Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...Pierre Koernig : un OVNI chez Fleurus !
Bien qu’ayant rencontré à plusieurs reprises Pierre Koernig, l’homme demeure pour moi un mystère : un véritable OVNI sur la planète BD qui, pendant un quart de siècle, a bousculé les pages trop sages des magazines bien-pensants publiés par Fleurus. Retour sur un auteur insaisissable qui a disparu sans laisser d’adresse au beau milieu des années 1980.
Pierre Koernig est né le 1er janvier 1938 : année où ont également vu le jour ses amis Jean Giraud, Jean-Claude Mézières, André Chéret (né en 1937)… dont il croisera la route 20 ans plus tard. C’est déjà à leurs côtés qu’il démarre sa carrière en 1957 dans les illustrés — comme on disait à l’époque — publiés par Fleurus. L’augmentation simultanée de la pagination de Cœurs vaillants, Âmes vaillantes ou Fripounet et Marisette contraignant les rédacteurs à faire appel à de jeunes recrues, ceci afin de renforcer leur équipe de dessinateurs débordés. Jean-Claude Mézières, Jean Giraud, André Chéret, Patrick Mallet… et Pierre Koernig font partie des élus de ce recrutement bienvenu. Au fil des numéros, les « débutants » confirment leurs talents naissants que la plupart d’entre eux iront faire fructifier quelques années plus tard dans des journaux plus prestigieux : à l’exception de Pierre Koernig qui lui demeure fidèle à la maison d’édition catholique, jusqu’à son éviction pour le moins douloureuse au début des années 1980.
Avant de revenir sur ces saints travaux, évoquons les « aventures » militaires de nos auteurs en herbe. Giraud, Chéret et Koernig (mais aussi Cabu et Jean Chakir), alors appelés sous les drapeaux — nous sommes en pleine guerre d’Algérie —, évitent les champs de bataille grâce à leur bon coup de crayon : 27 mois de 1958 à 1960 passés dans une franche camaraderie entre France, Allemagne et Algérie. Ils participent activement à 5/5 Forces françaises ou encore au Bled : journaux mensuels destinés à entretenir le moral des troupes et où la bande dessinée occupe une place non négligeable. Bandes dessinées, illustrations, croquis ornent donc les pages parfois austères de ces journaux internes fort appréciés par les bidasses : de quoi forger une solide amitié qui va se prolonger au-delà des murs des casernes. Pour la petite histoire, notons que Pierre Koernig rejoint André Chéret en Allemagne, afin de travailler à ses côtés pour 5/5 Forces françaises, pendant que Jean Giraud, après avoir émis le souhait d’y collaborer, leur expédie ses dessins depuis l’Algérie.
L’armée terminée, chacun poursuit sa route ; mais lorsqu’une bonne occasion se présente, les amis se retrouvent. C’est ainsi qu’au milieu des années 1960, Jean Giraud invite Pierre Koernig à le rejoindre à Fiction et à Galaxie : les revues éditées par Opta et animées par Alain Dorémieux et Michel Demuth, à l’époque phares de la science-fiction et de l’anticipation.
Il y réalise des illustrations parfois sous la signature KRNG auprès de son copain Giraud qui, de son côté, adopte le pseudonyme de Moebius.
Philippe Druillet et quelques autres futures stars de la BD (dont Claude Auclair) figurent aussi au sommaire des publications Opta. On doit également à Pierre Koernig les illustrations d’ouvrages destinés aux librairies, dont « La Chute des tours » de Samuel R. Delany et surtout l’imposante « Histoire du futur » de Robert Heinlein : deux bouquins publiés au Club du livre d’anticipation créé par Opta qui sont aujourd’hui recherchés.
En 1966, Jean-Claude Mézières et Pierre Christin (lui aussi né en 1938), membres de la rédaction du magazine publicitaire Total journal, en ouvrent les pages fort bien payées à leurs amis Jean Giraud, Pat Mallet… et Pierre Koernig.
