« Terra Doloris » par Philippe Nicloux et Laurent-Frédéric Bollée

Bagnards, forçats, condamnés ou soldats : tous sont devenus le rebut de l’Angleterre en cette fin du XVIIIe siècle. Ils n’avaient pas d’avenir, on leur en a « offert » un de force : une vie sur les lointains et hostiles territoires australiens. Plusieurs années après, des colonies se sont établies, mais l’équilibre y est plus que précaire. Entre tentatives d’évasion et pendaisons, la maladie et de désespoir sont impitoyables. Sous les yeux hagards des premiers habitants de ces terres, un nouveau monde émerge pourtant… Cinq ans après « Terra Australis », Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Nicloux donnent une suite tout aussi brillante à leur odyssée historique. Le récit incroyable mais vrai de la création de l’Australie.

Terra Australis : couverture et planche 1 (Glénat 2013)

Dans les 512 pages de « Terra Autralis » (voir notre article), les auteurs avaient narré comment 1 500 hommes et femmes furent déportés, entassés à bord de 11 navires, parcourant plus de 24 000 km sur trois océans pour rejoindre l’autre bout du monde, dans un pays qui n’existait pas encore. Aller sans retour vers l’enfer ou chance inespérée d’une nouvelle vie, nul ne pouvait savoir dans ce nouveau monde, issu d’une terre ancestrale que les habitants d’origine appelaient Bandaiyan. Redécouverte les navigateurs portugais vers 1522, puis notamment explorée par James Cook en 1570 (lequel prend possession des deux-tiers du pays au nom de la Grande-Bretagne), l’Australie ne sera réellement colonisée qu’à partir de 1788 : à cette date, un camp pénitentiaire de mille personnes est installé à Port Jackson (Sydney) en Nouvelle-Galles du Sud.

Le bagne de Botany Bay, baie qui fut le théâtre du débarquement de James Cook. (Glénat 2018, planches 7 et 8)

Dans « Terra Doloris », les auteurs pointent les nombreuses désillusions subies par les résidants de ces terribles confins : de cachots sordides en barques à la dérive, de bouges ignobles en marécages insalubres, tout n’est que mort et violences. Les destins entremêlés révèlent ainsi une histoire entre espoirs et résignations, lueurs et noirceurs : Mary Bryant, veuve et héroïne ; Thomas Muir, l’idéaliste homme de loi écossais, devenu martyr de la liberté ; Edward Edwards, inflexible capitaine chargé en 1790 de ramener pieds et ponts liés les mutinés de la Bounty. Comme purent le découvrir tragiquement les déportés de Botany Bay à leurs corps défendant, ce territoire inconnu et potentiellement synonyme de liberté devint un nouveau lieu de confinement, plus insupportable encore que les pontons anglais : en guise de fuite et d’échappatoire, une nouvelle vie de servitude et une société entièrement basée sur les rapports entre maîtres et esclaves.

Une hiérarchie de la douleur (planche 17 - Glénat 2018)

En couverture, la vue en plongée sur un rivage écrase les protagonistes : dans l’écume des vagues, une chaloupe s’éloigne déjà avec huit hommes à bord. À l’arrière, certains tendent leurs mains vers une femme et un enfant. De cette tentative de fuite, de ce radeau lancé à la mer, qu’adviendra-t-il ? Cet équipage d’infortune a-t-il une quelconque chance d’échapper à son funeste destin ? Ou est-il déjà symboliquement absorbé par les masses liquides, lesquelles semblent irrémédiablement se précipiter vers la veuve et l’orphelin pour en effacer toutes traces sur le sable blanc… Sous un titre épée de Damoclès n’augurant rien de positif, tous – fugitifs, mutins, couples ou amants – sembleront naviguer dans les eaux noires de la tragédie maritime. Le récit est néanmoins animé par un grand souffle : celui de la vie et de l’aventure. Ainsi en est-il probablement de toute la destinée humaine, entre deux mondes et aux confins du connu et de l’inconnu.

Fin et confins... (planches 24 et 27 - Glénat 2018)

Philippe TOMBLAINE

« Terra Doloris » par Philippe Nicloux et Laurent-Frédéric Bollée
Éditions Glénat (35,00 €) – ISBN : 978-2-344-007877

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