Apparue pour la première fois dans le mensuel Tchô ! en 2003, Lou est devenue un best-seller de l’édition, avec plus de trois millions d’albums vendus, une série d’animation, un long métrage, des traductions dans le monde entier… Un tel succès méritait bien cet ouvrage anniversaire, qui nous propose — en plus de 300 pages — de revenir sur l’histoire de l’héroïne qui a grandi avec ses lecteurs. Tout en ouvrant généreusement ses carnets de croquis, Julien Neel évoque — au cours d’un long entretien — son propre destin, lié depuis 20 ans à celui de la petite fille blonde devenue grande.
Lire la suite...« Blake et Mortimer T23 : Le Bâton de Plutarque » par André Juillard et Yves Sente
Le 26 septembre 1946, à la dernière page de l’édition belge du nouveau journal Tintin, Edgar Pierre Jacobs livrait sa propre vision d’une possible Troisième Guerre mondiale, dans un monde à peine remis de l’horreur atomique. Dans « Le Secret de l’Espadon », très long récit épique uniquement achevé le 8 septembre 1949, les lecteurs auront découvert Blake et Mortimer en lutte contre l’usurpateur Basam-Damdu, dirigeant d’un inquiétant « Empire jaune » depuis le Tibet. En 2014, Yves Sente et André Juillard se sont lancés dans le pari, considérablement risqué, d’imaginer un prologue à cette aventure mythique : au printemps 1944, nos héros sont plongés au cœur d’une vaste affaire d’espionnage technologique entre grandes puissances, alors que rôde le bien étrange colonel Olrik…
Avouons-le, « Le Bâton de Plutarque » risque assez vivement de déplaire à un grand nombre de bédéphiles de la première heure : tant par ses innombrables approximations que par un scénario privilégiant palabres et rythme lent (plus nerveuse, la séquence d’ouverture fait donc exception, sans exclure pour autant les incohérences), dans lequel les principaux protagonistes sont les infortunés spectateurs des événements en cours, à commencer par les manœuvres de diversion destinées aux forces de l’Axe, ce alors que le Débarquement en Normandie se prépare… Sans dévoiler l’intégralité du contenu de l’album (rappelons toutefois qu’il a déjà été prépublié en totalité dans le quotidien Le Soir, à partir du 14 avril 2014, et ces strips diffusés sur plusieurs sites internet ; une autre prépublication en couleurs est passée dans L’Immanquable depuis octobre 2014)), arguons que l’un des plus grands reproches à faire à ce nouvel album est une volonté poussée de vouloir donner une explication historique à de nombreux détails liés à la « mythologie jacobsienne », là où le contexte uchronique – voire science-fictionnel – déployé par Jacobs de manière opératique faisait voler ces frontières en éclat. Ici, incontestablement, et en raison de choix scénaristiques surprenants, la « reconstruction chronologique » du corpus d’origine ne tient pas, à l’inverse des réalisations précédentes de Sente et Juillard (dont la 1ère rencontre entre Blake et Mortimer, proposée dans « Les Sarcophages du 6ème continent » en novembre 2003). Par ailleurs, l’album manque certainement de cases mémorables et de scènes d’action d’envergure, peinant en parallèle à faire coïncider titre mystérieux et intrigue linéaire… Poursuivre l’héritage de Jacobs ne signifiera donc probablement pas, pour beaucoup, vouloir adopter cette nouvelle « réécriture des origines » ; dans une veine psychanalytique où le thème du double n’est pas exclu (il est très présent dans ce nouvel album), concluons que ce complexe digne d’Oedipe est certainement inhérent à l’ensemble des relations tissées entre auteurs et séries mythiques.
