Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Entretien avec Jean Dytar, auteur de « La Vision de Bacchus » et « Le Sourire des marionnettes »
Auteur de deux bandes dessinées remarquables et remarquées, « Le Sourire des marionnettes » en 2009, puis « La Vision de Bacchus » en 2014, Jean Dytar est l’invité d’honneur de plusieurs festivals en cet automne : Tours, puis Blois et, enfin, Valence, début novembre. Rencontre avec un auteur qui prend son temps pour écrire des récits historiques, profonds et graphiquement référencés.
« La Vision de Bacchus », le deuxième album de Jean Dytar a été unanimement salué par la critique à sa sortie, au début de l’année 2014. Gilles Ratier saluait sur notre site : « (un auteur) qui propose de mettre en cases et en bulles la quête de la peinture parfaite : celle où l’artiste réussit à insuffler la vie. » (voir « La Vision de Bacchus » par Jean Dytar) C’est fort logiquement que le bédéiste fut primé par la suite dans de nombreux festivals ; Tour d’ivoire du festival À Tours de bulles, puis Prix Château de Cheverny de la bande dessinée historique aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois (voir « La Vision de Bacchus », 11ème Prix Château de Cheverny de la bande dessinée historique !) et Prix Ouest France – Quai des Bulles au festival Quai des bulles de Saint Malo.
Privilèges de ces récompenses, plusieurs expositions de son travail sont visibles actuellement, à Tours, jusqu’au 13 septembre, puis à Blois du 9 octobre au 22 novembre, des Rendez-vous de l’histoire à la fin du festival bd BOUM, sans oublier une participation aux rencontres de la BD de Valence, les 7 et 8 novembre. Nous remercions chaleureusement Jean Dytar d’avoir pris sur un temps qui lui est compté pour répondre à nos questions.
- Affiche Rendez-vous de l’Histoire bd BOUM exposition La Vision de Bacchus Jean Dytar
BDzoom.com : Peux-tu te présenter, quel a été ton rapport à la bande dessinée dans ta jeunesse, puis lors de tes années de formation ?
Je suis né en 1980. Mon premier rapport à la bande dessinée est tout ce qu’il y a de plus banal : j’ai grandi avec « Astérix », « Tintin », « Gaston », Gotlib à la maison… J’ai passé des heures à la bibliothèque, à lire toutes les bandes dessinées qui me tombaient sous la main. Très marqué entre autres par « Jonathan » de Cosey, les albums de Macherot, « Théodore Poussin » de Franck Le Gall, puis par « Blueberry » de Giraud et Charlier, « Gaspard de la nuit » de Johan de Moor… Et plus tard, au lycée : Moebius bien sûr, avec « Le Garage hermétique », « Arzach », « Le Monde d’Edena »… Bref, la culture classique franco-belge en somme.
C’était déjà mes années de formation, dans le sens où j’ai commencé à dessiner mes premières planches vers l’âge de neuf ans, et que je n’ai jamais vraiment cessé ensuite. Mes premières inspirations lorgnaient du côté d’Uderzo que j’ai très longtemps considéré comme le maître absolu. Plus tard, je me suis beaucoup nourri de Gotlib que je trouvais plus facile à imiter qu’Uderzo. Puis, Giraud m’a accompagné un temps, avant d’être encore plus influencé par le graphisme et les univers de son alter ego Moebius.
Mais tout cela dialoguait avec un intérêt conjoint pour la littérature et la peinture, et plus tard le cinéma. À l’âge du lycée, mon intérêt pour Moebius cohabitait par exemple très bien avec Boris Vian et Raymond Queneau ou avec Dali et Magritte dans mon panthéon personnel de l’époque qui a, évidemment, évolué depuis. Je faisais parallèlement beaucoup de dessins ou de peintures nourries de ces influences surréalistes et on retrouvait plus ou moins ces univers dans mes planches de bandes dessinées. Mais j’aimais déjà aussi Léonard de Vinci, Rembrandt ou Vermeer qui me sont restés et me nourrissent toujours, eux. Au collège, je me souviens m’être pris de passion pour « Cyrano de Bergerac » de Rostand, et avoir ensuite dévoré la trilogie des mousquetaires d’Alexandre Dumas. J’ai réalisé, il y a peu, que ces lectures d’enfance ont peut-être pu asseoir quelque chose en moi, comme un goût du romanesque et de l’Histoire qui agit aussi, toujours, dans ce que j’écris aujourd’hui. Vers la quatrième, j’ai commencé à écrire des rédactions suffisamment intéressantes à mes yeux pour devenir des nouvelles. J’avais reçu en cadeau une machine à écrire, et je tapais à la machine les récits que je jugeais réussis. C’est dès cette époque que j’ai véritablement pris goût à l’écriture et à la façon de raconter des histoires. J’ai écrit quelques nouvelles plus ou moins longues, et un court roman, commencé en terminale et achevé un ou deux ans plus tard. Je ne peux disjoindre cette expérience d’écriture, ni mon expérience séparée du dessin et de la peinture, de ma pratique de la bande dessinée : elles se sont toutes les trois nourries les unes des autres, et ont trouvé, je crois, leur synthèse dans ce que je produis aujourd’hui en bande dessinée.
