les guerres qui deviennent plus précises à nos frontières, les menaces numériques de toutes sortes, la pression croissante des antidémocrates, l’énigme que représente la Chine moderne, j’en passe et des encore pires, il est louable de chercher une meilleure compréhension mutuelle et que l’on soit bien tous ensemble. »
Ultime question rituelle : avez-vous de futurs projets en commun avec Lelio Bonaccorso ?
F. T. : « Plein ! L’équipe de graphistes italiens composée de Lelio et Francesco, auquel il faut rajouter l’aide à l’encrage de Fabio Franchi, est remarquable. C’est la première fois qu’ils se confrontaient à la « ligne claire » très franco-belge, version modernisée, et je trouve qu’ils s’en sont remarquablement bien tirés. Mais ils ont eux-mêmes des tas de projets en turbine, alors il va falloir trouver le moment où nos horloges vont à nouveau coïncider. J’aimerais en tout cas relancer les dés avec eux dans pas trop longtemps sur une autre aventure historique d’espionnage. Mais je suis moi-même bien pris en ce moment par plusieurs autres projets d’albums avec Gaël Remise, Paolo Cossi et Frédérique Rich. Horizons divers ! Il y a tellement d’images à tirer de ce monde, et à lui renvoyer. »
Merci beaucoup pour toutes vos réponses et pour vos futurs projets !
Philippe TOMBLAINE
« Qui a cassé Enigma ? » par Lelio Bonaccorso, Fabien Tillon et Dermot Turing
Éditions Nouveau Monde Graphic (19,90 €) – EAN : 978-2380942972
Parution 6 avril 2022