Jusqu’en 1970, il y propose des bandes dessinées, des récits illustrés et des illustrations, dont les textes sont pour beaucoup écrits par Pierre Christin qui signe alors du pseudonyme Linus : « Les Demeures d’Archibald » (n° 10 d’août 1967), « Fini de rire Casimir » (n° 13 de mars 1968), « Le Chef de Phytotron » (n° 18 de novembre 1968), « Paris du bois à l’acier » (n° 25 de mars 1970)…
Voir aussi nos « Coins du patrimoine » sur les débuts de Pierre Christin : Quand Pierre Christin signait Linus : 1ère partie, le rêve américain… et Quand Pierre Christin signait Linus : 2ème partie, scénariste à Pilote.
Dès son retour d’Allemagne, André Chéret, qui s’entendait très bien avec Pierre Koernig, travaille à ses côtés pour Avant-garde et Femmes françaises : les revues du parti communiste français.
Le scénario de « Paolo », la première bande dessinée en trois pages réalisée par le futur dessinateur de « Rahan » pour Cœurs vaillants, est écrite par son ami Pierre Koernig.
Avec les années 1970, chacun trouve sa place au sein des magazines de la nouvelle BD naissante et les copains de régiment n’auront plus l’occasion de travailler ensemble. Dommage !
Chez Fleurus
La signature de Pierre Koernig apparaît dans le premier numéro de 1957 (06/01/1957) de l’hebdomadaire Cœurs vaillants. Un dessin au trait encore bien malhabile qui se veut humoristique pour « Les Martiens sont dans la ville » : une histoire en trois pages qui, déjà, joue avec le fantastique au quotidien.
Tout au long de l’année 1957, le dessinateur qui n’a pas vingt ans propose de courtes histoires dont il est généralement le scénariste (« Yvain et les brigands », « Super Grand Papa »…), mais aussi des illustrations pour des nouvelles.
À petites doses, il livre ses travaux dans les pages de l’hebdomadaire pour garçons de Fleurus jusqu’au milieu des années 1960.
Une première couverture à la Une du n° 44 (02/11/1961) témoigne des énormes progrès faits par le jeune dessinateur alors tout juste de retour de l’armée.
Ce dessin annonce la publication d’une nouvelle dont il est à la fois l’auteur et l’illustrateur ! « Le Kidnappé de San-Isodoro ».
Il régale ses lecteurs avec des histoires exotiques teintées de fantastique qui doivent surprendre plus d’un d’entre eux.
Il faut dire que le journal est habitué à plus de classicisme, à moins de folies.
Ses pages aux images fouillées, ses personnages soigneusement campés, témoignent d’un travail long et méticuleux.
« Rendez-vous au lac borgne » (J2 jeunes n° 24 de 1964) ou « Une émission fantastique » (n° 41 de 1964) sont de pures merveilles.
Il abandonne de temps à autre le réalisme, le temps d’offrir à ses jeunes lecteurs des pages délirantes, tel l’étonnant « Pour qui tinte la cloche ? » (n° 38 de 1964).
En 1971, tout en s’essayant à l’énigme classique (« Le Voleur du RER », « Satellite en panne »…), il aborde les histoires à suivre en signant les dix pages surprenantes du « Fabliau de l’ours-qui-parle… » (Formule 1, du n° 11 au n° 14 de 1971),
suivi deux ans plus tard par le très beau « Conrad Kilian, paladin des sables » (à partir du n° 28 de 1973).
Avec « Le Trésor de la tête d’Alligator », huit pages publiées dans le n° 35 de 1975, débute une série récurrente où se mêlent aventure, exotisme et fantastique. L’Antiquaire, personnage trouble est prêt à tout pour s’emparer du trésor reposant dans l’épave d’un vieux galion coulé au large de l’île de Capriola Rocks dans les Caraïbes. Gil Korgolan avec l’aide des indigènes locaux combat le dangereux criminel.
Dix récits complets de huit pages sont publiés entre 1975 et 1977, dont un de 16 pages proposé sur deux numéros : « Ouragan sur la corniche ».
Gil Korgolan revient dans « Alerte aux Nimbus » : histoire encore plus délirante, aux images sublimes, publiée du n° 40 au n° 50 de 1978 et reprise en album en 2011 au Coffre à BD.
Cette fois-ci, le héros est aux prises avec Le Triangle : redoutable organisation occulte qui menace Djakarta et sa région, dont le siège est dissimulé dans un nuage artificiel.
Tout en travaillant sur cette série, il publie quelques pages d’humour décalé en utilisant parfois le titre générique « Échos du monde et d’ailleurs ». Il cesse de travailler pour Formule 1, successeur de Cœurs vaillants, en 1979.
