Saviez-vous qu’en 1916, à Unicoi (comté de l’État du Tennessee, aux États-Unis), une éléphante prénommée Mary a été condamnée à mort et pendue à une grue pour avoir écrasé la tête du dresseur qui la battait ? Eh oui, en Amérique, à cette époque-là, on ne rigolait pas avec la loi, même en ce qui concernait les animaux à qui ont accordait, suivant la croyance populaire, une conscience morale. La plupart d’entre eux devant alors être exécutés, il y aurait eu, d’après l’excellent narrateur et dessinateur David Ratte (1), des bourreaux assermentés qui devaient parcourir tout le pays pour appliquer la sentence suprême à ces bestioles assassines, à la suite de décisions issues des procédures fédérales. C’était d’ailleurs le métier du jeune Jack Gilet : un type un peu paumé qui aimait tellement les animaux qu’il ne voulait pas qu’on les abatte comme des bêtes…
Lire la suite...Les sauvages ne sont pas ceux qu’on pense !
« Antipodes », d’Éric Lambé et David B, c’est d’abord l’évocation d’une expédition en partie oubliée : celle du Français Villegagnon, qui quitte Le Havre en aout 1555 pour aller installer une colonie au Brésil. Alors que l’Inquisition fait ses ravages en France, dès 1557, Villegagnon, lui, joue les terreurs de l’autre côté de l’Atlantique, à Fort Coligny !
Pourtant le héros de ce récit n’est pas le soldat Villegagnon, mais un certain Nicolas qui l’accompagnait : ils étaient tout de même 600 passagers à le suivre. Là-bas, dans la baie de Rio, Nicolas se prend d’intérêt et même d’amitié pour les Tupinambas. Il fait tout pour s’intégrer à la tribu et, notamment, use de ses talents de chanteur pour les séduire.
Nicolas est un curieux, et même un curieux bonhomme. Il apprend leur langue, s’intéresse à leurs croyances et décide de rester auprès d’eux, nu comme eux, pour mieux les approcher, les comprendre. Évidemment, son comportement ne plaît pas à tout le monde. Sa liberté d’action et de mouvement choque, militaires et religieux : être un intermédiaire entre Français et Indiens, c’est une chose, mais devenir leur ami jusqu’à prendre une femme tupinamba, c’en est une autre.
Certes, leur cannibalisme lui fait horreur, mais il a cette clairvoyance qui lui fait penser que ces « sauvages » ne sont pas plus sauvages que les siens et qu’en matière de barbarie, les Européens n’ont vraiment pas de leçon à donner ! Le lecteur est ainsi amené à se positionner, à se solidariser avec ce personnage, certes inventé, mais documenté, notamment par les écrits de Jean de Léry et son « Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil » (1578).
Le graphisme d’Éric Lambé peut surprendre à première lecture, mais on l’adopte assez vite, tant il confère une évidence fraicheur aux décors et aux personnages, apportant à ce conte philosophique sur le racisme et la sauvagerie un éclairage original.
Didier QUELLA-GUYOT
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« Antipodes » par Éric Lambé et David B.
Éditions Casterman (22 €) – EAN : 9782203257726
Parution 28 août 2024
Tout l’art du récit, où l’on se plonge,happé,avec un réel raffinement pour exprimer, exhaler des idées, des sentiments,dans un beau, un grand scénario.
Des pages envoûtantes. J’y retrouve mes impressions du Capitaine écarlate…