Une mère libre et voyageuse…

L’ouverture sur le monde passe par l’éducation et par l’expérience acquise avec les parents, qu’il s’agisse de voyages ou de longs séjours professionnels. C’est le cas de l’auteur qui, dans les pas de sa mère enseignante, a découvert le Maroc, Haïti, le Mali, la Réunion, le Togo… sans oublier le Jura ! « Sur la vie de ma mère » n’est pourtant pas qu’un carnet de voyages, c’est aussi la biographie d’une maman décédée trop jeune, ainsi que la vision qu’un enfant a eue de ces pays et de la vie indépendante de sa mère.

Une importante partie de l’album (près de 320 pages, excusez du peu !) est consacrée à la disparition, à 62 ans, d’une mère atypique et forte, qui a su quitté le milieu paysan jurassien pour s’inventer une vie ailleurs, après une erreur de jeunesse, une grossesse, qui l’oblige à un mariage, grossesse à laquelle met un terme un accident de voiture et qui lui redonne sa liberté. Plus d’enfant, plus de mari, plus de famille pour imposer ses lois. La voilà partie en 2CV vers le Maroc, presque sur un coup de tête.

Dans un premier temps, Alain Gaston Rémy évoque avec émotion les derniers jours de cette maman aimée, indispensable et qui laisse derrière elle une maison « habitée » par les souvenirs, tous ces objets rapportés de ses séjours à l’étranger. « Il y a le monde entier au chevet de maman », écrit-il. L’adulte est meurtri mais, très vite, c’est l’enfant de 10 ans qui évoque cette « pionnière des mères célibataires », cette « guerrière » devenue professeur de maths dans un collège, à Tanger.

En 1974, cela fait déjà trois ans que le petit Alain observe cette ville, ses habitants, ses mœurs avec une mère libre dans un univers où les femmes ne le sont guère. Libre parce qu’Alain est né au Maroc d’un père qui n’y est pas resté pour aller chercher la gloire éphémère du monde de la chanson (Jean-Claude Rémy). C’est du côté de Tétouan que cette histoire s’est jouée, tout au long des années soixante…

Avec humour et bienveillance, Alain évoque ce monde métissé où des Marocains, Français, Juifs se côtoient sans s’exclure. Sept ans passés à Tanger font de sa chronique un reportage sur l’évolution des mentalités remarquant que « dans les lieux publics, les femmes sont de moins en moins voilées » et que les bikinis fleurissent sur les plages, bref le Maroc des années 1970 que le petit monde de coopérants, les « expat’ », apprécient, jouissant d’un personnel peu coûteux et des libertés des seventies : « on est dans les années free sex (…) le sexe, la drogue le rock’n roll ».

À Port au Prince en 1979, ce sont d’autres réalités, autrement plus douloureuses : insécurité, pauvreté, Tontons Macoutes… pourtant les expatriés y deviennent des « bobos tropicaux » avec plages privées et voyage aux Etats-Unis. Une belle vie en marge de la vie réelle des Haïtiens, dont l’auteur a bien conscience en grandissant. La famille compte désormais trois enfants et un compagnon qui suit Jeanne régulièrement. Profitant d’une pré-retraite (à 46 ans), celle-ci retourne au Maroc, mais n’y reste pas longtemps. Viennent ensuite des séjours plus ou moins longs à La Réunion (1986), au Mali (1992), au Togo (1998)…

En alternance à ces séjours, il y a les retours aux sources jurassiennes, dans cette ferme familiale, rustique à souhait, où sa mère est née. C’est paradoxalement dans ce village où Jeanne hérite d’une maison qu’Alain découvre le racisme exprimé par des gens qui les traitent de « bougnoules » parce qu’ils viennent du Maroc. Au fil de la chronique familiale, les thèmes de la tolérance, du féminisme et des libertés sont bien présents et incontestablement portés par cette femme qui a transmis le virus du voyage (« on n’en guérit jamais ») à son fils, lequel a signé, sous le pseudonyme de Gaston, aux éditions Orphie, éditeur réunionnais, plusieurs carnets de voyage sur la Guyane, l’Amazonie, Mayotte, Madagascar…

Cette chronique sincère, franche, quelquefois anecdotique, toujours touchante, est en outre portée par un dessin caricatural, pour les personnages, très vivant et très attachant. Un joli moment de lecture, vraiment.

Didier QUELLA-GUYOT ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/

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« Sur la vie de ma mère » par Alain Gaston Rémy

Éditions La Boite à bulles (29 €) – ISBN : 978-2-84953-350-5

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