Si je reviens à mes années lycée, mon intérêt pour les univers surréalistes m’a amené à découvrir « Philémon » de Fred et l’œuvre de Marc-Antoine Mathieu. Ces auteurs, ainsi que Gotlib que je continuais à relire, m’ont donné le goût du jeu avec les formes, avec l’objet, avec le langage même de la bande dessinée. Ce que j’aimais déjà chez Queneau, en littérature, et qui m’a mené vers Perec et l’Oulipo (je ne connaissais pas encore l’Oubapo, son petit frère en bande dessinée ; j’y suis venu plus tard). En tout cas, dès cette époque m’est venu le goût de questionner la forme. C’est aussi le véritable moment formateur où l’on cesse de simplement tendre vers le style d’untel ou d’untel par un goût pas vraiment formulé, mais où l’on prend conscience des possibilités du médium, où je prenais aussi confiance en mes capacités techniques. Dès lors, je me suis ouvert à un monde de bande dessinée bien plus vaste : celui qui s’offrait aussi à nous dans cette époque foisonnante de la fin des années 1990 et du début des années 2000… J’ai commencé ce champ des possibles avec la découverte de Baudoin, puis des auteurs de l’Association : Trondheim, David B., Emmanuel Guibert qui m’a particulièrement marqué avec « La Guerre d’Alan »… Il y avait aussi « Ibicus » de Rabaté, de Crécy, Blutch… C’est dans ces années-là que j’ai découvert Alan Moore, avec « From Hell » et « Watchmen », que j’ai lu plus attentivement « Corto Maltese » d’Hugo Pratt… Bien sûr « Maus » d’Art Spiegelmann…
Je découvrais tout cela alors que j’étais à la faculté d’arts plastiques à Saint-Étienne. Je continuais à faire de la bande dessinée pour moi, de petites choses qui n’allaient pas bien loin, des tâtonnements, mais je n’en ai jamais fait dans le cadre de mes études, sauf lors d’un séjour de six mois à Liège, avec le programme Erasmus. Là-bas, j’ai suivi les cours du soir qu’animait Joe G. Pinelli. Ce séjour a été fondamental, car pour la première fois je passais mes journées à dessiner des planches, à les soumettre à un jugement professionnel et sensible, et à découvrir encore de nouveaux auteurs. Et de nouvelles révélations : « Jimmy Corrigan » de Chris Ware, « Quelqu’un va venir » de Pierre Duba, entre autres. Je poursuivais l’exploration du monde de la bande dessinée dite indépendante, qu’elle soit américaine ou européenne, principalement… Mattotti, Van Hasselt, Tomine, Clowes, Chester Brown… De nouvelles façons de faire de la bande dessinée, variées, parfois aux antipodes les unes des autres, qui agissaient en moi avec des forces égales. Tout me paraissait possible. Il fallait juste à un moment donné oser franchir des caps, oser être ambitieux. Je n’en étais pas encore là dans ma pratique. Il a fallu quelques années pour que tout cela infuse et produise quelque chose d’un peu plus intéressant…
BDzoom.com : Quels ont-été tes premiers projets en bande dessinée ?
Mon premier projet un peu important, je le dessinais alors que j’étais à Liège. Il s’agissait d’un monde imaginaire où se retrouvaient les êtres de fiction dès lors qu’ils n’étaient plus activés par leur créateur ou plus généralement par quelqu’un qui pensait à eux. Je m’amusais à faire apparaître Edward aux mains d’argent en train de jouer aux cartes avec Corto Maltese et le Petit Prince, par exemple… Je prenais possession du médium, jouait avec les cases, les outils, les personnages qui prenaient conscience qu’ils étaient dessinés. C’était cette phase-là. Mais j’ai tellement évolué durant ces six mois que j’ai tout arrêté d’un coup, car cela me semblait soudain assez vain, anecdotique, j’avais l’impression d’étouffer en continuant de développer cet univers.
J’ai alors improvisé une série de planches sur un homme ivre qui rencontre un être fantomatique la nuit. C’est devenu une histoire plus importante, et c’est la première fois que j’ai envoyé un dossier aux éditeurs. Cela n’a rien donné naturellement, et je n’ai jamais fini ce récit, malgré la soixantaine de planches réalisées. Ce n’était pas non plus très intéressant. Un déploiement onirique qui venait buter contre un ordinaire réaliste. Mais cet onirisme céleste relevait d’une poésie un peu mièvre, et l’histoire manquait de structure. Comme pour le projet précédent, je ne savais pas vraiment où cela allait mener. Donc pour ne finir, nulle part.
