Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Deux petits tours à la plage ?
Passer ses vacances à l’hôtel ou séjourner dans la maison familiale le temps d’un été, c’est à coup sûr se forger des souvenirs, des bons et des moins bons. Et ce sont eux qui réapparaissent plus forts que jamais quand il est question de vendre « La Maison de la plage »; ce sont eux, encore, qui tissent des liens étroits, voire tendus, entre l’« Ariston Hotel » et ses propriétaires, des souvenirs quelquefois très douloureux, qu’on soit en France ou en Italie…
Dans « La Maison de la plage », Victor L. Pinel et Séverine Vidal évoquent une de ces maisons qui ont réuni tous les étés parents, enfants, petits-enfants… jusqu’au jour l’un d’entre eux souhaite pour des raisons pécuniaires qu’on vende « Les Trémières », la belle propriété balnéaire. Tout le monde se réunit pour statuer sur son sort et c’est la soupe à la grimace. Cela sera-t-il le dernier été dans cette maison qui a connu toute leur enfance, abrité tant de souvenirs, partagé tant de souffrances aussi ?
Trois parties composent le récit et permettent de remonter le temps, de l’été 2018 (indication en page 2 peu visible, d’ailleurs) à l’été 1968 en passant par l’été 1959. On découvre d’abord toute la famille au milieu de ses joyeuses retrouvailles jusqu’à l’arrivée de l’oncle Albert, source de la discorde. Suite au décès des grands-parents, il veut récupérer sa part pour aller s’installer aux Etats-Unis, près de son fils et, du coup, il faut vendre.
Les conversations mettent l’accent sur ce qui a réuni les petits-enfants, d’une indication mystérieuse sur un mur à la mort accidentelle de Thomas, le mari de Julie, enceinte. Ce qui a fait le quotidien de ces étés en Loire-Atlantique, les anecdotes, les habitudes, les rituels (les glaces de chez Briant, les concours de châteaux de sable, les barbecues, les amours d’été…), ce qui réunit, mais aussi ce qui sépare, tout ce qui fait une famille, tout ce qui la soude et tout ce qui la sépare au fil des destins individuels, se construit sous nos yeux.
Le récit est très bien mené, attachant, et on entre très vite en sympathie avec les personnages, nombreux et divers, petits et grands composant peu à peu une jolie brochette de portraits. L’album est d’autant plus séduisant que les dessins de Victor L. Pinel aux couleurs d’une grande douceur apportent une incontestable légèreté à cette chronique pleine de nostalgie, de petits bonheurs, un brin désenchantée et souvent savoureuse, un récit intimiste et pourtant universel, qui tient aussi sa force de cette promesse manuscrite écrite autrefois sur la tapisserie…
Avec « Ariston Hotel » de Sara Colaone et Luca De Santis, l’idée est aussi de raconter le destin familial au travers d’un lieu, celui d’un hôtel situé sur la côte adriatique. Le récit est ici plus éclaté, volontairement construit comme un puzzle qu’il faut reconstituer au fil des conversations des habitués de l’hôtel et de son personnel, le tout en trois actes : 1955, 1966 et 1975, trois étapes de la vie d’un lieu de vacances autour de Renata, la propriétaire.
L’enjeu de l’album est en effet d’évoquer l’évolution des mœurs et celle des femmes en Italie, ce qu’explique très clairement la postface, « L’histoire, une affaire de femmes ». Les clés sont données pour mieux comprendre des faits d’actualité italiens qui nourrissent le récit, mais on apprécie vite les points de vue qui s’opposent selon qu’on est comtesse ou femme de ménage, selon qu’on valorise la tradition ou l’émancipation. Bien que commençant en 1955, le récit n’oublie pas non plus le passé, celui de la guerre et de l’Italie fasciste, dont bien des éléments sont très présents, notamment dans les souvenirs de certains des personnages.
Graphiquement, le pinceau de la dessinatrice Sara Colaone esquisse, croque les visages, stylise les personnages, jouant l’efficacité et s’attardant peu sur les décors. Elle s’est fait connaître par l’album « En Italie, il n’y a que des vrais hommes », déjà avec Luca de Santis (Dargaud, 2010) et, plus récemment, par « Leda Rafanelli, la gitane anarchiste » (publié chez Steinkis et présenté ici-même sur BDZoom).
Didier QUELLA-GUYOTÂ ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« La Maison de la plage » par Victor L. Pinel et Séverine Vidal
Éditions Marabulles (17, 95 €) – ISBN : 978-2-5011-2237-5
« Ariston Hotel » par Sara Colaone et Luca De Santis
Éditions Ici-Même (25 €) – ISBN : 978-2-369120520