Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« L’Enfance d’Alan » par Emmanuel Guibert d’après les souvenirs d’Alan Ingram Cope
Après le triptyque de « La Guerre d’Alan » qui mettait en images les souvenirs qu’avait l’américain Alan Cope de sa période militaire, pendant la fin de la Seconde guerre mondiale, le talentueux Emmanuel Guibert s’est attaché à composer un portrait, le plus juste possible, des années d’enfance de son ami aujourd’hui disparu…
             Le dessinateur du « Photographe » a manifestement été très touché par ce que lui a raconté l’ancien soldat et il a voulu aller jusqu’au bout de cette évocation d’une vie qui trouve, justement, ses racines dans sa jeunesse et dans son adolescence (laquelle fera l’objet d’un autre volume à paraître prochainement) ! Après leur rencontre sur l’Île de Ré dans le courant des années 1990, ces deux humanistes vont devenir très proches en passant de nombreuses heures à discuter, deviser ou chanter(1) ; Emmanuel Guibert, émerveillé, écoutant et enregistrant presque religieusement le récit détaillé du quotidien guerrier de ce conteur alors âgé de soixante-dix ans.
           Né en 1925, en Californie, Alan Cope, petit bonhomme au caractère affirmé, va déménager de nombreuses fois avec ses parents sans le sou jusqu’à ce que, finalement, son père trouve un poste d’enseignant à Alhambra. À travers l’histoire de cette famille humble, c’est toute celle de l’Amérique d’avant-guerre que l’on feuillette comme un album de famille où le quotidien le plus commun s’affiche à côté des débuts de l’industrialisation et de l’apparition des fast-foods, des kleenex ou des films en couleurs… Et comme pour mieux appuyer le côté témoignage de cette touchante évocation, le dessinateur a opté pour un style épuré, suggéré mais très expressif, qui demeure dans les nuances de gris ou qui lorgne vers le photo-réalisme, quand il reproduit des documents anciens en sépia…
           Avec ce roman graphique qui se révèle être un travail de mémoire vraiment réussi sur l’éveil d’un gamin à l’existence, Emmanuel Guibert touche à l’universel… : avec une incroyable économie de moyens narratifs, il réussit à aller à l’essentiel, comme s’il avait été touché par une grâce folle…
                   Gilles RATIER
(1) Emmanuel Guibert raconte ainsi, à nos confrères de CaseMate, dans le n°52 d’octobre 2012, la genèse de sa participation au CD « Dust Bowl » édité par le festival bdBOUM de Blois : « Un après-midi, au lieu de raconter des histoires, Alan a chanté. Je réécoute souvent cette cassette en dessinant et j’ai pris l’habitude de faire une petite tierce dessus, comme si nous chantions ensemble. Quand l’équipe de Blois m’a proposé de participer au disque « Dust Bowl » (voir : En attendant le 29ème bdBOUM, l’équipe organisatrice du festival de bande dessinée de Blois ne chôme pas ! ) j’ai dit que ça me plairait de chanter sur sa voix. On a fait six courtes chansons – parce qu’Alan ne les chantait pas en entier – et elles sont réparties sur tout le disque. Le mobile est toujours le même : faire entendre sa voix… ».
« L’Enfance d’Alan » par Emmanuel Guibert d’après les souvenirs d’Alan Ingram Cope
Éditions L’Association (19 €) – ISBN : 978-2844144553