Puis est venu un projet d’adaptation de roman, avec quelqu’un que j’avais rencontré dans un festival, alors que je participais à un fanzine à Saint-Étienne. Il était venu à notre stand, à la recherche d’un dessinateur intéressé pour adapter son roman en BD. Je me suis proposé. L’expérience était intéressante, notamment du point de vue de l’écriture parce qu’il a dû réécrire un certain nombre de choses autrement pour l’adapter, et que c’était moi qui l’aiguillais en ce sens. Ces discussions sur les personnages et la structure ont été instructives pour l’apprenti scénariste que j’étais. Et je commençais à envisager des tentatives d’écriture graphique et de mise en scène plus intéressantes, plus picturales. Enfin, j’osais prendre à mon compte mes découvertes des années précédentes ! J’ai dessiné cinq pages pour présenter le projet. Il n’a pas abouti non plus.
Est venu alors le moment de choisir si j’allais continuer de petites choses qui n’allaient pas aboutir, en ne m’y investissant pas totalement, ou si je me donnais les moyens de parvenir à être un auteur, vraiment. Je sentais que c’était à ma portée, mais qu’il fallait pour cela hausser le niveau de mes exigences. Pendant un an, parallèlement à la fin de mes études, que j’ai un peu bâclées de ce fait, j’ai décidé de me consacrer essentiellement à la création d’un projet plus ambitieux, plus personnel. J’ai écrit pour la première fois un scénario que j’estimais abouti. Il s’appelait « Brumes ». Et j’ai dessiné une dizaine ou une quinzaine de planches, en lavis à l’encre de Chine. C’était un récit contemplatif, qui se passait dans une maison isolée, en hiver sous la neige. Un personnage improbable arrivait là et allait agir comme un révélateur sur ce qui se tramait dans cette maison. J’étais alors beaucoup nourri du cinéma de Ozu, d’Antonioni, ou de Tati, de la musique de Steve Reich et Philip Glass. Pour la première fois, il me semblait que j’étais en train de réaliser un projet vraiment ambitieux et singulier. D’ailleurs, c’est le premier qui a retenu l’attention d’éditeurs, Futuropolis qui était en train de renaître de ses cendres à l’époque, et peut-être Casterman. Mais finalement, après avoir retenu l’intérêt dans un premier temps, j’ai reçu un mail de la part de Futuropolis, très argumenté, qui me démontait le projet. Et c’était totalement pertinent. Je n’arrivais plus à le défendre auprès de Casterman qui attendait de nouvelles planches pour se faire une meilleure idée ni à surmonter les écueils pour le corriger, l’améliorer. Ce n’était pas encore le bon projet. Mais je m’étais assez acharné pour espérer qu’une prochaine fois pourrait encore être la bonne. Je n’étais pas passé loin. J’ai donc décidé de me consacrer cette fois-ci une année supplémentaire à temps plein sur de nouveaux projets, en haussant encore mon niveau d’exigence, jusqu’à ce que, peut-être.
BDzoom.com : Quelle est la genèse de ton premier livre publié en 2009, « Le Sourire des marionnettes » ?
Je connaissais cette histoire légendaire iranienne des paradis artificiels conçus par le chef de la secte des Assassins pour inciter ses adeptes aveuglés par son emprise, et par la foi, à commettre des crimes, et j’ai eu le désir de raconter cette histoire dans un style graphique inspiré des miniatures persanes. Au-delà de l’intérêt pour cette légende historique et pour les perspectives d’expérimentations graphiques que j’envisageais, cette histoire me semblait en prise avec la question des attentats-suicides islamistes qui agitaient déjà l’actualité depuis un moment. En faisant des recherches, j’ai découvert deux romans qui en parlaient : « Alamut » de Vladimir Bartol et « Samarcande » d’Amin Maalouf. Le second m’a fait découvrir le poète et mathématicien Omar Khayyâm, mais c’est le premier qui m’avait fait la plus forte impression : il correspondait exactement avec ce que j’avais imaginé raconter, en mieux. J’ai alors décidé de l’adapter.
Je suis allé à Paris rencontrer l’éditeur français, Phébus, de cet écrivain slovène de la première moitié du XXe siècle. Après avoir été rassuré sur la possibilité d’une adaptation, je suis allé au festival d’Angoulême avec mon dossier sous le bras, que j’ai présenté à un certain nombre d’éditeurs. C’est chez Delcourt qu’il y a eu le meilleur écho. Le projet étant trop ambitieux (le roman comportait plus de 600 pages, mon projet d’adaptation en comportait tout de même beaucoup), il fallait que je le synthétise. J’ai alors réécrit le scénario. Puis je n’ai pas eu de nouvelles pendant plusieurs mois…
De nouveau déçu, j’ai fini par m’inscrire pour préparer le CAPES d’arts plastiques, concours menant à être professeur d’arts plastiques.
Finalement, peu avant le festival d’Angoulême de l’année suivante, un coup de fil a relancé le projet ! Mon interlocuteur initial a quitté peu après les éditions Delcourt et je suis passé entre les mains de Grégoire Seguin, qui aurait bien aimé que les choses aillent plus vite dès le départ. Toutefois, nous n’avons pas encore signé de contrat, car il fallait s’assurer que les droits d’adaptation soient bien disponibles. J’ai tout de même passé mon concours, que j’ai obtenu, et j’ai demandé aussitôt à l’Éducation nationale de me mettre en disponibilité d’un an pour pouvoir faire mon album ! Je leur ai justifié que je passais l’agrégation.
