Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Alex & Ani T2 : L’Épreuve d’Hadès » par Silvio Speca et Nathaniel Legendre
Les enfants d’Héraclès, Alexiarès et Anicetos — Alex & Ani pour les intimes —, continuent de perturber dieux, déesses et héros de la mythologie grecque. Déjà mythique (sic), le deuxième volume de leurs aventures est l’occasion de visiter de surprenants paysages des enfers réinventés par le dessinateur Silvio Speca. Le scénariste Nathaniel Legendre est à l’origine de ce revival original et amusé. Passionné de mythologie depuis son plus jeune âge, il nous en dit plus sur son travail de scénariste dans une riche interview.
Il y a moins d’un an, dans cet élogieux article nous vantions toutes les qualités du premier volume de la série « Alex & Ani ». Voici en résumé, ce que nous pensions du scénario : « La série s’amuse avec les figures des héros et des divinités de la mythologie de la Grèce antique. Nathaniel Legendre a bâti son récit autour de la quête initiatique de deux divinités olympiennes mineures : les derniers enfants d’un héros terriblement humain par ses défauts, le musculeux Héraclès. Pas de temps mort dans cette bande dessinée destinée à la jeunesse, mais beaucoup de rebondissements et de références mythologiques, le tout parsemé d’un humour omniprésent. »
Des remarques tout aussi positives pour le dessin de l’Italien Silvio Speca : « Inspirés de l’univers du cartoon et du manga, avec notamment de grands yeux expressifs, le dessin et les couleurs de Silvio Speca sont au diapason d’un scénario qui joue sur plusieurs registres, de l’humour à l’aventure. L’auteur italien détaille ainsi l’architecture de quelques palais et cités antiques avant de croquer des divinités sous un aspect caricatural ou de jouer avec les teintes pastel. »
Le tome 2 mérite de recevoir les mêmes louanges, c’est une bande dessinée jeunesse réussie qui plonge ses jeunes lecteurs au cœur des légendes fondatrices de la mythologie gréco-latine. Nous étions intrigués par les secrets de fabrication de cette œuvre qui fait de multiples références, amusées et vraiment originales, aux mythes gréco-latins. Nous remercions donc Nathaniel Legendre de nous avoir ouvert les portes de son atelier pour répondre à nos indiscrètes questions sur son métier et son travail avec Silvio Speca sur la série « Alex & Ani »
Bdzoom.com : Bonjour Nathaniel, peux-tu te présenter ainsi que ton parcours dans le monde de la bande dessinée ?
Nathaniel Legendre : Je suis un ancien président d’association, ce qui m’a permis de glisser un orteil dans le circuit professionnel, il y a de nombreuses années déjà … Après avoir œuvré un bon bout de temps pour les pockets ou les comics des éditions Semic, j’ai fait mes débuts dans le franco-belge pour la collection Soleil Celtic en 2009.
Depuis, j’ai le plus souvent cherché à ne pas me laisser cantonner dans un genre précis et ciblé, donc, je m’essaie à tout ce que je peux, avec aujourd’hui une nette préférence pour les bandes dessinées dites jeunesse, en me reposant sur le socle de mes passions : l’Histoire, les mythes et les légendes…
Bdzoom.com : Comment as-tu rencontré Silvio Speca, le dessinateur italien de « Alex & Ani » ? Comment travaillez-vous ensemble ? Notamment pour les décors, somptueux et originaux des enfers ?
Nathaniel Legendre : Avant le festival Quai des Bulles, l’année dernière, nous ne nous étions jamais rencontrés, en personne, avec Silvio !
