Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...«Les Aventures de Tintin T7 : L’Île noire » : le vrai du faux selon Hergé…
Récit policier mené tambour battant, « L’Île noire » témoigne en 1938 de la maîtrise accrue d’Hergé dans le domaine narratif. Prépubliée dans Le Petit Vingtième à partir du 15 avril 1937, cette septième aventure de Tintin conduit notre héros jusqu’en Écosse, sur la piste d’une bande de faux-monnayeurs dirigée par le redoutable professeur Müller. Conjuguant avec brio le thème de la technicité moderne et les mythes anciens issus de la littérature d’épouvante, l’album est également devenu mythique dans l’histoire de la Bande dessinée : il est en effet l’un des rares à avoir connu trois versions différentes, parues chez Casterman en 1938 (noir et blanc), 1943 (version colorisée) et 1965 (version refondue). C’est sous cet angle original que l’on analysera l’évolution de son intrigante couverture avec le plus – fantastique ! – intérêt…
Régulièrement et plus encore depuis le début du confinement lié au Covid-19, la rubrique « L’Art de… » s’en retourne vers de grands classiques : après nos précédents dossiers (1) consacrés aux « Cigares du pharaon », à « L’Étoile mystérieuse », aux « Sept Boules de cristal » ou à « Tintin au Tibet », voici donc analysée la couverture du septième opus des aventures de Tintin. Tout démarre, nous l’avons dit, avec le lancement de la prépublication de cette nouvelle aventure le 15 avril 1937 dans Le Petit Vingtième, le supplément jeunesse du quotidien belge Le Vingtième Siècle. Débuté un mois et demi après la fin de « L’Oreille cassée », ce récit en noir et blanc se poursuivra durant 120 planches jusqu’au 16 juin 1938, au rythme hebdomadaire de deux pages en vis-à-vis. Comme pour l’histoire précédente, celle-ci ne comporte pas encore de titre spécifique : l’en-tête mentionne uniquement la mention « Les nouvelles aventures de Tintin et Milou ». Multipliant par ailleurs les travaux (illustrations, hors-textes, cul-de-lampe, titres de rubriques, publicités, etc.) en plus de ses planches pour « Tintin », « Jo, Zette et Jocko » ou « Quick et Flupke », Hergé va en priorité dessiner les trente-trois illustrations de couverture destinées au Petit Vingtième, afin d’accompagner au mieux les nouveaux exploits de son « fameux reporter ». Outre l’annonce visuelle de la prépublication (couverture n° 14, le 3 avril 1937), ces illustrations successives mettront naturellement et alternativement en scène les principales thématiques et moments-clés du récit : l’enquête (et les gags…) des Dupond et Dupont (n° 16 du 22 avril, n° 18 du 6 mai, n° 19 du 13 mai, n° 50 du 16 décembre ; numéros 21 et 22 des 26 mai et 2 juin), la dangereuse course-poursuite engagée entre Tintin et les gangsters (n° 21 du 27 mai, n° 22 du 3 juin, n° 25 du 24 juin, n° 29 du 22 juillet, n° 32 du 12 août, n° 37 du 16 septembre, n° 38 du 23 septembre, n° 40 du 6 octobre ; n° 18 du 5 mai), le rôle humoristique de Milou ou des pompiers (n° 24 du 17 juin, n° 28 du 15 juillet, numéros 33 et 34 des 19 et 26 août), les moyens de locomotion (n° 42 du 21 octobre, n° 43 du 28 octobre, n° 45 du 11 novembre, n° 47 du 25 novembre ; n° 16 du 21 avril) ainsi que le folklore et les mystères écossais (numéros 2, 3 et 4 des 13, 20 et 27 janvier, numéros 6, 8 et 9 des 10, 17 et 24 février, n° 9 du 3 mars). Au milieu de cette trentaine de couvertures, très peu permettent en vérité la future création du visuel de l’album : soit parce qu’elles se focalisent trop sur une étape du récit, soit parce qu’elles ne mettent pas en scène Tintin ou soit, encore, parce qu’elles ne rendent pas compte de la nouvelle destination étrangère du héros. Car, après la Russie, le Congo, l’Amérique du Nord, l’Égypte, l’Asie et l’Amérique du Sud, les lecteurs du moment sont en droit de s’interroger à ce propos : où les mènera donc cette fois-ci le remuant jeune homme à houppette ?