C’est ainsi que je me suis lancé sans plus tarder dans le découpage de l’album. 160 planches découpées à la fin de l’été, quand j’ai appris que les droits n’étaient finalement pas possibles à obtenir… Les bras m’en sont tombés. Je ne pouvais plus faire ce projet, mais je m’étais mis en disponibilité et je savais que l’année suivante je m’engagerais dans le métier d’enseignant.
Pas de temps à perdre, il fallait (encore) rebondir ! Fort de mes connaissances et de ma documentation entre-temps accumulées sur le sujet, je me suis lancé dans l’écriture d’un nouveau projet qui en proposait une interprétation en fin de compte plus personnelle, centrée sur la personnalité d’Omar Khayyâm à laquelle je m’étais beaucoup attaché et qui n’apparaissait pratiquement pas dans « Alamut ».
Omar me semblait en effet un parfait antagoniste à Hassan ibn Sabbah, le chef de la secte des Assassins. Il est amateur des plaisirs terrestres, désintéressé par le pouvoir qu’on lui a proposé, prône la liberté face à tous les dogmes, chante l’ivresse du vin et la détresse face à notre finitude. Il y a quelque chose de Cioran dans les quatrains d’Omar Khayyâm, avec peut-être en plus un art de la pirouette malicieuse qui rend sa lecture moins amère. En face, Hassan ibn Sabbah, figure intransigeante, cruelle et manipulatrice, qui détourne la beauté et les plaisirs terrestres à des fins funestes qui, sous couvert d’être religieuses, se révèlent politiques, et au fond, animées par l’ivresse du pouvoir… Le récit s’est donc orienté vers une sorte de controverse philosophique entre ces deux figures.
C’est ainsi qu’est né « Le Sourire des marionnettes ». En un mois, j’ai écrit le scénario, et nous avons signé un contrat dans la foulée. Je l’ai réalisé en un an, réussissant l’agrégation au passage, et terminant l’album alors que, en parallèle je commençais une nouvelle vie de professeur d’arts plastiques…
BDzoom.com : Peux-tu nous en résumer le scénario ?
Non. J’ai soif… Trop parlé. Et puis, je viens d’en dire deux mots à l’instant.
BDzoom.com : Peux-tu nous expliquer tes choix graphiques pour cet album ?
Ils ont été là dès l’origine du projet. Je ne sais plus à quelle occasion j’ai découvert des miniatures persanes, mais je me souviens avoir pensé à de la ligne claire en bande dessinée. J’avais envie de voir ces petits personnages s’animer, parler… Ensuite, quand j’ai trouvé le sujet adéquat, je me suis confronté à la question du degré d’adaptation de l’esthétique de la miniature persane en bande dessinée. Devais-je vraiment rester fidèle aux codes graphiques de la miniature, et m’interdire par exemple les gros plans ? J’ai pris le parti de faire avant tout de la bande dessinée qui serait nourrie, travaillée par l’esthétique de la miniature persane, mais toujours au service de la narration. En conservant par exemple ces cadres qui surlignent les cases et les pages. Ils produisent un effet qui selon moi fonctionne bien avec le propos, en enfermant tous mes personnages dans un cadre qui pourrait être comparé à la scène d’un théâtre de marionnettes, précisément. Mes personnages s’agitent éperdument, revendiquent leur liberté comme Omar, mais sont cernés par ce cadre qui les maintient dans un monde clos.
L’absence de perspective à point de fuite m’a engagé dans un exercice de dessin qui ne m’était pas naturel, à travailler la composition des images par les surfaces, sans jeu de profondeur. C’était intéressant de faire circuler le regard uniquement sur ces surfaces planes. Je pense que cela m’a aidé à mieux tirer parti des espaces au sein de mes cases et de la planche : j’y ai parfois repensé, même en revenant à la perspective, dans mon album suivant.
En effet, beaucoup de surfaces planes, frontales, investissent « La Vision de Bacchus », mais elles sont mises en balance avec des jeux de profondeur. Il y a de fortes chances que m’abstraire de la perspective m’a fait y revenir avec un œil neuf, sans doute approprié pour épouser le regard de peintres de la Renaissance qui étaient en train, justement, d’inventer cette perspective…
D’autre part, la plupart de mes projets précédant « Le Sourire des marionnettes » étaient en noir et blanc, et c’était une chose assez nouvelle pour moi d’aborder la couleur de façon aussi frontale, en jouant avec autant de motifs ! La plupart du temps, les couleurs vives, les motifs, la stylisation des nuages, des arbres ou des rochers avaient pour fonction de créer un parfum particulier, une atmosphère de conte des mille et une nuits. Mais j’avais parfois envie de m’emparer de ces éléments expressifs pour proposer des effets hypnotiques, parfois quasiment psychédéliques. De même, je me suis emparé des lignes du cadre ou des architectures géométrisées pour proposer des mises en pages parfois singulières. Du point de vue de la structure géométrique des espaces, j’avais en tête l’œuvre de Chris Ware, outre les miniatures.
