Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Avec « 47 Cordes », Timothé Le Boucher dessine la musique et l’amour avec sensibilité !
En 400 pages (et encore, ce n’est que la première partie de cet étonnant diptyque), Timothé Le Boucher nous raconte l’histoire d’une métamorphe — créature fantastique capable de changer d’apparence — qui use de son pouvoir pour se faire aimer d’un jeune harpiste. Après « Ces jours qui disparaissent » et « Le Patient », cet ancien des beaux-arts d’Angoulême confirme son talent de narrateur et de dessinateur avec cette ambitieuse et envoûtante œuvre, où il joue brillamment avec les codes du roman graphique, de la traditionnelle BD franco-belge, et du manga : époustouflant !
Pour séduire l’excellent joueur de harpe qu’est Ambroise, une métamorphe modèle son corps et son apparence, multipliant les déguisements et les stratégies en fonction de ses envies ou de ses humeurs.Â
Cependant, le beau musicien, plutôt du genre fermé, est bien trop occupé à s’efforcer de s’intégrer dans un nouvel orchestre pour se rendre compte de quoi que ce soit.
Cette résistance qu’elle rencontre contrarie la courtisane qui, d’habitude, parvient assez facilement à ses fins…
Et cela contribue à son obsession : posséder Ambroise à tout prix.
En se transformant en la célèbre cantatrice Francesca Forabosco — qui est aussi excentrique qu’enrobée —, elle va lancer 47 défis au harpiste : autant que de cordes nécessaires pour qu’il obtienne la harpe de ses rêves…
Un seul échec, et cet instrument lui échappera…
Mais s’il y arrive, ne risque-t-il pas d’avoir autant de chaînes autour de lui ?
Dans « 47 Cordes », un projet qui a commencé à émerger dans son esprit depuis quelques années et où la musique classique occupe une position centrale, notre auteur prodige (il n’a que 33 ans !) se met vraiment à la place de la vingtaine de personnages charismatiques, et assez éloignés des habituels canons de beauté, qu’il anime : comme s’il jouait, lui aussi, le rôle d’une métamorphe. Ceci tout en prenant tranquillement son temps, comme dans la narration de certains mangas contemplatifs, pour mieux emmener le lecteur au cœur même de l’intrigue.
Ce singulier thriller psychologique, aux images élégantes et sensuelles, aborde les thèmes de l’obsession et de la cruauté des rapports humains, tout en nous interrogeant sur les possibilités de transformation de nos corps : qu’on en soit maître — à l’instar de la créature mise ici habilement en scène — ou qu’on les subisse, comme d’autres protagonistes qui sont, eux, atteints de maladies dégénératives ou génétiques.
Pas de doutes, en seulement cinq albums, Timothé Le Boucher a réussi à se hisser au niveau des plus grands : il fait désormais partie des auteurs avec lesquels le 9e art va devoir compter !
Gilles RATIER
(1)  Sur Timothé Le Boucher, voir aussi sur BDzoom.com : Manipulations et fascinations entre psychologue et patient sont au centre du nouveau roman graphique de Timothé Le Boucher… et « Ces jours qui disparaissent » par Timothé Le Boucher.
« 47 Cordes » T1 par Timothé Le Boucher
Éditions Glénat (25 €) — EAN : 978-2-81020-111-2
Pour le Boucher y a comme un os avec sa métamorphe, on a déjà vu ça avec Zep et Vince, mais c’était plus cru!