Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Sauvage T1: Les Damnés d’Oaxaca » par Félix Meynet et Yann
Dans cette nouvelle saga où pointent l’aventure historique et le western, le scénariste Yann et le dessinateur Félix Meynet nous plongent dans l’immensité caniculaire du désert mexicain de juillet 1864, alors que des troupes françaises y progressent péniblement. Il s’agit là d’une partie du corps expéditionnaire envoyé par quelques puissances européennes (dont la France de Napoléon III) dans l’espoir de se tailler un nouvel empire colonial en Amérique latine. Si les combats allaient vite s’avérer aussi âpres et sauvages que le décor environnant, le titre choisi renverra ici également au nom du personnage central : le jeune lieutenant Félix Sauvage, militaire droit et habile venu venger une tragédie familiale…
Si le scénario de ce premier tome de la série « Sauvage » est plein de rebondissements, il faut noter les apparitions successives – mais attendues – d’ingrédients visibles dès la couverture : une soldatesque nombreuse, un paysage exotique et hostile (soleil ardent, rochers et plantes cactées diverses) ainsi que de farouches combats au corps à corps avec les soudards mexicains. Dans ce récit digne d’un album de « Blueberry » interviendront également un journaliste américain et une séduisante jeune femme blonde. Comme l’indique le titre « Les Damnés d’Oaxaca », l’action s’installe non loin de la capitale de l’état mexicain homonyme, situé dans la Sierra Madre del Sur (partie sud du Mexique). Notons que ce titre définitif est venu remplacer le premier choix des auteurs, « Le Spectre de Chapultepec », évoquant le nom d’une colline sacrée d’origine Aztèque, aujourd’hui située dans la périphérie de la ville de Mexico.
L’expédition du Mexique (de 1861 à 1867) laissa des traces dans l’imaginaire romanesque et le récit de bataille. Elle fut comme on l’a dit initiée puis justifiée par l’empereur Napoléon III en affichant sa crainte que les États-Unis ne s’emparent du Mexique et ne bouleversent de la sorte l’équilibre politique du continent. Napoléon III projette donc de transformer le Mexique en « nouvel empire français » et d’en confier la couronne à l’archiduc Ferdinand-Maximilien, le frère cadet de l’empereur autrichien François-Joseph 1er. Mais les 2 500 hommes débarqués se heurtent rapidement à la résistance farouche et inattendue des Mexicains, qui prennent le parti du nouveau président Bénito Juarez (on les nommera « Juaristes »). S’en suivra l’envoi de 28 000 hommes supplémentaires, qui n’empêcheront pas le drame de Camerone : le 30 avril 1863, dans ce village distant de 55 km à l’ouest de la ville portuaire de Veracruz, 63 légionnaires français, sous les ordres du capitaine Jean Danjou, résisteront à une armée mexicaine de plus de 2 000 hommes… À la fin de la journée, les six légionnaires encore en état de combattre, à court de munitions, chargèrent les troupes mexicaines à la baïonnette, avant d’être fait prisonniers. Magnifié et exalté, un tel récit ne pouvait que côtoyer la légende historique et graphique : de fait, la couverture imaginée par Félix Meynet se rapproche quelque peu de tableaux illustrant ce fameux combat, tel celui de Jean-Adolphe Beaucé, présenté en 1869.
La couverture du tirage de tête de ce même album prend un parti opposé : sur fond de lutte fratricide et de décor rougeoyant se détache la fière silhouette du lieutenant Sauvage, dont on n’aperçoit ni les pieds ni la tête. Ainsi déshumanisé, sans sol ni véritable patrie à défendre, l’homme est rendu au seul soldat, dont le bel uniforme peine à cacher les meurtrissures ou les actes commis. Comme le suggère le titre, c’est bien la guerre, et tous ceux qui prétendent la faire au travers de fausses justifications, qui seront ici désignés comme d’insondables « damnés ». Comme référence à la fois plastiquement éloignée mais équivalente d’un point de vue psychologique, nous pourrons citer ce tableau de Charles Dominique Oscar Lahalle montrant une légion Belge harassée par la chaleur locale (1869). De fait, nous retrouvons en couverture un univers constitué de poussière, de soleil, de sueur, de sang et de crasse…
Selon Félix Meynet, les intentions initiales furent les suivantes :
« Notre souhait à Yann et à moi-même, était de réaliser une aventure dans la veine Charlier, pleine de bruit, de fureur et de vengeances à assouvir.
Le cadre est clairement western avec la touche épique apportée par le contexte napoléonien. Pour une fois, nous avons là le point de vue français, contrairement à ce qui s’est déjà fait en bd (« Blueberry », « Mc Coy », etc.) ou au cinéma (« Major Dundee », « Vera Cruz », « Juarez », etc.).
Dès lors, il a fallu jouer sur un axe à la fois classique et « moderne ».
Ma première proposition fut le dessin retenu finalement pour la version luxe où l’on voyait l’uniforme du personnage principal et le combat « sauvage » en arrière-plan. C’était, dans mon esprit, une vision plus cinéma que Bd et permettait ainsi de donner une dimension encore plus épique à l’histoire.
Yann plaidait pour une couverture plus classique mais sans perdre de vue la notion d’aventure. Le fond gardait le rouge.
Finalement, c’est l’éditeur qui a opté pour deux versions de l’album : la normale reprendra le dessin « classique » mais avec une couleur de ciel turquoise et l’édition de luxe, comprenant un cahier de 8 pages supplémentaires et aura la version « ciné ».
Entretemps, l’album est prépublié dans L’Immanquable et le dessin est utilisé en couverture du magazine.
Un peu insatisfait du dessin, je le recommence pour la version définitive de la couverture en améliorant principalement le personnage de Sauvage.
Je fais la maquette dans la foulée.
Je suis ravi de l’accueil fait chez l’éditeur et les copains dessinateurs de ces deux versions qui finalement se complètent.»
Clôturons cet article avec un détour cinématographique : Hollywood n’aura pas manqué de porter à l’écran la tragique aventure mexicaine. Ainsi, dans « Vera Cruz » (R. Aldrich, 1954) où Gary Cooper et Burt Lancaster se retrouvent – sans manichéisme – plongé dans des combats incertains ou se conjuguent idéaux et soif de l’argent. Dans « Les Géants de l’Ouest » (A. V McLaglen, 1969) comme dans « Major Dundee » (S. Peckinpah, 1965 : référence avouée de Yann et Meynet pour « Sauvage », le visuel de l’affiche se rapprochant de la couverture du tirage de tête), outre le grand spectacle westernien traditionnel (anciens soldats de la Guerre de Sécession, Amérindiens, mercenaires et combattants mexicains mêlés !), c’est l’armée française qui est visée, saisie – comme la plupart des personnages – entre impulsivité, isolement, quête obsessionnelle et destructrice. Il en sera encore de même dans le célèbre « Sierra Torride » (1970, avec Clint Eastwood) de Don Siegel, où l’on assiste à la prise (irréelle !) de toute une caserne dont la garnison est ivre morte. Cependant ce dernier film est aussi un des rares qui nous montre la mort d’un officier Français victime des fièvres, rappelant ainsi un peu certains éléments historiques essentiels à la compréhension du contexte de l’époque.
Philippe TOMBLAINE
« Sauvage T1 : Les Damnés d’Oaxaca » par Félix Meynet et Yann
Éditions Casterman (12, 95 €)
ISBN : 978-2203057739
ça donne envie de voir comment meynet s’en débrouille.
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