BDzoom.com : Explique-nous quelles sont tes influences précises sur certaines planches (pages 43, 69, 70 par exemple)
Je ne sais pas ce qui m’a particulièrement influencé sur les pages 43 et 70. À part des détails typiques de la tradition des miniatures, comme cet arbre qui déborde du cadre (p. 43) ou cette porte qui se détache, laissant apparent tout ce qui devrait être derrière un mur (p. 70). La grande case de la page 43 vient en miroir d’une case similaire à la page précédente, le calme avant la tempête. J’ai ajouté un épais cadre à l’intérieur du cadre pour ajouter au sentiment qu’il n’y a pas d’issue pour Shirine, et pour souligner un effet « tableau » qui peut ajouter à la sidération que je voulais produire : cette image est d’ailleurs silencieuse alors qu’on pourrait imaginer qu’elle est bruyante. Le bruit est visuel. Une partie de l’effet fonctionne avec la case d’à côté, car certaines couleurs changent, comme le tapis qui devient rouge, et bien sûr tous les personnages et les objets bousculés qui ont bouleversé l’ordre de la case précédente.
Pour la page 69, cela peut évoquer plus clairement Chris Ware, puisque j’en parlais. Pas seulement certaines planches de « Jimmy Corrigan » où la structure des cases est très présente et où les couleurs sont aussi en à plat, mais peut-être plus encore dans « Quimby the Mouse », où Ware joue avec la mise en page et fait parcourir au regard du lecteur des chemins inhabituels. Il doit y avoir des pages de « Building Stories » avec des escaliers qui peuvent aussi y faire penser, mais je n’en avais pas encore connaissance quand j’ai dessiné cette planche. Cela dit, avant même Chris Ware, il y a la fameuse planche de Fred qui a dû agir inconsciemment, celle où les personnages se déplacent d’une case à l’autre en faisant le tour de la page sans passer par le centre, parfois à l’aide d’une corde. Mais encore avant cela, mon intention initiale était de donner la sensation d’un dédale d’escaliers qui nous mènerait vers Hassan ibn Sabbah, que l’on rencontre pour la première fois. À cet égard, mon influence principale a été une miniature peinte par Behzâd en 1489, « Zolaykhâ dans son palais tente de séduire Joseph », une scène du Boustân de Saadi. Ma planche est cependant beaucoup moins labyrinthique que la peinture de Behzâd : elle reste soumise à l’impératif d’une lecture claire. On suit les personnages dans leur déplacement, même s’il emprunte un chemin sinueux dans la page, on n’est pas vraiment perdu. J’avais aussi envie que le lecteur ait la sensation que les personnages montent un vaste escalier, alors même que son regard descend dans la page.
BDzoom.com : Si tu devais n’en retenir qu’un, quel serait le message que tu voulais transmettre dans cet album ?
Je ne pense pas vraiment en terme de message à transmettre. Je ne fais pas des œuvres militantes. Plutôt un questionnement à poser, et à proposer. En l’occurrence, dans « Le Sourire des marionnettes », je m’interrogeais sur la capacité d’un homme non libre, sous l’emprise d’un autre, à commettre un meurtre et à mourir infiniment heureux. À l’inverse, Omar Khayyâm, par son approche de la vie, pose la question de la possibilité (ou l’impossibilité) du bonheur pour qui revendique liberté et lucidité. Ce sont ces paradoxes qui m’ont intéressé et que j’ai tenté de faire jouer dans mon approche de cette histoire
BDzoom.com : Comment a été reçu le « Le Sourire des marionnettes » ? Succès public ou de critique ?
L’album a été très bien accueilli par la critique, mais est resté relativement confidentiel du point de vue des ventes, autour de 2 000 exemplaires vendus.
BDzoom.com : Pourquoi attendre 5 ans avant de publier un nouvel album, « La Vision de Bacchus » ?
Personnellement, je n’ai pas attendu ! Simplement, c’est le temps qu’il m’a fallu pour le réaliser. Étant également enseignant, même en travaillant à temps partiel, il a été long de réaliser un album de 126 planches. Le scénario de « La Vision de Bacchus » est venu plutôt facilement, mais il s’est largement étoffé au fil du temps, car j’ai improvisé de nombreuses choses au fur et à mesure de mes recherches, lectures, ou de mon inspiration, en tentant de suivre de près ou de loin la trame définie à l’origine. Cette méthode de travail a sans doute aussi participé à la longue durée du projet, mais je crois que l’album y a gagné en maturité. Ma technique graphique comportait un certain nombre d’étapes, donc je n’étais pas très rapide sur ce plan, mais pas non plus particulièrement lent, il me semble… Enfin, la date de publication a été repoussée d’octobre 2013 à février 2014, pour permettre à l’album une meilleure visibilité dans une période moins chargée en « grosses » sorties. Tout ceci explique ce temps passé entre les deux albums.
BDzoom.com : Peux-tu nous résumer l’intrigue de cet album et nous donner le sens d’un titre volontairement sibyllin ?
