Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Une journée avec Wallace Wood…
C’est en 1977, l’année de ces 50 ans, que Wallace Wood reçoit le Prix du meilleur dessinateur étranger au festival d’Angoulême. 43 ans plus tard, Wally Wood revient en France avec une double actualité : une exposition encore visible à Angoulême et la sortie, chez Komics Initiative, de l’intégralité de sa série « Cannon ».
Avec une ouverture en semaine, dès 10 heures, le musée d’Angoulême vous permet, pour quelque temps encore, de visiter tranquillement les deux expositions qu’il héberge jusqu’au 15 mars : « Yoshiharu Tsuge : être sans exister » et « Les Mondes de Wallace Wood ». 10 000 visiteurs pendant les quatre jours du festival sont venus voir les 160 planches et dessins de Wallace Wood.
De ses débuts comme encreur avec Eisner sur l’aventure sidérale « The Outer Space Spirit » à son projet de trilogie d’heroic-fantasy qu’il ne put achever (« The Wizard King »), en passant par ses collaborations pour EC Comics, Marvel et, bien entendu, la revue Mad, nous pouvons aussi appréhender ses talents d’illustrateurs de couvertures pour des revues S-F et quelques travaux publicitaires. Outre les compétences d’encreur, de dessinateur et de scénariste de Wallace Wood, cette exposition nous dresse le portrait d’un artiste minutieux, indépendant et extrêmement touchant. Assez curieusement, le catalogue de l’exposition ne sera disponible que courant mars sur le site du festival.
Si vous avez vu l’exposition en une matinée, il ne vous faudra pas trop d’un après-midi pour lire les aventures de Cannon : super-espion américain inventé au début des années 1970. Tout comme son personnage de Sally Forth, Wallace Wood créa Cannon pour le magazine Overseas Weekly destiné aux forces armées américaines. La publication dura de 1970 à 1973.
Comme dans celles d’agents secrets comme James Bond, Harry Palmer ou Derek Flint, action et érotisme règnent en maître dans les aventures de Cannon. Agent américain soumis à plusieurs lavages de cerveau, Cannon ne peut plus éprouver de sentiments. Il sera missionné pour combattre les forces communistes aussi bien à l’étranger qu’infiltrées aux États-Unis, combattra le crime organisé, des nostalgiques du IIIe Reich, des extrémistes américains d’extrême gauche et d’extrême droite, ainsi qu’un milliardaire mégalo.
Feuilleton oblige, Cannon rencontrera régulièrement son ennemie attitrée (Madame Toy, laquelle est à l’origine de son premier reconditionnement psychologique), mais aussi Sue Smith : espionne russe éduquée pour être une parfaite Américaine. Nous rencontrons également des personnages récurrents du même bord que Cannon : ses collègues Warren et Simms, son oncle Fred, son chef et sa secrétaire Nadia.
C’est par cette dernière que Cannon s’inscrit aussi dans son époque, car au milieu des histoires typiques de la Guerre froide, la série aborde la question du divorce, de l’engagement amoureux et même de l’avortement. Ce sont ces discrets questionnements qui rendront, petit à petit, son humanité à Cannon.
L’édition américaine de cette intégrale, parue en 2014 chez Fantagraphics, possédait déjà des témoignages autour de l’œuvre de Wallace Wood : une introduction d’Howard Chaykin et l’incroyable histoire de la résurrection de la série par Roger Hill (spécialiste américain de Wallace Wood). (1)
En plus de cet appareil critique, Mickaël Géreaume, responsable éditorial de Komics Initiative, invite pour l’édition française plusieurs spécialistes des comics : Marc Duveau nous présente l’œuvre et la vie de Wallace Wood, Jean-Marc Lainé analyse la série « Cannon », Phil Cordier explique le travail, les techniques de Wood et Hilary Barta (encreur américain) témoigne de l’importance de Wallace Wood dans le monde des comics.
Ces interventions font de l’intégrale « Cannon » une belle et riche réussite éditoriale qui, nous l’espérerons, se continuera avec le prochain projet de Komics Initiative : la publication de « Sky Masters », série de science-fiction de Jack Kirby à laquelle collabora Dick Ayers et… Wallace Wood.
Brigh BARBER
(1) Cette même année paraissait en France chez P.L.G, « Wallace Wood, si c’était à refaire » : biographie de Guillaume Laborie, chroniquée sur BDzoom.com par Jean Depelley.
« Cannon : l’intégrale » par Wallace Wood
Éditions Komics Initiative (40,00 €) — ISBN : 9 782 491 374 037
 L’image de l’exposition est une photo appartenant à 9eArt+ et Mathias Benguigui.
Le catalogue de l’exposition « Bande dessinée et figuration narrative » de 1967 était abondamment illustré de planches ou d’extraits de bande dessinée d’auteurs américains et européens, Winsor McCay, Harold Foster, Alex Raymond, Burne Hogarth…
Quelques auteurs avaient même droit à une double page.
Aux pages 216 et 217, est reproduit un beau dessin extrait d’un strip de la série « Terry et les pirates » de Milton Caniff.
La scène semble se passer en Chine, sur un chemin de terre, une charrette à bras est tirée par 2 personnes portant un chapeau de paille à la forme caractéristique, une 3ème personne est assise sur la charrette.
Ils passent devant un soldat tenant un fusil à baïonnette, ce soldat cachant une partie de la charrette.
Dans l’édition française de Cannon de chez Komics Initiative, en page 92, madame Toy explique à Sue Smith comment elle est devenue l’agent Toy.
Avec ses deux sœurs, elle doit fuir son village en Chine pour échapper à une bande de soldats nationalistes.
Sur la 5ème case, on voit une colonne de réfugié traverser un petit village, une charrette à bras chargée à ras bord est tirée par 2 personnes dont une portant un chapeau de paille.
Une 3ème personne est assise sur la charrette, un 4ème personnage, un réfugié, masque une partie de la charrette.
La charrette est reproduite quasiment à l’identique par Wood, ainsi qu’une des 2 personnes avec chapeau tirant la charrette.
Les vêtements de la personne assise sur la charrette de Caniff deviennent un drapé de tissu posé sur la charrette chez Wood.
Le soldat est remplacé par un réfugié, mais il est positionné au même endroit, masquant les mêmes parties de la charrette.
La scène en noir et blanc est réutilisée et réinterprétée.
Wood connait bien la série de Caniff, puisqu’au début de sa carrière il a été assistant de George Wunder, qui avait repris la série « Terry et les pirates ».
Pour tenir les délais court imposés par les éditeurs, Wallace Wood devait trouver des moyens pour être efficace et rapide dans son dessin.
Au début d’article, sur la photo de l’exposition « Les mondes de Wallace Wood » à Angoulême, il y a ce sous titre « Ne dessine jamais ce que tu peux copier, ne copie jamais ce que tu peux décalquer, ne décalque jamais ce que tu peux découper et coller ».
Ceci explique cela, ce qui n’enlève absolument rien au grand talent de Wallace Wood.
Wallace Wood dessinait les plus belles poitrines de la bande dessinée. C’est déjà pas mal. Un dessinateur très propre, précis, au joli trait de pinceau. Du beau dessin très agréable à l’oeil. A l’heure du dessin sur tablette j’admire ses maîtres du pinceau et de la plume. C’est de l’art.