Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Sur la piste d’un 33 tours…
Retrouver un chanteur disparu depuis très longtemps du monde du spectacle en s’appuyant sur les textes des chansons d’un unique disque introuvable, voilà ce que le narrateur du « Chanteur perdu » se donne pour mission, pour défi. Bibliothécaire en total burn-out, Jean change de vie pour se lancer dans une quête qui s’apparente à une enquête policière passionnante et originale…
Jean est en soi un drôle de bougre, mal dans sa peau, mal dans son boulot. Il se sent dépassé, noyé par ces livres qu’il faut ranger, classer à l’infini, alors que chez lui, s’entassent les bouquins et les revues à lire. Pour rompre le cercle infernal, il décide de procéder à un grand nettoyage, un énorme délestage. La frénésie de la consommation de biens lui est à présent à ce point insupportable qu’il décide de vider son appartement. Et c’est là qu’il tombe sur une vieille cassette de sa jeunesse, dans les années 1970, contenant les chansons d’un certain Rémy Bé, quelques chansons d’un unique 33 tours (rien à voir cependant avec le disque de Greta Love au cœur de  l’album de Tillieux auquel notre titre fait pour le plaisir référence, récit de  la série « Gil Jourdan », excellent au demeurant !).
Le bain de Jouvence, le plein d’air frais, la nostalgie salvatrice, celles de ses années d’étudiant contestataire, Jean y plonge avec délice pour remonter le fil et redonner un sens à sa propre vie. Qu’est devenu le chanteur de ces textes qui l’ont tant inspiré ? Ce mystère l’excite et c’est à Morlaix que commencent ses premières recherches, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles ne sont pas très motivantes, Jean n’ayant pour progresser d’autre méthode que celle du hasard ou mieux de l’intuition.
Jean s’appuie dès lors sur des détails des textes de chansons pour repérer des indices, des pistes. Il prend des notes, croise les informations, fouille les paroles dont le sens ne lui parait pas clair. Il lui faut aussi rencontrer des témoins éventuels, pour, de fil en aiguille, retrouver l’auteur, s’il est encore vivant. Ainsi se construit, se reconstruit la vie de Rémy Bé, du jeune professeur de biologie au chanteur à l’écriture poétique dont les textes, effectivement joliment troussés, s’égrainent au fil des pages.
L’enquête minutieuse tient du road-movie improvisé et de la balade touristique : après Morlaix, Berck-Plage, le Cap Gris-Nez, le port de Boulogne, Paris… c’est bien au-delà qu’il faut chercher, car le chanteur d’origine indochinoise semble avoir rejoint des contrées tropicales qui n’arrêtent pas Jean, lequel prend l’avion pour en avoir le cœur net. « Le cœur net », c’est bien le mot. Jean refait la vie du chanteur et refait la sienne.
Le plus extraordinaire dans cette histoire, c’est que l’histoire de ce chanteur n’est pas inventée et que Tronchet l’a même déjà évoquée dans « Robinsons père et fils » par Tronchet (cf. chronique dans BDZoom). C’est dire à quel point ce personnage l’a marqué. Plus étonnant encore, c’est que le fils de cet homme est devenu auteur de bande dessinée qui a consacré il y a peu un album à sa mère : « Sur la vie de ma mère » (également présenté sur BDZoom). Alain Gaston Rémy y évoquait son père, Jean-Claude Rémy, « le » Rémy Bé de Tronchet qui ne peut qu’ajouter à son récit un dossier sur « La véritable histoire du chanteur perdu ». Il y donne toutes les clés sur ce personnage pittoresque dont on a plus qu’une envie, au final, c’est de redécouvrir les chansons (plaisir que Didier Tronchet nous accorde sur son propre site).
Didier QUELLA-GUYOTÂ ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
[L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook.
« Le Chanteur perdu » par Didier Tronchet
Éditions Dupuis (23 €) – ISBN : 978-2-8001-7483-9