Non merci. J’ai faim, à présent…
Ah ! Je me dérobe, mais c’est que je déteste l’exercice de résumer l’intrigue d’un album. Et encore moins révéler le sens du titre ! Je crois qu’il se goûte à la lecture : selon moi, le moment où le titre de « La Vision de Bacchus » s’explicite peut faire jaillir dans l’esprit du lecteur une sensation proche de celle que ressent le personnage à ce moment-là. Enfin, sans doute pas chez tous les lecteurs, bien sûr. Il y a autant de lectures que de lecteurs… Mais je ne tiens donc pas à expliquer le titre.
BDzoom.com : Les tourments vécus par les peintres italiens de la Renaissance sont-ils semblables à tes propres tourments artistiques (toute proportion gardée) ?
Il est évident que l’on se projette dans ses personnages. On ne sait rien de la psychologie réelle d’Antonello de Messine, de Giorgione ou de Giovanni Bellini. Je les ai donc imaginés, en partant nécessairement d’expériences observées ou ressenties. Ces moments de fièvre créatrice, avec ces hauts et ces bas, je les vis aussi moi-même en écrivant ou dessinant, même si je n’ai jamais expérimenté l’approche de la mort que je fais vivre à Giorgione.
Je crois qu’il y a dans l’acte de création une énergie de vie fondamentale qui permet de nous dépasser, y compris parfois physiquement. Cet état est comparable à une sorte d’ivresse, de transe, qu’on pourrait prendre d’un point de vue extérieur pour une sorte de folie. On se retrouve transporté au-delà de nous-mêmes, dans une autre réalité qui nous envahit complètement. C’est cette intensité que j’ai essayé de montrer. Un paradoxe m’intéressait particulièrement : cette énergie vitale de l’acte créateur, qui s’éprouve quand on est investi dans la sensation de donner vie à un artefact, va avec un épuisement du corps de l’artiste. On transfère une part de notre vitalité dans l’œuvre qu’on est en train d’accomplir, je crois. C’est là où je me projette, moi modeste auteur de bande dessinée qui tente de faire vivre mes personnages, dans la figure de mon peintre Antonello de Messine, par exemple, qui cherche à incarner en peinture un corps aussi vivant que possible. Je suis convaincu que nous passons par des états émotionnels semblables, par-delà les siècles et les médiums.
BDzoom.com : Là encore, tes choix graphiques pour cet album sont radicaux. Peux-tu nous apporter quelques précisions sur ces choix ?
Je ne sais pas s’ils sont radicaux. En tout cas, ils sont réfléchis. Cette fois-ci, il s’agissait d’intégrer au mieux des peintures de la Renaissance vénitienne dans les pages de bande dessinée. Et réciproquement, d’entretenir dans ma mise en scène un dialogue avec ces peintures anciennes. D’où le choix, par exemple, de faire des copies des œuvres que je représentais, au brou de noix, puis avec une couleur numérique, ce qui me permettait de gérer finement les couleurs, en étant fidèles aux œuvres le plus souvent, mais en les transformant d’autres fois pour coller aux atmosphères de certaines scènes (notamment les séquences de la fin de vie de Giorgione).
Mes outils sont à peu près les mêmes pour le dessin des cases : crayon noir, lavis au brou de noix pour retrouver la lumière dorée des tableaux que je montre, et couleur numérique par transparence. Seul le crayon diffère, il permet entre autres de créer un léger écart dans les modes de représentation. .
Je dirais que mon écriture graphique relève à la base de la ligne claire semi-réaliste, puis s’en distingue par les modelés d’ombre et de lumière, les matières fines qui viennent recouvrir les surfaces. D’une certaine façon, c’est ainsi que travaillaient les artistes à la Renaissance : quand on voit les dessins préparatoires de Holbein, on voit une fine ligne de contour qui cerne les formes. Ce n’est pas un hasard si un portrait de Holbein trônait sur le bureau d’Hergé… Bref, je me suis senti expérimenter au sein d’un registre classique, revenant en quelque sorte me nourrir aux sources de ce classicisme.
Du point de vue des cadrages, là aussi je partais du principe que j’allais créer des espaces conformes à la façon dont on les concevait à l’époque où se passe mon récit, c’est-à-dire à la fin du XVe siècle et au début du XVIe. Des vues frontales relativement sobres, avec des perspectives à un point de fuite qui creusent l’espace. Les rapports de plan et d’illusion de profondeur m’ont beaucoup intéressé, ainsi que je l’exprimais à propos des surfaces planes qui animaient « Le Sourire des marionnettes ». Rapports que je pouvais analyser dans les tableaux de Carpaccio, par exemple, qui m’ont particulièrement influencé dans la représentation des espaces.