Ces reproches, exprimés en introduction et de manière exceptionnelle dans le cadre de cette rubrique analytique, ne nuiront pas au plaisir qu’il y a toujours à évoquer le visuel de couverture et les éléments symboliques qui en découlent. Après divers projets montrant notamment des scènes de combat aériens autour de la grande horloge de Big Ben ou le parachutage nocturne de nos héros sur le rocher de Gibraltar, sous les yeux et projecteurs de la DCA britannique, le choix s’est porté sur la scène d’action ouvrant l’album. Nous y observons le jeune capitaine Blake en 1944 : par miracle, le pilote chevronné réussit, aux commandes d’un prototype (celui du futur et fameux Golden Rocket, avion qui s’élance au début du « Secret de l’Espadon », fuyant les nouveaux envahisseurs), à déjouer une attaque suicide contre le Parlement anglais. Cet exploit lui vaudra d’être recruté par le MI6, les services secrets britanniques.
La monstration de cette scène d’action extérieure pose elle-aussi quelques soucis : dans son cockpit, le visage éloigné du capitaine Blake est à peine reconnaissable. De son côté, la puissante aile volante et menaçante (un appareil allié a déjà été mis hors de combat à l’arrière-plan par ce Horten allemand), siglée des croix gammées de la Luftwaffe, nous rappellera que le cadre est plus fictif qu’il ne le laisse paraître au premier regard. Dans la réalité de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés avaient bien sûr acquis en 1944 la supériorité aérienne de jour, essentielle à la réussite des opérations en Normandie. Dans le contexte plus uchronique des atmosphères selon Jacobs, une telle « Wunderfaffe » (arme miraculeuse, dont les missiles V1 et V2) renverra les bédéphiles à la série du même nom actuellement publiée par les éditions Soleil. Au jeu des références visuelles, citons également la couverture de « La Grande Menace », signé par Jacques Martin en janvier 1954 aux éditions du Lombard. Le principe dictant le choix de ce combat aérien (peu représentatif du contenu réel de l’album) semblera essentiellement guidé par la filiation voulue avec le cycle de l’Espadon, également doublement illustré par les deux appareils créés par Jacobs (Golden Rocket et Espadon). Outre un renvoi référentiel aux actuelles séries d’aviation prenant pour cadre la période 1939-1945, rien n’identifiera précisément l’univers original de Blake et Mortimer, arrière-plan londonien excepté…
Diffusé en strips quotidiens tel que nous l’avons évoqué, « Le Bâton de Plutarque » fera l’objet d’une édition parallèle au format à l’italienne : sur ce 1er plat alternatif, Blake et Mortimer contemple la dernière phase de mise au point du Golden Rocket, dans les entrepôts dune base secrète. Cette scène fait référence à une case relativement similaire, issue de la fin du « Secret de l’Espadon », publiée à l’origine dans le journal Tintin n° 20, le 14 juillet 1949. À cette différence près qu’il s’agissait cette fois d’une arme stratégique de haute technologie, dotée d’un pouvoir de destruction atomique.
Pour tout lecteur non féru de codages et de décryptages (mais c’est précisément le but de cette rubrique !), le titre « Le Bâton de Plutarque » demeure une énigme assez hermétique, que l’action ou la technologie aérienne du visuel de couverture n’a aucune chance d’éclairer. Soulignons du reste qu’il est fort rare, dans la série « Blake et Mortimer » que titre et visuel soient à ce point éloignés l’un de l’autre, outre l’évocation d’ambiances difficilement résumables en un seul dessin (« La Machination Voronov » ou « La Malédiction des trente deniers »). Le titre adopté fait ainsi référence à la scytale, le système militaire de codification de messages le plus ancien de l’histoire. Il s’agissait d’un bâton de bois, utilisé pour lire ou écrire une dépêche chiffrée ; cette technique permettait l’inscription d’un message chiffré sur une fine lanière de cuir ou de parchemin, que le messager pouvait porter à sa ceinture. L’historien grec Plutarque (46 – 125 ap. J.-C.) raconte dans ses « Vies parallèles » son utilisation par le commandant spartiate Lysandre, en 404 av. J.-C.