Dans l’œuvre d’Hergé, qui avait savamment entrepris avec « Tintin » une entreprise méthodique d’exploration du monde, l’épopée anglo-écossaise s’explique assez simplement. Elle répond à son anglophilie manifeste, laquelle trouve en partie ses racines dans les liens privilégiés qui unissent alors la Belgique à la Grande-Bretagne. En avril 1937, Hergé n’hésite pas – et c’est une première – à effectuer un voyage de repérage afin d’accroître la vraisemblance de la représentation des paysages et des lieux : il visite Londres, le Sussex et ramène plusieurs cartes postales du village d’Arundel, situé au sud du pays. Surplombant la ville, le château-fort du XIe siècle, ancien fief des ducs de Norfolk, n’échappe probablement pas à l’œil curieux du dessinateur… Dans le scénario d’Hergé se glissent d’autres ingrédients et d’autres références : il remet d’abord en scène le trafic de fausse monnaie, qui bat alors son plein depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Il dénonce ensuite la montée du nazisme et les tentatives de sabotage de la démocratie en faisant de Müller (un nom aux consonances germaniques) le nouvel antagoniste de Tintin. L’auteur a repris à son compte l’histoire de Georg Bell, un Écossais naturalisé allemand et proche du parti nazi, impliqué dans une affaire de fausse monnaie destinée à déstabiliser l’Union soviétique. Hergé enfoncera un peu plus directement le clou antifasciste avec le tome suivant, « Le Sceptre d’Ottokar », dont la prépublication démarrera à son tour en août 1938. Du côté de la fiction, Hergé s’inspire tout à la fois du monstrueux « King Kong » (1933), des légendes du Loch Ness (des clichés de Nessie trouvent un écho médiatique international à partir de 1933) et d’Alfred Hitchcock avec son film d’espionnage « Les 39 Marches », réalisé en 1935 et dont la majeure partie de l’action se déroule… en Écosse. L’on a aussi retrouvé, au sein des archives hergéeennes, le petit carnet que l’auteur emmenait partout avec lui. Il y avait noté plusieurs idées, mots-clés et amorces scénaristiques : on y trouve notamment un début de trame opposant Tintin à une bande d’anarchistes originaires de Balkans (idée recyclée dans l’album suivant), une poursuite située dans (ou sur…) un train, ainsi que différents titres comme « Le Castel maudit », « Le Manoir mystérieux » ou « Fausse Monnaie »…
En France comme en Suisse, dans les années trente, la prépublication des planches d’Hergé s’effectue dans les journaux catholiques Cœurs vaillants et L’Écho Illustré, parfois des mois après la Belgique. Dans le cas de « L’Île noire », c’est Tintin lui-même (présenté à ses lecteurs comme un personnage réel) qui introduit sa nouvelle aventure, laquelle débute dans Cœurs vaillants n° 16 le 17 avril 1938, un an après son démarrage en Belgique. En raison d’une différence de format, les planches et cases y sont modifiées, inversées, voire supprimées. Surtout, un titre inédit les surplombent : « Le Mystère de l’avion gris », écrit alternativement en lettres rouges ou noires, en différentes polices, et parfois en cursives. Quand vient l’heure de livrer aux éditions Casterman le matériel nécessaire à la composition de l’album, Hergé se met à réaliser le titre, l’illustration de couverture ainsi que quatre hors-textes avec indications de coloriage. Or, et à l’évidence, il faudrait idéalement, que son visuel de couverture diffère du choix des hors-textes, ce qui laisse en vérité très peu de marge au dessinateur. En conséquence, Hergé va choisir de présenter en couverture le cœur de son intrigue, cette fameuse île mystérieuse qui pourrait bien abriter le repaire secret des faux-monnayeurs. Si les ruines médiévales rajoutent à l’image gothique des lieux, elles font surtout références à tout un pan de littérature fantastique, du « Château des Carpathes » de Jules Verne (1892) à « Dracula » (Bram Stoker, 1897) en passant par « La Belle et la Bête » (Marie Le Prince de Beaumont, 1765). Reprenant visuellement la posture de Tintin arrivant en compagnie de Milou dans le village de Kiltoch (couverture du Petit Vingtième datée du 20 janvier 1938), Hergé le représente vêtu du kilt à tartan traditionnel, de chaussettes en laine remontées jusqu’aux genoux, d’un pull bleu marine, du sporran (sacoche accrochée sur le devant) et du tam o’shanter, le béret orné d’un pompon rouge. Afin d’accroître la dimension spectaculaire de l’image et de donner l’impression au lecteur de plonger littéralement dans l’aventure, il en accentue tous les aspects inquiétants : rochers froids et abrupts, sinistres falaises tombant à pic dans des flots houleux, ruines et tours inhabitées environnées de nuées d’oiseaux noirâtres. Rajoutons un ciel à l’atmosphère orageuse et la mine peu inspirée de Milou pour compléter ce tableau peu engageant, correspondant toutefois parfaitement au titre définitif : « L’Île noire ».