Lorsque j’ai commencé à développer mes idées sur « Alex & Ani », je me suis mis à la recherche d’un dessinateur qui soit à la fois apte à dessiner un album jeunesse et assez singulier pour lui donner un trait différent de tout ce qu’on pouvait trouver comme héritiers du style atome… Et puis, je me suis rappelé qu’alors que je travaillais pour Soleil avec Alberto Jimenez Alburquerque, notre coloriste de l’époque, Chris Lacroix, m’avait montré un projet sur une tribu de trolls dans une ambiance très féerique, monté avec ce jeune italien : Silvio Speca… Et je me suis alors dit qu’il avait toutes les qualités, à savoir à la fois une sorte de formation classique du fait de son parcours par Disney, notamment, et ce besoin de s’exprimer par la mise en images de fables, on va dire zen (bon équilibre de soi et bon équilibre de vie, respect d’autrui et de tout l’environnement qui nous entoure, etc.)…
Je l’ai sollicité et il m’a dit banco au bout de quelques minutes…
Pour le reste, nous avons toujours échangé par l’intermédiaire de la toile et chaque scène est sujette à un dialogue dans la manière de faire avancer le récit. Mais le plus souvent, Silvio a suffisamment d’expérience pour toucher sa cible à chaque fois. Le mérite des ambiances et des décors lui revient d’ailleurs presque entièrement…
Le fait de pouvoir enfin se rencontrer à Saint-Malo nous a toutefois permis pour la première fois de régler les derniers détails du tome 2, en vis à vis… J’espère que nous pourrons le faire de nouveau !
Bdzoom.com : Peux-tu nous résumer l’intrigue de la série « Alex & Ani » ?
Nathaniel Legendre : C’est une histoire très simple, une histoire d’enfants. Des enfants parfaitement épanouis dans un quotidien confortable, jusqu’au jour où leur tombe dessus l’occasion qu’ils ont toujours intimement souhaitée : celle de percer les secrets du monde des adultes. Qu’est-ce qui fait que les adultes ne savent plus se comporter normalement ? Pourquoi faut-il toujours qu’ils mentent, qu’ils cachent des choses sur eux, qu’ils en fassent des kilos pour se distinguer, qu’ils s’inventent des vies qui doivent toujours être plus magnifiques ou intéressantes que celles des autres ? Pourquoi ils ne savent pas, ou plus, profiter de tout ce qu’ils ont, en toute simplicité ?
Lorsque je dédicace les albums d’« Alex & Ani » a des enfants, je leur donne toujours ce conseil : « Ne laisse pas tes parents lire cette BD, car ça révèle pas mal de trucs à leur sujet ! »
Donc voilà , si on voulait faire court, Alexiarès et Anicétos, les deux plus jeunes enfants du fameux Héraclès, sont un beau jour victimes d’une énième décision tarabiscotée de leur grand-père Zeus, et ils vont devoir partir à l’aventure. Très rapidement, ils vont découvrir que leur père, qui a chèrement gagné sa place parmi les dieux, a peut-être un peu fait gonfler sa côte. Ils ont un papa pas plus méchant qu’un autre, juste un peu roublard, qui ne peut pas s’empêcher de se la jouer devant les autres adultes et ça l’a amené à bénéficier d’un prestige qu’il ne méritait peut-être pas vraiment…
Quoi qu’il en soit, même un peu trop mytho, ce papa a toutefois pour lui une qualité indéniable : il ne les laissera jamais tomber, quoiqu’il en coûte !
Bdzoom.com : Peux-tu nous confier combien de tomes sont prévus dans cette série mythologique ?
Nathaniel Legendre : Je n’ai pas voulu penser la série en douze tomes, comme il y a douze travaux pour Héraclès. Donc c’est encore assez flou… Si j’avais carte blanche, je dirais encore 1 791 tomes, mais il est peu probable qu’on me laisse faire ^^… Dès le départ, j’ai tenté de concevoir les tomes pour qu’une sorte d’aventure complète, ou plutôt un arc, tienne en un seul tome. Le fil conducteur amenant au suivant. C’est une série qui pourrait continuer tant qu’Alex & Ani ont envie de vivre et de raconter leurs aventures.
Maintenant, voilà , tout ça va dépendre du succès du second tome. Il faudra peut-être boucler la boucle avec un troisième et dernier tome. Ce n’est pas mon souhait, mais les dures réalités du marché vont peut-être l’imposer.
Bdzoom.com : Le tome 2 renvoie à une vision particulière des enfers dirigés par Hadès, comment te documentes-tu sur les différentes facettes de la mythologie grecque ?