Ce renvoi à un titre énigmatique s’inscrit dans la grande tradition de la série, mais ne renvoie pas forcément à un MacGuffin (objet prétexte à la quête des héros) digne des trames hitchcockiennes. Très symboliquement, il détermine toutefois la volonté des auteurs de marquer (à tort ou à raison) de leur empreinte la geste jacobsienne. Avec ce bâton de pèlerin d’un nouveau genre, Sente et Juillard cherchent à percer le « Secret » des origines, réinscrivant leur l’album au sein d’une chronologie réinterprétée qui posera à son tour quelque soucis aux aficionados de cette série (en toute logique uchronique, « Le Secret de l’Espadon » peut ne pas débuter en 1946 !)… mais pourra aussi se justifier ! Comme chaque détail d’une couverture compte, il nous faut aussi dire un mot sur la notion de temps, important dans la mesure des événements narrés et dans la veine romanesque plus largement voulue par les auteurs (lien entre cet album et le début de la saga selon Jacobs). Big Ben indique un peu plus de 10h40 du matin, alors que l’aile volante ennemie entame le titre si précisément que les lecteurs pourront y voir un symbolique « Plutar » – « que » (plus tard que…) : la course contre le temps a commencé pour gagner la Deuxième Guerre – du moins en couverture ! – alors qu’une Troisième se profile déjà. Problème : en fonction des critiques déjà exprimées, l’album se révèle lacunaire de ce point de vue : peu de réel suspense, des héros finalement lents à réagir et surtout l’absence totale du rythme haletant qui fera tout le sel narratif du « Secret de l’Espadon ». Pour l’anecdote, c’est aussi à 10h40 que débuteront le 06 juin 2014 les commémorations du Débarquement en Normandie (cérémonie franco-américaine au cimetière américain de Colleville-sur-Mer (Manche), près de la plage d’Omaha Beach), là encore dans une lente chronologie remontée et la mise en perspective d’évènements ou d’actions devenus mythiques …
Là est la sempiternelle force de la série : tel que l’avait déjà montré – là encore à travers ses propres faiblesses – le précédent de « L’Onde Septimus » (relire l’analyse consacrée en décembre 2013 : http://bdzoom.com/69664/patrimoine/%C2%AB-blake-et-mortimer-t22-l%E2%80%99onde-septimus-%C2%BB-par-antoine-aubin-etienne-schreder-et-jean-dufaux/), « Blake et Mortimer » est un imaginaire fascinant entre fiction et réalité, où errent doublement la nostalgie d’un inventaire romanesque (le fantastique et le polar des années 1950) et l’inconnu le plus total (le mystère et la peur d’un monde en devenir, plombé par la peur atomique et la crainte d’un nouvel envahissement). Hiératiques, Blake et Mortimer, quelque part enfin décodés, arriveront-ils à nous rassurer une nouvelle fois ?
« À suivre… », assurément.
Philippe TOMBLAINE
« Blake et Mortimer T23 : Le Bâton de Plutarque» par André Juillard et Yves Sente
Éditions Dargaud (15, 95 €) – ISBN : 978-2870971932
Bonjour .
Félicitations pour ce dossier critique très bien illustré .
Cet article m’a rassuré : je n’ai pas aimé ce nouvel album ( j’ai lu cette histoire en consultant , jour après jour , le site qui publiait les strips du « Soir » – cela me rappelait ma découverte de « SOS Météores » dans Tintin , jeudi après jeudi ! ) . Je me suis ennuyé : le dessin d’André Juillard est toujours aussi talentueux ( il devrait utiliser ce talent pour un bien meilleur scénario ! ) , mais l’histoire n’est pas digne d’E.P. Jacobs !
Dernière remarque d’un « vieux » lecteur de Spirou : le brouillard artificiel qui protège la base de « Scaw-Fell » m’a tout de suite fait penser à celui qui protège l’îlot de « Lady X » dans « Un prototype a disparu » de J.M. Charlier et V.Hubinon en 1958 !
En attendant de lire vos prochains articles , intéressants et sincères , cordialement .
M. Besset
Merci pour votre propre appréciation :
il n’est jamais simple de critiquer un album, à défaut de verser dans le commentaire complaisant devenu la norme. Ici, même le dessin de Juillard laisse à désirer, alors que l’auteur lui-même a avoué avoir abordé cet album avec paresse. A comparer avec son magnifique album pour la reprise des 7 Vies de l’épervier.