C’est en août 1938, dans un courrier d’Hergé adressé à Charles Lesne (le directeur éditorial de Casterman) qu’apparaît pour la première fois la mention du titre « L’Île noire ». Réalisée début octobre, la couverture donnera donc lieu à la toute première version de l’album (124 pages en noir et blanc), alors édité à 5900 exemplaires. Hergé, qui souhaitait voir son nom mentionné au-dessus de « Les Aventures de Tintin. Reporter » et des lignes vertes dans le kilt de Tintin, sera partiellement déçu lors de la réception de cette première mouture. Dans la foulée, Lesne accède partiellement à sa demande, dans la mesure où toutes les couvertures ne sont pas encore encollées sur les cartons (les collectionneurs parleront en conséquence de maquette « à petite image collée »). Les premiers albums arriveront in extremis sur le marché belge le 20 novembre 1938, à quelques jours seulement de la festive Saint-Nicolas du 6 décembre. Le kilt de Tintin, qui est encore rouge dans le troisième hors-texte de l’album, est donc présenté logiquement de la même manière sur la couverture.
Fin 1941, alors que les ventes des albums explosent mais que la distribution du papier est contingentée par l’occupant allemand, une réimpression est proposée par Casterman. Il s’agit de procéder à un ultime retirage de 4 950 exemplaires en noir et blanc, avant le passage en couleurs. 5 000 exemplaires couleurs sont imprimées à la mi-octobre 1942, les visuels de couvertures (imprimés sur du papier blanc) étant élargis à la totalité de la surface visible : Hergé recompose donc son visuel, désormais plus aéré. Les falaises prennent de la hauteur, des détails et du relief, idem pour les ruines (non masquées par le corps de Tintin) et pour l’espace maritime. Les oiseaux, plus nombreux encore, donne pleinement l’impression que les forces du mal logent dans le donjon. Le kilt est désormais ligné de bleu et de jaune (il est toujours rouge dans l’album), les chaussettes teintés d’un bleu clair ligné de jaune (noires et jaunes dans l’album) et le pull teinté d’un bleu plus clair. Le titre, lui, restera en « noir(e) », non seulement en raison de son sujet, mais parce que la seule autre solution envisageable était le bleu, couleur complémentaire du (ciel) jaune. À l’intérieur de l’album, les 124 planches initiales seront assez facilement remontées pour donner lieu à un total de 62 pages couleurs, le lettrage étant entièrement refait. Le succès, immédiat, fera que cette version se retrouve à son tour épuisée dès septembre 1943. Mais, parce qu’il évoque complaisamment le Royaume-Uni, « L’Île noire » se verra refuser par l’occupant le droit d’être réimprimé : les tintinophiles devront patienter jusqu’en 1944…
L’histoire des différentes éditions, versions et exemplaires de travail étant pleine de surprises et d’inconnues, nous renverrons nos lecteurs aux articles de notre collaborateur Gilles Fraysse, regroupés sous le titre « Tintin : le mystère des éditions alternées ». Revenons à « L’Île noire » et à sa couverture pour évoquer enfin la dernière mouture, parue en janvier 1966 sous un visuel inédit. Dans les années cinquante et soixante, le fossé se creuse entre les décors années trente de l’album et la réalité contemporaine de l’Écosse et de l’Angleterre. Le style d’Hergé, assisté par les dessinateurs des Studios, s’étant lui-même transformé, le maître va décider de donner un coup de jeune à ses premiers albums jugés poussiéreux. Une réfection totale de « L’Île noire » est donc prévue à la fin de l’année 1961, passant nécessairement par la modernisation de l’ensemble des habitations, modes de transports et moyens techniques dessinés au fil des pages. L’éditeur anglais Mathuen établit la liste de tous les détails qui nécessitent une modification graphique, tandis qu’Hergé charge son collaborateur Bob de Moor de se rendre au Royaume-Uni en octobre 1961 pour y réunir toute la documentation nécessaire, en accumulant des centaines de croquis et de photos. Mission dont Bob de Moor s’acquittera sans faillir, allant jusqu’à ramener à Hergé un costume de bobby (policeman) londonien !