Nathaniel Legendre : La notion d’enfer dans la mythologie grecque a subi des couches et des couches de traductions et d’adaptations judéo-chrétiennes des textes antiques. En fait, Hadès régnait sur le monde souterrain qui symbolisait le monde des morts et qu’on fractionne aujourd’hui en trois territoires distincts : les Champs-Élysées, équivalent du paradis, la Tartare où erraient les âmes en perditions et les malfaisants, donc l’équivalent véritable de l’enfer, et la plaine des Asphodèles où se trouvent la plupart des défunts sous la forme d’âmes fantomatiques, et qu’on pourrait comparer au purgatoire. Mais l’Hadès n’est pas vraiment fragmenté en niveaux comme l’enfer de Dante. Tout ceci n’est qu’un seul et même espace, où tout se côtoie et où il est facile de passer d’une région à l’autre… il existe même d’autres parties moins connues encore, comme l’Érèbe, qui est en quelque sorte le monde des rêves et des cauchemars…
En fait, je n’ai pas vraiment besoin de me documenter sur la mythologie grecque, car je suis passionné par le sujet depuis mon plus jeune âge et je dispose d’une bibliothèque de dizaines de livres sur la question. Ma bible restant « Les Plus Belles Histoires de la mythologie » par Michael Gibson, aux éditions Nathan. Non pas que cet ouvrage soit plus précis que d’autres, mais parce que c’est le premier livre qu’on m’a offert sur le sujet.
Bdzoom.com : En te documentant sur la question, as-tu été surpris par des épisodes mythologiques peu connus ou oubliés ?
Nathaniel Legendre : Après presque quarante ans d’exploration de cette mythologie, il m’arrive encore de découvrir de nouveaux récits méconnus. Et il existe sans doute des histoires qui n’ont pas encore été découvertes d’ailleurs, au milieu d’autres aèdes. On parle d’une mythologie qui a disposé de dizaines de poètes pour l’inventer et la raconter, et qui a évolué durant plusieurs siècles.
En fait, il existe assez peu de textes parlant d’Alexiarès et d’Anicétos et ces textes restent ambigus sur le sexe de ces deux jumeaux, plus jeunes enfants d’Héraclès. C’est ce qui m’a donné l’envie de les mettre en avant : la possibilité de créer beaucoup de choses autour d’eux, du fait du grand manque d’informations sur eux.
Sans dénigrer le fait de sans cesse adapter les plus grands mythes, ce qui est très sympa, c’est de pouvoir écrire avec une grande liberté, tout en sachant que là où le néophyte va y voir des inventions de ma part, au travers certaines appellations, certaines références, le spécialiste va lui avoir les petits easter eggs de certains mythes des plus méconnus. C’est ce qui est amusant.
Bdzoom.com : Quels sont les animaux, les créatures et les personnages que tu as complètement inventés ?
Nathaniel Legendre : Très peu justement, puisque les textes les moins connus de la mythologie grecque comportent un bestiaire des plus fournis, et que justement, traductions et adaptations les ont redéfinis de plusieurs manières au fil des siècles. C’est d’ailleurs dans la façon d’interpréter leurs descriptions que tout se joue.
Les Kérès, par exemple, apparaissent dans le bouclier d’Héraclès, des écrits qu’on attribue à Hésiode. Ce sont d’ailleurs des sortes de valkyries, qui s’abreuvent du sang des morts sur les champs de bataille et conduisent leurs âmes en Hadès… le texte les décrit comme la descendance de Nyx, la divinité de la nuit, appartenant à une espèce apparentée aux furies. Mais petit à petit, le besoin de les matérialiser dans les esprits les dénature. Si ce sont des sortes de furies, on va les sexuer et la descendance de Nyx devient alors les Filles de Nyx. Et puis on va leur trouver une apparence monstrueuse, jusqu’au moment de les retrouver dans d’autres textes (Homère, même Platon les citent…) où les Kérès sont tantôt analogues aux Moires, aux Érinyes ou aux harpies. Toutes ces pistes faussent la moindre chance d’en avoir une vision scrupuleuse. Donc, ça me permet de piocher à droite ou à gauche, pour composer les créatures que vous pouvez découvrir dans les aventures d’Alex & Ani.
