Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« La Petite Bédéthèque des savoirs T7 : Le Nouvel Hollywood », par Brüno et Jean-Baptiste Thoret
Avec « Le Nouvel Hollywood », La Petite Bédéthèque des savoirs (PBS pour les intimes) s’enrichit d’un nouvel opus impeccable, qui déchire la toile merveilleuse du 7e Art. De 1969 à 1980, rompant avec une « certaine tradition », toute une nouvelle vague de réalisateurs (citons Scorsese, Penn, Hopper, Coppola, Peckinpah, Altman, Cimino, Eastwood, Lucas, Spielberg) avait en effet essayé – tant bien que mal – de rompre le carcan imposé par les grands studios. Hanté par le sexe et la violence, cette révolution anticonformiste allait initier une modernité cinématographique sans précédent. Raconté avec passion par le critique spécialisé Jean-Baptiste Thoret et par Brüno, cet incroyable road-movie cinéphilique nous happe de la première à la dernière page…
Lancée par les éditions du Lombard depuis mars 2016, La Petite Bédéthèque des savoirs (PBS, donc ; voir La Petite Bédéthèque des savoirs : entretien avec Nathalie Van Campenhoudt et David Vandermeulen et la page officielle de la collection) est une idée initiale de David Vandermeulen, un auteur marqué par le nostalgique souvenir des collections de poche cependant très pointues (Que sais-je ? chez PUF, Découvertes Gallimard, Microcosme et Points Histoire au Seuil, etc.). En compagnie de l’éditrice Nathalie Van Campenhoudt, le plus dur restait cependant à faire : à savoir trouver de bons duos d’auteurs et des sujets (à dominante sociale et scientifique) porteurs, susceptibles de se prêter à ce type d’ouvrages vulgarisateurs, le tout sur un format concentré (moins de 100 pages, proposées au tarif unique de 10 euros). Jusque ici, avouons que la réussite est totale avec, successivement, « L’Intelligence artificielle » (par Jean-Noël Lafargue et Marion Montaigne), « L’Univers » (par Hubert Reeves et Daniel Casanave »), « Les Requins » (par Bernard Seret et Julien Solé) et « Le Heavy Metal » (par Jacques De Pierpont et Hervé Bourhis), tous parus en mars dernier. Ce mois-ci, outre « Le Nouvel Hollywood », la collection s’enrichit de quatre titres inédits : « Le Droit d’auteur » (tome 5, par Emmanuel Pierrat et Fabrice Neaud), « Le Hasard » (tome 6, par Ivar Ekeland et Étienne Lécroart) et « Le Tatouage » (tome 8, par Jérôme Pierrat et Alfred). Cet éclectisme permet de piquer la curiosité du plus grand nombre, déjà aiguisée par la pleine vogue de la BD reportage et le succès de La Revue dessinée (créée en septembre 2013, chaque numéro s’écoule aujourd’hui à plus de 20 000 exemplaires). Sont déjà annoncés pour octobre prochain : « Histoire de la prostitution » (par Laurent De Sutter et Agnès Mauprè), « Le Féminisme » (par Anne-Charlotte Husson et Thomas Mathieu) et « Le Minimalisme » (par Christian Rosset et Jochen Gerner).
Sachant louvoyer entre écueil historisant et discours par trop élitiste, la PBS réitère les formules d’antan, quelque part entre « Le Saviez-vous ? » et « Les Belles Histoires de l’Oncle Paul », aspects passéistes et moralistes en moins ! Pour « Le Nouvel Hollywood », les auteurs ont braqué leurs projecteurs sur l’ouvrage – lui-même éclairant… – du journaliste américain Peter Biskind, paru au Cherche Midi en 2002 : « Le Nouvel Hollywood : Coppola, Lucas, Scorsese, Spielberg, la révolution d’une génération ». En fin connaisseur du milieu, Biskind avait parfaitement analysé comment, de 1969 à 1979, de la sortie du film « Easy Rider » (Dennis Hopper) à celle d’«Apocalypse Now » (Francis Ford Coppola), le milieu du cinéma américain avait tout dynamité et tout réinventé. Longtemps méprisés par les critiques de la presse spécialisée, seulement jugés dignes d’alimenter les vidéoclubs, les longs-métrages de cette période sont aujourd’hui devenus dans leur très grande majorité des films cultes ou d’authentiques chefs-d’œuvre de l’histoire du 7e art : évoquons par exemple « Bonnie and Clyde » (Arthur Penn, 1967), « La Nuit des morts vivants » (George A. Romero, 1968), « Shaft » (Gordon Parks 1971), « L’Inspecteur Harry » (Don Siegel, 1971) « Le Parrain » (Coppola, 1972) ou « L’Exorciste » (William Friedkin, 1973). Viendra ensuite la création du blockbuster, officiellement avec « Les Dents de la mer » (par Steven Spielberg en 1975), mais en réalité précédé par les lancements simultanés sur tous les écrans américains (méthode inédite à l’époque) du « Parrain » et de « L’Exorciste ».
Très bien narrée par Jean-Baptiste Thoret (voir la conférence dédiée au sujet sur le site de la Cinémathèque française) et en totale harmonie avec le graphisme de Brüno, cette histoire du cinéma dessine en creux les ombres de l’Amérique ; l’assassinat de JFK, la guerre du Viêt-Nam, le racisme envers les Noirs ou les Amérindiens, les menaces écologiques, le chômage, la corruption politique, les contestations sociales. Cet ensemble tour à tour fascinant et opaque, qui donne tout son jus au présent ouvrage, se devine dès la couverture ; à l’aune des ingrédients-symboles (issus ou piochés dans diverses affiches et séquences référentielles), Brüno illustre ainsi – mais vous les aurez reconnus… – les hélicoptères-tueurs du crépusculaire « Apocalypse Now », le duo Peter Fonda – Dennis Hopper pour « Easy Rider », le tueur fou de « Massacre à la Tronçonneuse » (Tobe Hooper, 1974) et le solitaire Travis Bikkle (De Niro dans « Taxi Driver » par Martin Scorsese en 1976), tous surplombés par la silhouette déterminée de Bonnie Parker (incarnée par Faye Dunaway).
Pour parfaire cette rétrospective aussi fabuleuse que désenchantée, l’ouvrage s’accompagne d’une filmothèque idéale et de quelques suggestions bibliographiques. De quoi regarder dans le rétroviseur des seventies, à l’instar d’un Quentin Tarantino, d’un David Fincher ou d’un Michael Mann. On aura vu pire références !
Philippe TOMBLAINE
« La Petite Bédéthèque des savoirs T7 : Le Nouvel Hollywood », par Brüno et Jean-Baptiste Thoret
Éditions du Lombard (10, 00 €) – ISBN : 978-2803636945