Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Dreams factory T1 : La Neige et l’acier » par Suheb Zako et Jérôme Hamon
Nul ne peut contester qu’il était beaucoup plus difficile de vivre dans un quartier ouvrier à la fin du XIXe siècle que dans le même quartier aujourd’hui. En 1892, la petite Indira descend tous les jours au fond d’une mine de charbon pour gagner de quoi survivre pour elle et son frère. Celui-ci est fasciné par les jouets mécaniques produits par une gigantesque usine qui domine leur pauvre demeure. Mais cette mystérieuse usine à rêves cache de sombres secrets qui nous sont lentement révélés dans cette excellente BD steampunk.
C’est l’hiver dans un Londres de 1892 réinventé dans un style steampunk, la neige recouvre le quartier pauvre où vit Indira. La petite fille est appelée à l’aube par son père qui coupe déjà le pain du maigre petit déjeuner.
Elle se lève, prend vite son casque et se dirige vers la sortie de la masure quand un cri de joie la retient. Cest Eliott, son petit frère, qui se réveille émerveillé par la vision de la neige qui tombe et commence à recouvrir la cité.
Le petit garçon tout à sa joie de se projeter dans une future bataille de boules de neige ne remarque pas que sa grande sœur saigne du nez. Elle le rassure, parle de fraises, mais elle sait que c’est le premier symptôme d’une terrible maladie ; la silicose.
Avec d’autres enfants, Indira travaille dur toute la journée au fond d’une mine de charbon. Si Olin, le grand et vieux contremaître, se soucie de sa santé et veut la protéger, ce n‘est pas le cas des autres gardes chiourmes qui surveillent cette jeune main d’œuvre servile. Quand la fillette rentre chez elle, elle retrouve son petit frère en admiration devant un magasin de jouet. Il s’extasie notamment sur le vol d’un étrange petit robot qui ressemble à un insecte. En retour celui-ci semble s’intéresser aux faits et gestes de la fratrie.
Le lendemain matin Indira, épuisée et malade, ne peut pas se lever. Eliott décide alors courageusement de la remplacer dans son travail.
Arrivé au puits de mine, on lui fait comprendre de manière humiliante qu’il n’a pas la taille requise pour descendre dans les galeries de houille.
Sur un haut balcon, une dame, très chic, le remarque. Cathleen Sachs, la très riche propriétaire des lieux lui propose de l’accompagner ; elle a un autre travail à lui proposer car elle a besoin de mains habiles pour fabriquer des jouets, ces jouets qui fascinent tant le petit garçon.
Eliott part avec la grande bourgeoise pour disparaître de la vie de sa famille. Indira ne s’en laisse pas conter, rien ne l’arrête dans la recherche éperdue de son frère qu’elle entreprend ; ni les menaces de la police, ni les contraintes des gardes du corps de la grande patronne.
L’intrigue de la première partie de ce diptyque steampunk va crescendo. Après quelques dizaines de pages d’exposition, à partir de l’enlèvement d’Eliot, l’ambiance se fait plus anxiogène. Lors de la quête d’Indira, de nombreuses révélations sur un rythme soutenu entretiennent le suspense jusqu’au cliffhanger final. Nul doute que le tome 2 apportera son lot de surprises aux nombreuses questions que se posent Indira et le lecteur de ses aventures à la fin du tome 1.
Scénariste de « Nils », série jeunesse fantastique dont nous avions entretenu ici, Jérôme Hamon crée dans cette nouvelle série un univers certes moins original mais riche de nombreuses intrigues autour de la quête centrale d’Indira. Les thèmes abordés ainsi par la bande, et parfois de manière très poétique, sont nombreux ; de la critique de la société de consommation et d’un modèle libéral injuste à une dénonciation du manque d’empathie dans notre monde et du mirage des rêves vendus aux plus jeunes alors que leurs aînés épuisés vivent dans un monde de cauchemar.
Pour sa première bande dessinée, Suheb Zako utilise un savoir-faire forgé dans les studios d’animation en storyboard et design sur de longs métrages européens et américains ; séduisant dessin numérisé, visages aux grand yeux très expressifs, grands décors impressionnants ou au contraire misérables masures, le tout magnifié par les ambiances bleutées, très froides, vraiment réussies, de la coloriste Lena Sayaphoum.
La magie opère dans le premier tome du diptyque « Dreams factory ». On se plonge avec délectation dans les froides pages d’un univers fantastique steampunk glaçant, seulement sauvé par quelques bons sentiments, BD jeunesse oblige. Nous attendons avec impatience le deuxième volume de ce court cycle qui renouvelle la riche thématique de la Cité des enfants perdus.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Dreams factory T1 : La neige et l’acier » par Suheb Zako et Jérôme Hamon
Éditions Soleil, collection métamorphose (15,50 €) – ISBN : 978-2-302-06862-9