C’est un peu comme les sirènes. La mythologie les décrit comme des femmes oiseaux et la popularisation de nos cultures en font des êtres mi — femmes, mi — poissons.
Ça laisse non seulement une grande marge de manœuvre à laquelle vient bien évidement s’ajouter… la vision de Silvio, en ce qui nous concerne.
Bdzoom.com : Sans spoiler le tome 3, peux-tu nous indiquer 2 ou 3 bestioles qu’Alex et Ani vont croiser dans le tome 3 en hyperborée ?
Nathaniel Legendre : Sans spoiler, c’est très difficile… Et dans ce troisième tome, il y aura très peu de « bestioles », mais plutôt pas mal de nouveaux personnages.
Dans une grande majorité de textes, on sait qu’Héraclès, en poursuivant la biche de Cérynie, franchit ce qu’on suppose être le détroit de Gibraltar (d’où son nom de colonnes d’Hercule) et remonte ensuite vers le nord. Le premier tome d’Alex et Ani a révélé quelques détails assez particuliers sur cette épreuve qui consistait à battre à la course la biche de Cérynie… Ce qui ne veut pas pour autant dire que notre Héraclès ne se soit jamais rendu en hyperborée, soit pour justifier cette poursuite de longue haleine, soit pour se faire oublier quelque temps des dieux, puisque c’est pour cette raison qu’il veut y emmener les jumeaux.
À moins qu’il n’ait d’autres choses à se faire pardonner là -bas ?
En essayant de moins spoiler possible, donc, disons, qu’outre ma passion pour la mythologie, mon point de référence a toujours été la série des « Centaures » de Pierre Seron. Les deux héros de Seron, les centaures Ulysse et Aurore voyageaient à travers les époques. Pour notre part, on reste à la même période, mais disons que le monde est si vaste que lorsqu’on se rend au point le plus lointain du monde connu, on pourrait découvrir que le panthéon grec n’est pas le seul existant, et qu’hyperborée n’est qu’un nom qui pourrait en porter un autre sur le frêne d’Yggdrasil…
Bdzoom.com : Quels sont tes autres projets en BD pour les années à venir ?
Nathaniel Legendre : Ouuuf, il y en a tant… ^^, mais la publication la plus proche de nous, c’est celle du second tome des « Champions d’Albion », dessiné par Nacho Arranz et que je coécris avec Jean-Blaise Djian. Nous sommes très fiers de cette suite, pour laquelle nous avons redoublé d’efforts pour gommer les petits défauts du premier tome. Actuellement, Jean-Blaise et moi travaillons d’arrache-pied sur le troisième tome et je commence de mon côté à cogiter sur le tome 4.
Il y a quelques semaines, nous avons aussi terminé, avec Éric Le Pape, de rédiger le script du premier tome d’une série baptisée « Jiao Long »… C’est une série prenant place dans l’Asie médiévale, mettant en scène des personnages animaliers et elle sera étroitement liée aux Champions d’Albion. Jiao Long sera dessiné et mis en couleur par Silvio Speca !
- Ani
Avec Éric Le Pape, nous avons également terminé une autre série jeunesse, peut-être plus axée girly, qui se déroule au XVIIIe siècle à Venise… Cette série, nommée « Le Parfum de Victoire », sera dessinée par Élisa Ferrari…
Et bien entendu, j’ai une foule d’autres choses en gestation, avec notamment mon retour au dessin, mais ccchhhhttt…
Après l’avoir remercié, refermons doucement la porte de l’atelier de Nathaniel, le scénariste est déjà plongé sans son travail, penché sur les papiers de son bureau.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Alex & Ani T2 : L’Épreuve d’Hadès » par Silvio Speca et Nathaniel Legendre
Éditions Cerises & Coquelicots (15 €) – ISBN : 978-2-914880-23-7