Toujours en accord avec la peinture de cette première Renaissance, celle de Piero della Francesca, de Mantegna, ou des peintres de mon récit, je voulais proposer une mise en scène sobre, capable de faire jouer à plein les enjeux narratifs que j’allais permettre à mes personnages d’incarner. Un dispositif spatial assez simple, très théâtral, était pour moi le plus efficace, et allait imprimer sa marque sur le récit, lui donner aussi son tempo. J’ai précisément conçu tous mes lieux comme des décors de théâtre, avec trois murs, mais jamais le quatrième, celui qui correspond au point de vue du spectateur. Une règle que je me suis fixée dès l’origine : ne jamais changer de point de vue. Chaque décor est donc conçu en sachant ce qui doit s’y dérouler. Il fallait ensuite animer mes personnages dans cet espace, jouer si besoin avec le hors-champ. Je me suis permis seulement de recadrer à ma guise dans ce décor, voire de faire des plans plus ou moins serrés, mais jamais de tourner autour des personnages. C’est ce qui se produit au théâtre : parfois, le spectateur focalise son regard sur un acteur ou sur un détail, parfois prend en compte la vision d’ensemble, mais il reste assigné à une certaine distance. C’est aussi ce qui se produit devant une fresque de Mantegna ou un tableau d’autel de Bellini. Je pense que cela participe discrètement à l’esprit qui se dégage de l’album.
BDzoom.com : Explique-nous tes influences picturales à partir de quelques planches de ton album.
Il y en aurait tant d’exemples ! J’en développe un certain nombre sur mon site internet, pour que ces références ne restent pas perceptibles qu’aux seuls érudits ou connaisseurs. Mais je peux évoquer le cas de deux ou trois cases dont je ne parle pas sur le site…
Par exemple, à la page 89, la troisième case, grande bande allongée, montre un intérieur avec le lit d’Antonello malade, son fils à son chevet, et sur la droite une porte que quelqu’un frappe. On retrouve dans cette image les notions spatiales que j’ai évoquées précédemment. Pour être précis, j’ai « osé » coincer le lit dans l’angle en haut à gauche de la case après m’être souvenu des emboîtements d’espaces géométriques que me permettait le registre de la miniature persane dans « Le Sourire des marionnettes ».
J’ai voulu voir si cela fonctionnerait aussi dans un espace en perspective, et c’est le cas. Du coup, le regard du lecteur s’ancre sur un bord de l’image, dans ce lit qui ressemble à une petite scène de théâtre en miniature avec ces rideaux qui tombent, et je désirais lui faire parcourir, même fugacement, tout l’espace relativement vide de la pièce jusqu’à l’autre bord, où j’ai calé la porte, qui habite ce bord de case de en haut en bas. Composition classique en diagonale, mais je ne sais pas si je me serais permis cette tension extrême si je n’avais resongé aux miniatures, curieusement. Par ailleurs, des fenêtres ouvrant sur l’extérieur m’ont évoqué les éclairages des tableaux de Vermeer, que j’ai souvent regardés en réalisant « La Vision de Bacchus », même si la lumière qui se pose sur cette scène y est ici plus froide.
Enfin, un tout petit détail qui pour moi avait son importance : le tableau que l’on voit à l’arrière-plan est une esquisse supposée d’un tableau d’Antonello de Messine que j’affectionne particulièrement, mais qui ne pouvait trouver sa place pleinement dans le récit : « La Vierge de l’Annonciation » de Palerme. J’ai tenu à lui faire une petite place, et à la situer devant un prie-Dieu sur lequel est posé un livre. Elle-même, cette Vierge peinte par Antonello, feuillette la Bible sur son prie-Dieu. Du coup, l’image agit comme un miroir (en écho à de nombreux jeux de miroir que j’ai distillé dans l’album), miroir d’une figure absente. Et je rejouais là, en catimini, le cœur du récit qui est consacré au mystère de l’effet de présence d’un corps peint.
Un autre exemple, à la case 3 de la page 5, le portrait de la mère de Giorgione, que l’on découvre avec ce cadrage rapproché pour la première fois, est inspiré du tableau du véritable Giorgione intitulé « La Vieille », qui est possiblement un portrait de sa mère. J’ai remplacé le bout de papier que tient le personnage (méditation sur le temps qui passe) par un chat qu’elle caresse.
Enfin un dernier exemple, à la page 84 : on m’a demandé si la deuxième case était inspirée par « Une fuite en Égypte », sujet classique dans la peinture religieuse chrétienne. Or ce n’est pas le cas. Je me suis inspiré de la photo d’un âne trouvé sur internet ! Pour le reste, j’ai inventé l’image. Mais je me souviens avoir pensé : « On dirait “Une fuite en Égypte” ! »
En revanche, la dernière case de cette même page, où l’on voit Antonello contempler Venise au loin, avec un ciel couchant, m’a été inspirée pour les couleurs par celles que Monet a choisies dans certains tableaux représentant Londres sous la brume. Monet a aussi peint Venise, d’ailleurs, et j’ai pensé à regarder ce qu’il en a fait, pour voir si je pouvais en tirer quelque chose. Mais j’ai trouvé qu’il avait raté Venise, alors qu’il avait fait des œuvres magiques avec Londres. En voyant ses toiles sur Venise, je me suis pris à regretter qu’il n’ait pas choisi un parti-pris aussi radical que pour ses « Nymphéas » : ne plus voir la ligne d’horizon, le regard plongé dans les reflets. Venise est une ville-miroir. C’est en me faisant ces réflexions quelque peu prétentieuses que j’ai songé au dispositif de la page 18, lorsque je fais arriver Antonello à Venise, et que je voulais montrer son émerveillement de la première fois, le miroitement un peu magique de la sérénissime. La première case de cette page, même si je ne la trouve pas aussi réussie que je l’aurais souhaité, doit tout au cadrage des « Nymphéas » de Monet. Curieusement, les influences ne sont pas toujours les plus directes !
