N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...Wampus : Le point de vue du poulet ?
Créé par l’éditeur Marcel Navarro, le scénariste Franco Frescura et le dessinateur Luciano Bernasconi, Wampus (six numéros publiés de mars à août 1969) est un curieux météore traversant le ciel de la respectueuse maison d’édition Lug : cas rare contrastant avec les publications périodiques antérieures de cette société d’édition relevant, jusqu’alors, de genres traditionnels. En premier lieu le western, éminemment représenté avec des titres comme Plutos, Tex, Rodéo, Pampa, Fox, Kiwi, Davy Crockett-Hondo, Nevada, Flambo, Yuma, Blek, Ombrax, Mustang, Yampa et quelques autres, ou encore des genres comique ou d’aventures avec Pipo ou Zembla, et contrastant tout autant avec les publications des tonitruants super-héros qui allaient se développer et devenir un nouveau genre dominant, tels Fantask, Strange, Marvel, Titan ou Nova.
« Wampus, être maléfique venu d’une lointaine galaxie, a pour mission de détruire la civilisation humaine », annonce le préambule du deuxième épisode (Wampus n° 2, page 3).
Ce personnage au physique déconcertant est animé d’une véritable rage qui le pousse à exterminer le plus grand nombre d’humains. Il se dit « l’ennemi juré de la Terre et de ses habitants » (n° 1, page 44).
« Hommes ! Ce n’est que le commencement de la fin ! Wampus porte en lui le message de l’esprit des ténèbres, car les horreurs de l’apocalypse vont s’abattre sur vos têtes chétives » (n° 1, page 51). « Parce que le mal en soi-même, de par lui-même, est mon unique but » (n° 5, page 49).
Il parcourt le monde provoquant catastrophes et désastres, anéantissant, grâce à ses pouvoirs surhumains, barrages, ponts, navires, usines, immeubles, trains ou avions. Il fait exploser un volcan au Japon ou une bombe nucléaire en plein Londres, sans cesse mû par sa rage meurtrière : « Il est temps d’aller ailleurs, de répandre en d’autres lieux la peur, la mort et la ruine, signes incoercibles de la victoire du très-bas » (n° 1, page 52).Wampus n’obéit, a priori, à aucun intérêt personnel particulier. Il est l’instrument d’une entité, le Grand Mental : « cône flamboyant », « figure géométrique immatérielle » projetée depuis une étoile (première apparition : n° 2, page 38), qui le dirige. Wampus exerce alors, sous ce contrôle, le mal comme un devoir, même si c’est avec passion et même exaltation.
Wampus est venu sur la Terre pour sacrifier à son dieu des êtres humains, êtres pour lui inférieurs, tout comme des êtres humains ont sacrifié et sacrifient encore aux leurs des bœufs ou des poulets. C’est par foi que Wampus, fidèle adorateur de sa divinité, sème la mort et la destruction.
Pourtant, nous n’avons pas affaire à un simple fonctionnaire remplissant seulement avec application son office.
Si, au long des époques et des civilisations, des prêtres humains ont jugé bien de verser le sang animal en offrande à leurs déités, si au fil des époques et des générations des prêtres humains ont décapité le bouc ou le poulet pour marquer avec respect de leur sang l’autel, Wampus dans ce cas agirait selon une tradition de même nature, ni meilleure ni pire. Les auteurs auraient tracé en quelque sorte le portrait incarné de l’idée humaine de sacrifice aux dieux, et avec leur personnage — retour à l’envoyeur —, ce sont « simplement » des humains : êtres inférieurs qu’il méprise, qui sont victimes de cette idée. Avec Wampus, l’humanité rencontre son prêtre sacrificateur appartenant à une espèce qui lui est supérieure.
La série « Wampus » donne-t-elle le point de vue du poulet sacrifié à l’instant de sa décapitation ?
Mais — mais —, lors d’un sacrifice animal, l’exécutant humain n’est pas supposé éprouver de plaisir dans le fait même de tuer l’animal. Il s’adresse à sa divinité, fait juste mourir de manière vertueuse une forme de vie pour, dans son esprit, rendre hommage à un dieu, et il ne ressent aucun sentiment de faire un acte malfaisant ni aucun sentiment exquis de contentement si ce n’est mystique.