La prépublication de cette aventure longuement et patiemment remaniée paraît comme il se doit dans les versions française et belge du journal de Tintin, à partir du 29 avril 1965 (n° 862 ; n° 22 du 1er juin pour l’édition belge). Le 7 septembre, Hergé soumet à Louis-Robert Casterman son nouveau projet concernant la maquette de couverture, qui reprend un ancien visuel du Petit Vingtième : à l’unisson de la plupart des couvertures de « Tintin », elle montre l’intrépide héros se dirigeant – à pied ou à l’aide d’un mode de transport plus ou moins exotique, généralement accompagné par Milou, Haddock ou Tournesol – vers la cible aventureuse. C’est désormais à bord d’un canot à moteur que Tintin fonce résolument vers la toujours inquiétante île noire, flanquée de ses ruines escarpées et de ses nuées de volatiles noirâtres. Se détachant sur l’horizon, cette autre îlot fantastique (digne de celle hantée par Nemo ou par le docteur Moreau), devenu pour le moins mythique au fil des rééditions, se trouvera ultérieurement remodelé dans une veine similaire ; à commencer par le premier plat de « Tora Torapa », le vingt-troisième album de « Spirou » signé par Jean-Claude Fournier en 1972. S’il semble que les principaux collaborateurs d’Hergé (De Moor et Jacques Martin) aient mis la main à la pâte tant pour les décors et véhicules que pour proposer des versions alternatives (huit en tout) de ce visuel de couverture, encore leur faut-il l’aval d’Hergé. Alors en vacances en Sardaigne, ce dernier va donc recevoir en juin 1965 les 8 projets concernant la couverture de la nouvelle édition. Parmi eux, le choix du maître s’imposera unanimement. Pour être absolument certain qu’il ne subsiste aucune erreur, Casterman va envoyer quelques exemplaires de la nouvelle mouture à ses interlocuteurs britanniques. Rassuré, l’éditeur mettra enfin en vente au printemps 1966 cette troisième version de « L’Île noire » (datée de 1965 par les puristes !), qui trouvera un accueil réservé : les lecteurs, préférant attendre une véritable aventure inédite de Tintin, lui reprocheront ses décors trop précis, nuisant à la narration et venant ruiner l’irréalité poétique de l’Angleterre de pacotille décrite dans l’ancienne version. En 2003, les ventes totales de « L’Île noire » dépassaient toutefois les 5,4 millions d’exemplaires, prouvant ainsi l’éternelle aura atteint par la série… noire.
Ultime pirouette : le 16 février 1979, « L’Île noire » est de retour en une de Tintin (n° 180 en France) avec la résurrection d’un visuel concocté en 1965. L’image ne sera qu’un prétexte servant alors à distiller les articles rédactionnels « Tintin Story », écrits par Christian Goux et destinés à montrer une part de la documentation et des repérages ayant servi aux différents albums. Évoqué pour sa part dès novembre 1978 (n° 165 français), « L’Île noire » servira de moyen de comparaison entre ses versions 1938 et 1966. Dans ce jeu de renvois et de reflets systémiques, l’on retiendra le thème initial d’Hergé : les réalités alternatives d’un monde de fiction où les usages de faux se cachent derrière les mythes du folklore. Il en ira de même pour la reconstruction iconique des ruines surplombant cette île noire, que certains supposent provenir des croquis réalisés par Bob de Moor au château écossais de Lochranza (au nord de l’île d’Arran) et d’autres encore de Locquénolé (Finistère). Il n’y a que les images qui nous hantent durablement…
Philippe TOMBLAINE
(1) Voir aussi l’article d’Yves Morel : « L’Île noire » : une aventure de Tintin librement inspirée du réel !
« Les Aventures de Tintin T7 : L’Île noire » par Hergé
Éditions Casterman (11,50 €) – ISBN : 9782203001060
bonjour,
excellent dossier,
j’espere pareil pur tout les albums de tintin.
Oui !!
Magnifique dossier.
Et la succession des visuels est édifiante !
On a l’impression de tout comprendre et de tout pouvoir comparer !
Et comme c’est un de mes albums préféré de Tintin, c’est un plaisir de voir tous ces dessins en même temps.
Excellent travail comme d’habitude sur ce site dès qu’on aborde le patrimoine. Merci encore pour tout ce travail fourni avec générosité.