BDzoom.com : Tes goûts picturaux sont affirmés et fort divers, t’abandonnes-tu parfois à la sculpture à la peinture ou à une autre forme artistique (bande dessinée exceptée) ?
Je n’en ai plus le temps malheureusement. Mais c’était le cas, effectivement, comme je l’ai un peu dit au début de l’entretien. Quand j’étais enfant, je voulais d’ailleurs être peintre. En réalité, je voulais aussi déjà faire de la bande dessinée, mais peintre me paraissait alors un statut plus noble ! J’ai donc pratiqué pendant longtemps diverses techniques picturales, y compris une technique expérimentale à la cire de bougie qui m’a accaparé durant plusieurs années, lors de mes études universitaires et un peu après.
J’ai eu à faire le choix plutôt d’un côté que de l’autre. La bande dessinée a finalement pris le dessus, mais je reste attentif à la diversité des formes artistiques. Il faudrait avoir plusieurs vies pour réaliser tout ce que l’on souhaiterait ! Au quotidien, je reste cependant familier avec la pratique picturale par le biais de ma femme, Florence Dussuyer, qui est peintre.
BDzoom.com : L’accueil critique a été unanime, peux-tu nous rappeler les prix que l’album a reçu ?
Le prix « Château Cheverny de la bande dessinée historique » aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois, le prix « Ouest-France-Quai des Bulles » au festival Quai des Bulles de Saint Malo, le prix « Tour d’Ivoire » au festival À Tours de Bulles, et le prix « Ellipse(s) » à la médiathèque de Mazé. Je n’en reviens toujours pas.
BDzoom.com : Ce succès a-t-il facilité tes relations avec ton éditeur ? As-tu été approché par des maisons d’édition concurrentes ?
J’imagine que ces prix ont en effet conforté Guy Delcourt dans le sentiment d’avoir eu raison de croire en ce projet, et dans son désir de poursuivre notre collaboration. Je tiens d’ailleurs à remercier particulièrement Grégoire Seguin, mon éditeur chez Delcourt, pour sa confiance, son investissement et ses encouragements. Je crois que ces prix lui ont fait très plaisir à lui aussi.
J’ai eu quelques remarques émanant d’autres maisons d’édition, oui, me faisant part de leur intérêt pour la lecture de « La Vision de Bacchus » ou s’enquérant de mes disponibilités. C’est plutôt agréable.
BDzoom.com : Envisages-tu de dessiner un album pour un scénariste de métier ou, au-contraire, d’écrire un scénario pour un dessinateur ?
Pourquoi pas l’un ou l’autre ? Je ne suis pas contre. Il y a déjà eu des tentatives, qui n’ont pour l’instant jamais abouti, en général parce que les choses n’étaient pas forcément assez mûres, mais sans doute aussi parce que j’ai du mal à m’engager dans cet inconnu d’une collaboration. Parfois, je me demande même si je serais vraiment compatible avec quelqu’un d’autre. Je me sens à cet égard comme un vieux célibataire, avec mes habitudes, mes exigences, mes incertitudes… Je ne suis pas porté sur le conflit, mais dans la création, je ne sais pas si quelqu’un pourrait me supporter : j’ai l’impression d’avoir besoin de tout contrôler. Et puis toutes les strates qui peuvent constituer une œuvre m’intéressent, donc je n’ai pas forcément envie de les déléguer. Cela dit, l’idée d’une collaboration, pour moi, ce ne serait pas déléguer, mais dialoguer. La perspective d’un dialogue artistique m’intéresse beaucoup sur le principe, oui…
BDzoom.com : Quels sont tes projets aujourd’hui ? Peux-tu nous évoquer les grandes lignes de ton prochain album ?
Je travaille actuellement sur un projet où l’on trouvera pêle-mêle : des cartographes qui rêvent d’aventure, ou pas, des Français, des Anglais ou des Indiens à Londres, ou en Amérique, de la broderie, des Espagnols en embuscade, des guerres de religion, des dessins de botanique, des femmes qui rêvent d’aventure, ou pas, des gravures et des récits à valeur ethnographique, ou de propagande, ou les deux. Bref, cela devrait être assez vaste, à la fois intimiste et épique… Et c’est essentiellement basé sur une histoire vraie. Compte tenu de mon rythme de travail et de la taille du projet, plus gros que mes précédents, il me faudra encore deux ans et demi pour en venir à bout… si tout va bien !
Un grand merci à Jean Dytar pour sa disponibilité.
Laurent Lessous (l@bd)
« Le Sourire des marionnettes » par Jean Dytar
Éditions Delcourt (14,950 €) – ISBN : 978-2-7560-1378-7
« La Vision de Bacchus» par Jean Dytar
Éditions Delcourt (16,950 €) – ISBN : 978-2-7560-2333-5