Mais si accomplir un sacrifice n’est pas censé être accomplir le mal, Wampus, lui, à l’opposé, accomplit et un sacrifice et le mal, il accomplit même un sacrifice pour accomplir le mal. Et il jubile, possédé par une cruauté frénétique, il y trouve une jouissance personnelle.En revanche, et on pourrait dire « naturellement », nous ne savons rien des avantages que de son côté le Grand Mental est supposé tirer des exactions de son émissaire, des avantages qu’il est censé recevoir de ces exterminations humaines, du bénéfice que cet être tout-puissant, désincarné, peut tirer de ce qu’un adorateur inflige la mort à des créatures, qu’il s’agisse d’humains ou de poulets, du bénéfice qu’un être tout-puissant peut tirer du fait qu’un adorateur répande la souffrance en son nom.
Un tel thème n’avait guère été abordé auparavant dans la bande dessinée, ce qui confère à cette série une indéniable originalité, et fait d’elle une chose plutôt rare.
Mais la thématique est sans doute complexe, et le scénariste paraît s’y être lui-même plus ou moins embrouillé. Car Wampus se permet aussi de juger l’humanité : « Il y a tant de mal, tant de férocité à New York que mon œuvre pourrait paraître inutile » (n° 3, page 15). « Les milliers de ruisselets au milieu desquels se perd la méchanceté humaine formeront un fleuve unique, profond et impétueux, un déluge qui balaiera les ultimes et vacillantes velléités du bien, recouvrant de fange les ambitions et la civilisation même de l’homme » (n° 3, page 16). Ce qui donne dans le dernier épisode : « Enfin, je te reconnais, humanité ! Enfin, je sais pourquoi tu dois être détruite ! » (Ombrax n° 231, page 124). Cela semble entrer quelque peu en contradiction avec la déclaration : « Parce que le mal en soi-même, de par lui-même, est mon unique but » (Wampus n° 5, page 49).
Présenté agissant initialement comme un envoyé d’une expression du mal, Wampus découvre que ses victimes portent elles aussi en elles le mal, et il prétend devenir une sorte de juge purificateur d’une humanité malfaisante.
Le scénariste Franco Frescura semble avoir fini par ne plus tout à fait s’y retrouver dans cette double problématique intriquée du sacrifice et du mal qu’il a invoquée.
Est-ce volontairement qu’il a choisi de transformer un représentant du mal cherchant à répandre le mal pour en faire une sorte de justicier soucieux d’éradiquer une forme de mal ?
Est-ce le souci chez le scénariste d’introduire en cours de route un peu de morale culpabilisatrice — l’humanité est mauvaise — dans son récit ?
Ou est-ce le résultat d’une improvisation mal maîtrisée par le scénariste dans son écriture d’un épisode au suivant ?La censure, toujours aussi pointilleuse, n’a pour sa part, guère apprécié tout cela.
Une autre originalité de cette série est assurément l’apparence physique du personnage, tranchant de manière appuyée sur les races extra-terrestres antérieures de la bande dessinée, soient-elles à caractères reptiliens, insectoïdes ou céphalopodales ; tranchant tout aussi bien sur les créatures appartenant à la représentation du mal et la démonologie traditionnelles, vampires, loups-garous et démons de type griffu-cornu.
Côté sombre de cette série, à l’opposé le personnage humain qui tente de se dresser contre Wampus accumule les stéréotypes. Ancien agent du contre-espionnage, il est un celui-qui-sait-et-que-personne-ne-veut-croire comme un autre, et c’est lui qui se voit traqué par les polices des pays qu’il traverse à la poursuite de Wampus, polices lui imputant les méfaits commis par l’être extra-terrestre.
