Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Conclusion sensible et ouverte de la trilogie sud-africaine « Lulu et Nelson »…
1964, l’apartheid est la loi qui sépare les communautés selon leur couleur de peau en Afrique-du-Sud. C’est ce que découvre la jeune Italienne Lucia partie à la recherche d’un lion pour le cirque de son père. Finalement, vivre dans le bush à proximité des lions se révèle bien moins dangereux que de défendre un ordre juste pour son ami Nelson dont le père, opposant au régime en place, se cache des forces de police. Plus de faux-semblants, la vérité de chacun éclate au grand jour dans un superbe volume qui conclut la trilogie « Lulu et Nelson ».
Nous retrouvons une dernière fois nos jeunes héros : Lucia et Nelson, dans « La Lionne blanche » : l’ultime volet de leurs aventures. Dans le premier volume de la série, nous avons fait leur connaissance. Lucia est une jeune fille intrépide qui vit à Naples, au milieu de la troupe de cirque tenu par son père. Quand un incendie le ravage, mettant à mal le chapiteau et les animaux de la ménagerie, Lucia est dévastée.
Courageuse, elle décide d’embarquer à bord d’un cargo pour le Sud de l’Afrique, là où vivent les lions, rejointe in-extremis par Roberto. Père et fille débarquent à Durban, avec pour objectif de ramener un lion en Europe. Seulement quand l’Italien voit un jeune garçon noir se faire battre sans retenue par un policier, il le défend sans réfléchir aux conséquences. Celles-ci sont dramatiques : Roberto se retrouve en prison et Lucia, livrée à elle-même dans un pays inconnu, est fort heureusement recueillie avec Nelson par une militante des droits de l’homme.
C’est dans une ferme du bush sud-africain que s’ouvre le deuxième volume. Lucia, surnommée affectueusement Lulu, s’éveille et part vite avec Nelson parcourir la savane à cheval. Elle est fascinée par ce qu’elle voit de la faune encore sauvage : des serpents, des zèbres, des girafes, mais surtout par les lions. Elle n’a pas oublié le but premier de son voyage et espère toujours ramener un lionceau pour le cirque napolitain familial.
Pour l’heure, elle doit d’abord essayer de faire libérer son père des geôles du régime oppressif de Pretoria. Mary, sa généreuse hôtesse, s’y emploie sans compter, pendant que Nelson attend impatiemment des nouvelles de son père : un opposant à l’apartheid, ami de Mandela, recherché activement par la police. Lulu ne le sait pas, et le plus grand danger qui la guette n’est par un fauve affamé, mais un homme qui travaille secrètement à la perte de ses amis.
Le troisième volume clôt cette série bien construite. Lucia prend grand soin d’un jeune lionceau blessé avec le secret espoir de pouvoir le ramener en Europe. Mais la froide réalité politique du pays interfère avec ce rêve d’enfant. Elle est protégée par Mary, la fermière militante surnommée « La Lionne blanche » et par Danny son employé qui lui enseigne l’art de se rapprocher au plus près des félins. Cependant, leur voisin (le fermier Hendrick) a introduit un espion : une taupe chez Mary pour arrêter le père de Nelson dès que celui-ci viendra voir son fils. La tension est à son comble dans une savane arborée où les lions vivent encore en liberté.
Cette trilogie pour la jeunesse développe un récit d’initiation original qui oppose la candeur de deux jeunes héros bienveillants, heureux dans une nature encore préservée, à la triste réalité d’un monde marqué par la violence, le racisme et le mensonge. Les scénaristes de « La Balade de Yaya » ont construit une histoire émouvante : celle d’une petite fille qui découvre l’Afrique-du-Sud de la ségrégation raciale, en cette année 1964 hautement symbolique, car c’est l’année de la condamnation de Nelson Mandela à la prison à perpétuité.
Les planches délicates d’Aurélie Neyret rendent grâce aux superbes paysages naturels du bush sud-africain à la faune encore sauvage, tout autant qu’aux émotions, parfois complexes, de personnages parfaitement incarnés. La dessinatrice de la série culte « Les Carnets de Cerise » n’a rien perdu de son talent pour transcrire la subtilité des sentiments et la vivacité des mouvements d’enfants pré-adolescents amoureux de la vie.
Le premier volume de la série a reçu le très recherché Prix des lecteurs du Journal de Mickey en début d’année. C’est amplement mérité pour cette série attachante et généreuse, une ode à la liberté qui sait aborder des sujets sensibles : du racisme aux violences policières, malheureusement toujours d’une triste actualité.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Lulu et Nelson T3 : La Lionne blanche » par Aurélie Neyret, Charlotte Girard et Jean-Marie Omont
Éditions Soleil, collection Métamorphose (15,95 €) – EAN :  978-2-302-09527-4
Parution 23 novembre 2022