Concernant la base de Scaw-Fell et son brouillard, voila encore une belle incohérence scénaristique : rendant dangereux tout décollage ou atterrissage d’avion, on se demande surtout comment le brouillard fait pour tenir de manière permanente dans cette cuvette. Et ce brouillard est bien sûr totalement absent de la même base de Scaw-Fell au début du Secret de l’Espadon !
Ce qui n’a l’air que d’un détail vient, aux côtés de dizaines d’autres, corrompre cet album risqué à tous points de vue.
Bonsoir
Je ne sais pas ce que vaut l’album mais si Julliard a été capable de tenir le rythme; son dessin est tout simplement somptueux !!
La beauté du trait de Juillard n’est malheureusement pas une évidence dans cet album : en le lisant, on se rend compte des décors rares et vides, de la rareté des mouvements et – pire encore – d’erreurs graphiques d’une case à la suivante (ce dès la séquence illustrée en couverture). Si l’on compare avec des albums précédents, Juillard compris, l’écart graphique devient manifeste : et le dessin d’Aubin se situe également bien au dessus dans l’album précédent !
A l’inverse, chez Juillard, on pourra juger la couverture de la version strip assez réussie… bien qu’inférieure au dessin d’UNE SEULE CASE de référence de Jacobs, comme le prouvent les visuels ci-dessus. Le pire, c’est que je suis pourtant habituellement un grand fan du dessin de Juillard !
Cet épisode graphiquement est une CATASTROPHE! Les personnages sont sans vie, inexpressifs; ils ne respirent pas! Blake et Mortimer n’ont aucune classe; les plis de leurs vêtement sont affreux, leurs postures sont caricaturales du style Jacobsien (et encore, quand ce n’est pas Juillard qui caricature son propre dessin!). Regardez ce pauvre Francis dans les 2 planches au début de cet article; il est là, les mains dans le dos… comme un con! Et que dire des arrière-plans: ridicules! Il n’y a qu’à comparer avec ceux de Jacobs, ci-dessus, bien plus vivant et cohérent quand à l’attitude des personnages.
Si le GRAND Juillard est vraiment un amoureux de cette série, alors Il est grand temps qu’il passe la main!
p.s. Je ne dirai pas un mot du scénario, les dessins m’ayant à chaque fois repoussé!
L’essentiel est dit…
Il faut laisser aux amateurs de la série le soin de « juger » cet album en fonction des éléments précités, mais aussi faire prendre conscience à l’éditeur que, sur une telle série, on ne peut pas tout laisser passer ou faire, surtout à ce niveau d’incohérences, en reflet de la trame épique concoctée par Jacobs dans L’Espadon (le rôle confié à Olrik, notamment, est révélateur de ces lacunes).
Cet album est une catastrophe. Le scénario est incipide comme la plupart des scénarii de Monsieur Sente (à par peut-être le serment des 5 lords) tant sur B&M que sur XIII ou Thorgal. Les incohérences sont flagrantes. Pour quand un scénariste digne de ce nom.
Le dessin de Monsieur Juillard est quant à lui froid, sans âme, à l’image du scénario, pas du tout à la hauteur même s’il reste précis.
A l’éditeur de se poser les bonnes questions et de choisir un duo créateur digne de ce nom.
Il est, je pense préférable, d’avoir un rythme de parution plus lent mais une qualité au rendez-vous; Edgar P. Jacobs et son oeuvre le mérite.