Comme pour Cœurs vaillants, c’est en 1957 qu’il fait ses premiers pas dans Fripounet et Marisette.
Il commence par illustrer « Au temps de messire Bertrand » : un récit signé Naïc Kéloch et publié dans le n° 48.
Sa première couverture est celle du n° 51 de 1961, puis une dizaine d’autres suivront jusqu’en 1967.
Pour ce qui est des bandes dessinées, il démarre avec une histoire en deux pages : « Lucius le vainqueur » (scénario J. Bernard) qui paraît dans le n° 50 de 1957.
D’autres suivent plus ou moins régulièrement jusqu’en 1963 où sa présence devient plus fréquente dans les pages de ce journal à l’époque destiné, en priorité, aux jeunes ruraux.
À noter « Luc et Lili » dans le n° 23 de 1961 : tentative de lancement d’un gag hebdomadaire en une page qui restera sans suite.
De 1963 à 1977, il publie près d’une centaine d’histoires complètes généralement en trois pages.
Des récits aux thèmes historiques réalisés seul ou à partir de scénarios signés Guy Hempay, Henri Cado, Rose Dardennes… : « Haroun Tazieff » (n° 34 de 1965), « Saint Exupéry » (n° 46 de 1969), « Charcot » (n° 27 de 1971), « Norbert Casteret » (n° 34 de 1971), « Arlequin » (n° 36 de 1970), « La Bastille » (n° 28 de 1973), « Du Guesclin » (n° 22 de 1974), « Jules Verne » (n° 25 de 1972), « Palnatoke » (n° 46 de 1976)…
Deux séries récurrentes parviennent à se faufiler entre la publication de deux histoires authentiques : « Ptiloup » et « Le Roman de Renart » ; cette dernière étant réalisée avec le scénariste Guy Hempay.
Apparu dans le n° 4 de 1962, Ptilou est un gamin facétieux à la bouille ronde et souriante, protagoniste d’aventures insolites où pointe le merveilleux.
Il est le héros d’une quinzaine d’histoires complètes publiées entre 1962 et 1967.
De son côté, Guy Hempay adapte en trois pages les épisodes les plus fameux du célèbre « Roman de Renart » que Pierre Koernig enlumine de ses images où perce une irrésistible truculence. Neuf récits seront proposés du n° 3 de 1963 au n° 6 de 1967.
La dernière participation de Pierre Koernig à Fripounet, « Le Train du Far West », est aussi une histoire de Guy Hempay parue dans le n° 39 de 1977.
Il faut attendre le n° 48 de 1960 d’Âmes vaillantes pour découvrir le premier récit dessiné par Pierre Koernig : « La Dame de Crécy » dont le scénario est signé Marie Madeleine Dubreuil.
C’est le plus souvent en auteur complet qu’il propose une trentaine d’histoires entre 1960 et 1974 : « Agent Robinson » (n° 52 de 1962), « La Dame et le chevalier » (n° 46 de 1967), « Le Peintre des hommes rouges » (n° 38 de 1968), « Le Lotus bleu » (n° 40 de 1968), « Serge Prokofiev » (n° 39 de 1973), « Sorcière ou sage » (n° 7 de 1974)… Un seul et très beau récit à suivre est réalisé du n° 22 au n° 27 de 1963 : « Le Village des chevaux sauvages » qui évoque le voyage merveilleux en Camargue effectué par une jeune Parisienne.
Âmes vaillantes devient J2 magazine en 1963, puis Djin en 1974 : et Koernig est également présent dans cet ultime successeur .
Il y réalise une dizaine d’histoires complètes de 1976 à 1981 : « Fini de rire Kazimir ! » (n° 19 de 1976),
« Chevaleresque » (22 de 1979), « Capitaine Marie Magdeleine » (n° 34 de 1980), « Buster Keaton » (n° 4 de 981)…
Et pour finir, « Raymondin n’a peur de rien » : un étrange récit en huit pages proposé en noir et blanc dans le n° 30 de 1981.
En 1980, il réalise « Lâche pas la patate » : une longue histoire à suivre publiée du n° 27 au n° 37 et un beau voyage en Louisiane au cours duquel trois copains cherchent à aider un extra-terrestre victime de la cruauté du monde des adultes. Ce grand récit en 45 pages drôle et émouvant est le dernier pour Fleurus réalisé par Pierre Koernig.
