Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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? Rani T.1 : Bâtarde ? par Vallès, Alcante et Van Hamme, ? Blast T.1 : Grasse carcasse ? par Larcenet, et ? La Femme accident : seconde partie ? par Grenson et Lapière.
- ? Rani T.1 : Bâtarde ? par Francis Vallès, Alcante et Jean Van Hamme – Éditions Le Lombard (13,50 Euros)
Evidemment, ce genre d’album est destiné aux amateurs de trépidantes sagas et de feuilletons historiques où se mêle amour, trahison, vengeance, gloire et beauté… : une sorte d’ « Angélique marquise des anges » à la sauce Van Hamme, lequel va multiplier les concours de circonstances pour faire vivre, à son héroïne, une série d’aventures qui l’entraîneront jusqu’en Inde (Rani voulant dire princesse en hindou)…, et ça marche, du moins pour ce premier tome où on se laisse prendre par l’histoire romanesque ! Nous sommes en 1743, alors que la France est sous le règne de Louis XV et que l’Europe va de nouveau connaître une période troublée avec la guerre de succession d’Autriche. La belle Jolanne de Valcourt va être la victime de son magouilleur de demi-frère : ce dernier s’arrange pour le testament de son père, qu’il n’hésite pas à trucider, soit en sa faveur alors que le marquis avait décidé de léguer son château familial du Massif Central (et ses dépendances) à sa fille. Jolanne qui était dans un couvent pour parfaire son éducation, ne se doute de rien et revient au château pour l’enterrement de son père… Á l’origine, « Rani » est un feuilleton télévisé de huit épisodes que Jean Van Hamme a écrit pour France 2 (et qui n’a pas encore été diffusé). Le scénariste de « XIII », de « Largo Winch » ou de « Thorgal » a alors pensé au jeune Didier Alcante, avec qui il venait de collaborer sur un « XIII Mystery » à paraître, pour travailler sur l’adaptation du scénario original en bandes dessinées, sous la supervision de l’exigeant maître es BD d’aventures ! Pour mettre en image cet album d’exposition où on nous présente les personnages et l’intrigue tout en nous plongeant directement dans l’action, Jean Van Hamme a retrouvé son complice des « Maîtres de l’orge » : Francis Vallès : ses dessins riches en détail au niveau des décors et des costumes reconstituent de belle manière cette époque troublée et collent parfaitement à l’ambiance de ce récit à la narration et aux dialogues parfaitement huilés.
- ? Blast T.1 : Grasse carcasse ? par Manu Larcenet – Éditions Dargaud (22 Euros)
Il s’agit, sans ambages, de notre coup de cœur du moment ! Dans un commissariat, un gros bonhomme d’allure plutôt négligée est en garde à vue et deux policiers le cuisinent. L’obèse s’appelle Polza Mancini et il est là pour ce qu’il a fait à Carole Oudinot, son épouse (la seule femme qui ait jamais accepté de coucher avec lui) qui se trouve, pour l’instant, dans un coma artificiel. Il a 38 ans et, avant d’être un SDF en partance pour l’île de Pâques, il était écrivain et rédigeait des livres de gastronomie… Devant les flics compréhensifs, Polza se raconte, tranquillement, et leur explique que tout a commencé le jour où il a vu son père mourant. C’est là qu’est arrivé son premier blast, cet effet de souffle consécutif à une explosion qui, ici, provoque des dégâts sur l’organisme en irradiant soudainement le cerveau : comme une révélation métaphysique… Alliant parfaitement le trait plus « underground » (en noir ou au lavis, sauf pour les quelques scènes où il représentes le blast avec des images orgasmiques vivement colorées) qu’il utilise sur ces productions intimistes aux Rêveurs (la maison d’édition qu’il a fondée avec Nicolas Lebedel où il publie quelques albums autobiographiques qui ne cadrent avec aucune structure comme « Dallas Cowboy » ou « Presque ») et la narration impeccable de son « Combat ordinaire », Manu Larcenet propose un pavé bluffant de 200 pages où il prend son temps : un thriller psychologique, bien loin des clichés du genre, que l’on prend dans la gueule comme une claque inattendue, alors qu’il n’y a aucun passage à tabac au programme. Tout est dans les silences, dans les regards, dans les brouillages de pistes… Et encore, ce n’est que le premier tome (sur les cinq annoncés) ! Qu’a donc fait vraiment ce type et va-t-on sortir indemnes des révélations à venir, vu la force et la violence de ce premier opus ?
- ? La Femme accident : seconde partie ? par Olivier Grenson et Denis Lapière – Éditions Dupuis (15,50 Euros)
Décidément, le scénariste Denis Lapière aime bien mettre en cases des portraits de femmes secouées par les évènements de la vie. Ce diptyque passionnant et poignant retrace le parcours romanesque d’une jeune femme, avide d’une vie facile et de reconnaissance, inculpée pour avoir assassiné son compagnon. Son procès se poursuit donc dans cette deuxième partie où, entre deux scènes juridiques, l’héroïne se souvient de son adolescence gâchée et de sa rencontre avec un riche protecteur plus âgé qu’elle. Ses rêves se sont envolés très vite en éclats et elle doit assumer les conséquences de ses gestes et de ses décisions…, jusqu’à la délibération des jurés… Avec cette chronique dramatique d’une vie somme toute assez banale, le prolifique et toujours très intéressant scénariste Denis Lapière (auteur des séries « Charly », « Ludo » ou « Oscar » et de nombreux petits bijoux comme « Le bar du vieux Français », « Un peu de fumée bleue » ou le très récent « Urielle » : voir http://bdzoom.com/spip.php?article4036) permet au méticuleux dessinateur Olivier Grenson (illustrateur de la série à succès « Niklos Koda ») d’utiliser de façon flamboyante le procédé de la couleur directe ! Son élégant style réaliste, efficace et lumineux, se révèle alors idéal pour mettre en valeur la protagoniste mélancolique de cette histoire sensible, située à Charleroi (en Belgique) : sa ville natale…
Gilles RATIER