Cordialement
Bonjour,
Je suis lecteur de Blake et Mortimer depuis la parution des 3 formules du professeur Sato tome 2. J’ai par la suite acheté les albums de Jacobs, et les albums de reprise. les derniers albums sont largement en dessous de Jacobs, les scénarii de Sente sont désastreux, à se demander si c’est lui qui a signé le scénario de la machination Voronov
Bref, j’ai acheté cet album pour compléter ma collection, et en temps que passionné du secret de l’espadon, j’étais impatient de lire ce fameux « préquel ». Tous les jours pendus sur le site qui le prépublié, j’ai très vite déchanté. Durant les 150 premiers strips, il ne se passe rien, et l’histoire est d’une lenteur, le passage à Gibraltar est juste là pour faire un clin d’oeil au rocher du détroit d’Ormuz. Le dessin de juillard est fait au feutre, sans épaisseur, loin de son talent. Les personnages sont inégaux, le capitaine Blake est éfiminé, et Mortimer n’apparaît qu’au bout du tiers de l’album. Les personnages inégaux d’une case sur l’autre. Je ne sais pas, mais quand on a le talent de juillard, et de voir le trait dans cet album, on sent que c’est plus un travail pour le chèque versé par l’éditeur que par passion pour l’œuvre. Le scénario? A se demander si SENTE connait véritablement l’œuvre de Jacobs. Le capitaine est à même pas 1 mètre du colonel Olrik et il ne le reconnait pas quand celui-ci est déguisé lorsqu’il s’introduit dans la base secrète d’Ormuz? pour un chef du MI-5 cela fait désordre! Je passe les incohérence historique!
Le seul point favorable de cet album c’est que cela m’a donné envie de relire le secret de l’espadon, dans la foulée… et là, faut vraiment reprendre en main la série Blake & Mortimer. Il est grand temps que ces 2 là arrêtent de se prendre pour les créateurs de la série, qu’ils cherchent à s’attribuer en voulant tout expliquer. A croire qu’ils veulent casser le mythe.
J’ai rangé l’album dans ma bibliothèque, et il prendra la poussière comme les albums après la parution de la machination Voronov.
S.V.P. monsieur l’éditeur reprenez en main cette série, ayez le courage d’arrêter le massacre… mais comme cela se vend… pour combien de temps encore.
Merci Philippe de cette critique qui ne cire pas les pompes.
Cette critique, argumentée et objective, est remarquable, et constitue une rareté dans le monde de la bande dessinée, où les articles sont soit laudatifs à l’extrême, soit reprennent les contenus des dossiers de presse, sans vergogne.
Pour en revenir précisément à cet album, je n’aurai qu’une remarque : vers la fin de l’album, page 184 de la version en strips, une longue case, constituée de coupures de presse, évoque les faits marquants des deux longues années qui s’écoulent entre le D-Day et « un certain soir de septembre 1946″ qui clôture l’album – et ouvrira « Le Secret de l’Espadon ». Or, j’ai été particulièrement mis mal à l’aise à la lecture de cette case : aucune référence à la découverte des camps d’extermination, à la Shoah, à la Solution finale, pas plus qu’au Procès de Nuremberg qui se tint du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946. On évoque l’accession au pouvoir d’Attlee, la démission de de Gaulle, Hiroshima, et… deux coupures sur le Thibet et Basam-Damdu.
Cette omission m’a laissé un goût amer. D’autant plus amer que le nazisme me paraît banalisé dans cet album, qui mélange Histoire et fiction : le Horten 229 n’a jamais été utilisé de manière opérationnelle. Cette « super » aile volante dont le blindage résiste au feu du Golden Rocket et des Spitifire a de quoi étonner… On sent comme une fascination pour un régime, qui n’est que très rarement dénommé (le mot « nazi » apparaît deux ou trois fois dans l’album. Aucun symbole nazi, aucune allusion à la spécificité de ce régime, qui fut un des plus abominables (sinon le plus abominable) du XXe siècle. En bref, cet album qui slalome entre réalité historique et uchronie est assez étrange. D’un côté les supports de communication de cette publication ont longuement insisté sur la précision documentaire nécessaire pour reconstituer le QG souterrain du Cabinet of War, les avions eux-mêmes, le complexe de Bletchley, etc… De l’autre, on voit voler des avions rutilants, montrant la supériorité (provisoire) d’une Allemagne bien peu nazie, qui semble édulcorée. Et on finit en 1946 sans avoir ne serait-ce qu’évoqué le malheur du siècle, pour reprendre une formule d’Alain Besançon. Curieuses omissions, curieuses fascinations… J’espère que ceci est inconscient et je suggèrerais à l’éditeur, lors d’une réédition prochaine, de rectifier un peu le tir, en rajoutant, par exemple dans cette fameuse case synthétique de coupures de presse, un article démontrant l’horreur de ce qui se passa, si près de nous, de l’accession au pouvoir du NSDAP à 1944.