Bien des péripéties se résument dès lors en une succession simpliste et commune de poursuites, arrestations et évasions à répétition dudit personnage humain, et on peut ajouter bien des naïvetés et incohérences, et des coups de théâtre exagérés.Trois ans après l’’arrêt de Wampus (voir les explications de Bernard Joubert à ce sujet dans le forum), les mêmes auteurs en ont publié dans Futura une version très édulcorée n’ayant gardé de l’original que les pires aspects, sombrant parfois jusque dans des abîmes d’ânerie : « L’Autre » (huit épisodes publiés dans Futura du n° 11 de juin 1973 au n° 18 de janvier 1974, réédités partiellement dans Ombrax n° 233 à 242 puis intégralement en un tome aux éditions Rivière blanche en 2010).
Le personnage se permet lui aussi de répandre des exactions, mais il s’agit cette fois de la condition lui permettant de voyager dans les univers parallèles.
En 2001-2002, le scénariste Jean-Marc Lofficier, toujours avec le dessinateur Luciano Bernasconi, a relancé le personnage pour le compte des éditions Semic, en créant une nouvelle série dans une seconde version de la revue Fantask (n° 3 à 5), puis dans Mustang (n° 303 à 306) ; il y fait intervenir d’autres personnages Lug.
Le scénariste Alfredo Castelli et le dessinateur Angelo Ricci ont publié une sorte d’hommage de très haute tenue dans un épisode de « Martin Mystère » intitulé « La Sphère de cristal » (Ombrax n° 238 à 240).
Un personnage, à l’aide de pouvoirs psychiques extrahumains, brûle des enfants, fait s’écraser des cabines d’ascenseurs ou des avions. Il a toutefois l’excuse d’être devenu fou en quittant sa dimension pour la nôtre, n’ayant pas supporté de devoir endosser au passage une enveloppe charnelle. Il redevient « normal », et inoffensif, en retrouvant son univers d’origine. Cas de folie meurtrière interdimensionnelle…
Sous la plume du scénariste Carmelo Gozzo, nous trouvons dans le titre Incube trois récits, « Les Prêtres de Keeialhan » (n° 49), « Les Dieux de l’espace » (n° 67) et « Un jour, ce sera ton tour » (n° 73), dans lesquels des extra-terrestres viennent sur Terre et sacrifient eux aussi des victimes humaines à leurs divinités. Contrairement à Wampus, ils ne retirent aucune jouissance particulière à pratiquer ces sacrifices sanglants et ils les commettent plutôt avec détachement. Simplement sont-ils motivés par la perspective d’un bénéfice, remerciant ainsi leurs dieux de leur octroyer pouvoirs ou protection ?
Patrice DELVA
« Wampus » : première série
Épisode 1 : « Wampus » dans Wampus n° 1 de mars 1969 – Réédition : Ombrax n° 211 à 213
Épisode 2 : « Le Dernier Ricanement » dans Wampus n° 2 d’avril 1969 – Réédition : Ombrax n° 214 à 216
Épisode 3 : « Et vient le chaos » dans Wampus n° 3 de mai 1969 – Réédition : Ombrax n° 217 à 219
Épisode 4 : « La Grande Explosion » dans Wampus n° 4 de juin 1969 – Réédition : Ombrax n° 220 à 222
Épisode 5 : « Vu du pont » dans Wampus n° 5 de juillet 1969 – Réédition : Ombrax n° 223 à 225
Épisode 6 : « Toilette du bourreau » dans Wampus n° 6 d’août 1969 – Réédition : Ombrax n° 226 à 229
Épisode 7 : « Le Ciel est rouge » dans Ombrax n° 230 à 233 de mars à juin 1985Une autre réédition a suivi dans Rodéo n° 568 à 579 de décembre 1998 à novembre 1999.
Une intégrale est ensuite parue en album aux éditions Rivière blanche (2010).
Nostalgie ! Perdu au milieu de l’univers Lug-Marvel naissant, Wampus et Futura détonnaient autant que Eclipso, bande DC publiée par Artima. Rare à l’époque quand le méchant est le héros de l’histoire, puisque c’était bien avant Dallas !
Voui. On notera que l’excellent Luciano Bernasconi s’est ensuite reconverti dans l’érotisme hard, sous le pseudo de Saint-Germain!
« Le grand mental, projeté depuis une étoile… » on dirait une métaphore bouddhiste ! Mais peut-on lutter contre Wampus en méditant ? Pas sûr !… Lug a choisi une meilleure méthode, en l’éditant!