C’est effectivement dans les pages de Djin qu’il livre ses ultimes travaux pour l’éditeur auquel il est resté fidèle et qui le laissera tomber comme bien d’autres confrères dessinateurs victimes de la disparition progressive des journaux pour jeunes.
Notons que Pierre Koernig a aussi collaboré à Perlin et Pinpin, autre hebdomadaire (destiné aux plus petits) publié par Fleurus. Tout au long des années 1955-1960, il y a illustré des contes et des nouvelles destinés aux jeunes enfants.
Signalons un bref passage au bimensuel Francs Jeux pour lequel il met en images deux récits complets de trois pages : « L’Évadé des Boers » (n° 465 en 1965) et « Sur la piste du Sud » (n° 471 en 1966).
Sans travail, il parvient à placer des illustrations dans les premiers numéros de la revue de jeux de rôle Casus Belli.
En 1981, il participe à l’ouvrage « 2 000 ans d’histoire des Landes » édité par I.D.P. pour lequel il écrit tous les scénarios et dessine six histoires de deux pages : les autres étant réalisées par Claude Poppé.
Pour conclure, je vais vous conter une histoire incroyable, mais vraie.
En 1984, ayant appris que Pierre Koernig était sans travail et appréciant depuis longtemps son dessin, j’ai décidé de lui donner une chance de pouvoir rebondir en dessinant pour les éditions Glénat.
Michel Rouge ayant annoncé qu’il souhaitait abandonner sa série moyenâgeuse « Les Écluses du ciel » pour vivre d’autres aventures éditoriales, je lui en ai proposé la reprise toujours écrite par Rodolphe.
C’est avec enthousiasme que Rodolphe et moi avons découvert les premières pages livrées avec une belle régularité.
Hélas, après la 16e planche, plus la moindre nouvelle de Pierre Koernig.
La porte de son logement à laquelle nous nous sommes rendus restait close, les courriers sans réponse.
Depuis cet épisode incompréhensible, Pierre Koernig a totalement disparu des radars du monde de la bande dessinée.
J’ai pieusement conservé ses originaux qui sont, bien entendu, à sa disposition. En attendant peut-être un signe de sa part, je vous propose d’en savourer quelques-unes à jamais inédites.
Passionné par son métier, Pierre Koernig était à mes yeux un garçon pour le moins étrange : timide, effacé, toujours solitaire. Bien que l’ayant côtoyé à plusieurs reprises, il était membre de la Société française de BD animée par Claude Moliterni, je n’ai rien à dire de lui. La bande dessinée était le seul sujet sur lequel il pouvait s’enflammer et oublier cette sacrée réserve qui lui empoisonnait la vie.
Chez Fleurus, il se sentait bien, en famille.
Les rédacteurs conscients de son immense talent lui offraient une liberté de création totale qu’ils n’accordaient pas à d’autres.
Il travaillait le plus souvent sur ses propres histoires (privilège rare chez Fleurus), passait d’un journal à l’autre selon l’humeur du moment.
C’est avec la même originalité qu’il s’adressait à ses lecteurs : jeunes enfants, garçons ou filles.
Il est probable que son avenir aurait été bien différent s’il avait suivi la route de ses copains troufions.
L’iconographie du présent article témoigne de la puissance de son trait, de son imagination débordante.
De ce qu’il aurait pu faire sans les contraintes de la bande dessinée pour enfants où il s’était enfermé.
Encore un créateur injustement méconnu qui, après d’autres, demeure pour nous une énigme. S’il nous lit qu’il sache que ses vieux lecteurs ne l’ont pas oublié.
Henri FILIPPINI
Relecture, corrections, rajouts et mise en pages : Gilles RATIER
Merci Henri pour cet excellent travail d’exhumation. Je suis, comme vous pouvez l’imaginer, ravi de voir ce brillant hommage et de pouvoir me délecter de toutes ces planches rares. J’aurais bien aimé avoir des numéros plus anciens de Formule 1 ou ceux de Djin…ou les Fripounets concernés
Tout cela me replonge dans mon enfance avec émotion. Qu’il serait top de pouvoir aller plus loin que la (simple) édition d’Alerte au Nimbus… Bien cordialement.