En fait, sur toutes les « reprises » de la saga, seul « La Machination Voronov » est digne d’un Jacobs, si l’on eclut de l’oeuvre jacobsienne, « Les trois formules du professeur Sato », et « L’affaire du collier ». Côté dessin, c’est effectivement raide et efféminé. Les carrures de Blake et Mortimer sont passées à 60 degrés dans la lessiveuse. Utile de comparer la musculature de Mortimer dans « Le secret e l’Espadon ». C’est un problème récurrent chez Juillard. Par contre, très belle couverture. Côté scénario, c’est une déception. Une intrigue cousue de fils blancs, avec un tas d’incohérences. Soulignées dans les commentaires précédents, mais aussi dans la logique des situations. Deux exemples: 1) Un bombardier dans une action suicide ne se permet pas une première approche pour une cible. Il arrive, il largue, il se casse. 2) Le professeur Mortimer, tellement essentiel pour la poursuite des travaux sur l’Espadon, ne serait jamais, en vrai, envoyé pour une mission périlleuse sur Gibraltar avec saut en parachute et tutti. D’autant que la mission de larguage des balises ne nécessite pas une « maintenance » scientifique pointue. C’est de l’épopée gratuite à deux balles. Revenons au récit, le « traître » se démasque à la première heure. C’est une faute. Trop de bla-blas, et de cases superflues nuisant à la qualité du récit. Ainsi le dernier dessin de la page 14 est inutile. Situer le premier dessin de la page 15 à cet endroit là aurait été plus judicieux, …et cohérent par rapport au sens d’orientation de la lecture…! Je concluerai par ceci: il y a une logique commerciale évidente, à pomper l’oeuvre d’un auteur n’ayant pas eu de descendance. Cette logique se heurte à une évidence: on ne remplace pas un auteur par …des feuilletonnistes. Mais au train où vont les choses en bande dessinée, cela fait déjà très longtemps qu’on ne discerne plus cette différence. Amen…
Hé bé ! Quelle avalanche ! J’en retiens une faiblesse graphique (déjà pour ma part perçue…) et du scénario au kilomètre. Je n’aurai pas la dent dure des précédents commentaires sur les opus post-Jacobs : j’ai bcp aimé L’étrange RDV et La machination Voronov.
Mais je ne vais pas faire mienne l’attitude de celui qui a acheté l’album et le rangera dans sa bibliothèque (cf poussière) : j’ai passé l’age des collectionneurs « boucheurs de trous ». Ce qui reste c’est ce qui a résisté à une 2ème lecture : d’ailleurs je me débarrasse. La nostalgie n’a presque plus d’effet sur moi. Le prix de la BD en a. Je me passerai donc de cet album probablement trop « marketé ».
Que penser du dernier Scorpion pour dépenser mes quelques sous ?
Sur le plan purement formel, j’ai l’impression qu’il y a aussi un certain relâchement dans l’effort de documentation…c’est peut -être pinailleur mais quand même…
Pour faire « so british » (la marque de fabrique des Blake et Mortimer) il faut être attentif aux moindres petits détails…et là çà part en vrille dès la première case: Tout navire de guerre de sa majesté britannique est immuablement désigné par l’acronyme HMS (His ou Her Majesty’s Ship)…mais mais mais
Le porte – avions de la toute première case (pour les connaisseurs c’est un sister-ship du HMS Colossus qui deviendra Arromanches sous pavillon français durant la guerre d’Indochine) est désigné sous l’appellation The Intrepid … sans le majestueux acronyme HMS ….Shocking!