Merci pour cet article.
Jeune lecteur de Fantask, je me souviens que je trouvais rebutantes les couvertures de Wampus que j’avais surnommé « L’homme morve ». C’était graphiquement à mille lieues des héros Marvel ou DC que je dévorais chez Lug et Artima/Arédit. Ce style de dessin n’avait rien pour séduire l’enfant que j’étais et n’était pas très engageant. Les illustrations de couvertures n’avaient aucun punch et n’évoquaient pas d’affrontement titanesques spectaculaires, seulement de bêtes bagarres dignes de séries télé policières. Situer l’action en Europe suffisait à me détourner de cette publication. Pas étonnant que le public n’ait pas suivi, les lecteurs de Fantask n’ont pas dû y trouver leur compte.
Futura aussi avait un style trop européen pour moi mais je l’achetais tout de même.
Depuis, j’ai grandi, et je trouve le dessin pas si mal.
Une remarque : « Wampus » n’a pas été interdit. Il déplaisait à la censure, c’est-à-dire à la Commission de surveillance, mais c’est Lug qui a pris la décision de l’arrêter. Il n’y a pas eu de décision administrative contraignante comme pour « Spectre » (chez Arédit) ou « Tonnerre » (aux Remparts) vers la même époque.
Merci Bernard pour tes remarques toujours justifiées : j’ai corrigé légèrement le texte de Patrice Delva dans l’article (en faisant référence à tes explications dans le forum).
Merci encore de nous lire et nous faire profiter de tes connaissances inégalées sur le sujet de la censure…
La bise et l’amitié
Gilles
Bonjour,
Merci à Bernard Joubert d’avoir rectifié.
A ma connaissance, Fantask a été interdit, et comme Wampus a arrêté le même mois, je pensais que la commission de censure avait fait une charrette.
« Fantask » et « Wampus » : dans les deux cas, il s’est agi de sabordages, pour plaire à la Commission, mais pas d’interdictions. Avec quelques nuances entre les deux titres. « Fantask » a été lancé comme publication destinée à la jeunesse (vous remarquerez la mention de la loi de 1949 au bas de la quatrième page de couverture), et Lug lui a maintenu ce statut « jeunesse » jusqu’à la fin. Le mois suivant, « Wampus » a lui aussi été lancé comme publication pour la jeunesse, mais Lug a cessé de le présenter ainsi à partir du n° 3 : mention « pour adultes » sur les couvertures et disparition de la loi de 1949 en quatrième de couverture. La revue y perdait des lecteurs, mais espérait être moins critiquable.
Le n° 1 de « Fantask » a suscité une réaction très vive de la Commission, qui a envoyé à Lug la fameuse lettre citée dans le n° 7, menaçant de poursuites judiciaires. C’est par crainte de ces poursuites que Lug a arrêté « Fantask » après quelques mois de tergiversations.
Le n° 1 de « Wampus » a fortement déplu à la Commission, mais sans aller jusqu’à l’envoi d’une mise en demeure comme pour « Fantask ». Lorsque la Commission a ensuite constaté que « Wampus » était désormais ciblé « pour adultes », elle a grommelé, mécontente, mais sans plus. Dans les courriers qu’il adressait à la Commission pour défendre « Fantask », Auguste Vistel plaidait également pour « Wampus » et le genre fantastique en général. Dans un courrier du 4 juin 1969, il annonçait à la Commission qu’il arrêtait « Fantask » et « Wampus » afin, écrivait-il, « d’éviter tous les éclats qui pourraient retentir fâcheusement ».
En résumé, « Wampus » n’a pas été interdit, mais a quand même été victime de la censure. Pas aussi directement que « Fantask », que la Commission trouvait intolérable et qu’il aurait été difficile de continuer longtemps dans un tel climat d’hostilité, mais parce que son éditeur l’a sacrifié pour montrer sa bonne volonté.
Merci beaucoup.
Une video sur les éditions lug, ou l’on constate les difficultés de cet editeur au changement de comportement de consomation de la culture des lecteurs. En + on y par de Wampus.
https://www.youtube.com/watch?v=6KSF0Qwf-sc