Les maniaques d’aviation ne pourront pas ne pas remarquer un certain nombre d’inepties:
Le Golden Rocket est donné comme avion-fusée mais il est équipé d’entrées d’air une autre partie du texte parle de réchauffage des turbines (propulsion par turbo – réacteurs, d’ailleurs beaucoup plus compatible avec une mission à longue distance…de plus , le train d’ atterrissage , tel que dessiné ne peut absolument pas rentrer dans l’aile , ce qui est encore plus vrai pour la version agrandie du bestiau, équipé de roues jumelées qu’on reverra à la base de Scaw Fell
Le Horten 229 allemand (qui en réalité resta à l’état de prototype inabouti, pour une histoire de diamètre de réacteurs mal calculés) décolle »de la banlieue de Berlin »….pour aller bombarder Londres..Kolossal gaspillage de rayon d’action alors qu’en mai-juin 44 la Luftwaffe du cher Göring avait à sa disposition des dizaines d’aérodromes dans le Pas de Calais et la Normandie en France occupée .
Le combat aérien se déroule au ras de la tour du parlement de Westminster (à moins de 60 m d’altitude) est fantaisiste au plus haut degré :
Et d’une : un bombardier (et même un chasseur-bombardier comme l’aile volante Horten ) ne commence pas par aller poivrer sa cible à la mitrailleuse pour revenir ensuite larguer ses bombes, il vise , largue et dégage, un point c’est tout.
Et de deux : Foutu pour foutu Blake se résout à un éperonnage en plein vol (le Taran des pilotes de l’aviation soviétique) mais comme il faut bien qu’il survive pour « le secret de l’Espadon et les X albums suivants, il programme son radar pour le « verrouiller » sur l’avion adverse avant de l’éjecter…
Un vrai miracle d’électronique , absolument hors de portée des équipements de l’époque , et surtout des équipements anglais quand on sait à quel point les fabricants anglais de radar anglais étaient en fait en retard sur les Allemands côté précision des composants électroniques (mais compensaient , et au delà, leur désavantage par l’emploi d’opérateurs super qualifiés)…relire le très british bouquin du Dr Reginald Victor Jones -Most Secret War- un savant et humoriste , le meilleur conseiller d’espionnage scientifique de Churchill, qui gagna la « bataille des faisceaux » et perça les secrets des V1 et V2, un bouquin qui pourrait (devrait) être une excellente source d’inspiration pour les scénaristes de B & M
Et de trois: Blake s’éjecte à l’ancienne en sautant de son avion en feu après avoir largué sa verrière de cockpit, ouvre manuellement son parachute… le tout à l’altitude de l’horloge de Big Ben… Miracle …
Il survit et demande avec un flegme tout britannique qu’on vienne le décrocher de la grille quai de la Tamise où son parachute est venu bêtement s’accrocher….Une telle éjection depuis un appareil à réaction est en réalité mortelle à tout coup à si basse altitude…et pourtant il y avait une solution simple…pourquoi le Golden Rocket, avion à la pointe de la technique, n’a t’il pas été doté d’un siège éjectable? ..qui équipait déjà en 1944 les SAAB suédois et certains avions Heinkel allemands, un tel siège éjectable (dit zéro/zéro) permet de sauver le pilote y compris à très basse altitude, grâce à une mini fusée qui le propulse assez haut pour déployer tranquillement le parachute.
Autre gaffe, Blake et Mortimer s’embarquent dans une assez laborieuse histoire d’intox, peut être inspirée de la célèbre « opération Mincemeat », celle de l’homme qui n’exista jamais (beau titre pour un album de B& M!) en larguant des leurres acoustiques imitant des sous-marins dans le détroit de Gibraltar pour tromper l’ennemi sur le lieu du débarquement allié…des avions italiens viennent « Sparviero » viennent grenader les supposés sous marins anglais….problème on est en 44 et en Italie Il ne reste plus aux Nazis et aux Fascistes que le nord de la péninsule (l’infâme république de Salo où Mussolini est devenu la marionnette de Hitler)….or les avions italiens arborent …. les emblèmes de l’ Italie fasciste d’avant septembre 43 , la croix blanche de la maison de Savoie sur la queue et trois faisceaux de licteurs ans les cocardes d’aile….
Un documentaliste moins négligent aurait signalé aux dessineux de service que l’aviation de Salo portait des cocardes carrées avec des faisceaux de licteurs tête bêche (visuellement assez proche de la balkenkreuz allemande) et un drapeau tricolore dépourvu du blason de savoie sur le fuselage