Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« La Pension Moreau T2 : la Peur au ventre » par Marc Lizano et Benoît Broyart et « Pirate ! Le pirate qui avait le mal de mer » de Marc Lizano et Claude Bathany
Les enfants aiment les contes cruels, les récits mystérieux et angoissants. La trilogie « La Pension Moreau » les plonge dans les brumes nocturnes d’une île bretonne des années 1930, au cœur d’un inquiétant internat. Difficile de sortir vivant de ce lieu sordide et mortifère pour les jeunes héros de la série. Résistance et évasion leurs offrent une lueur d’espoir. Le pire n’est jamais sûr dans les bandes dessinées pour la jeunesse de Marc Lizano !
Marc Lizano est un vieil habitué des pages de la rubrique jeunesse de BDzoom.com. Nous apprécions son travail en direction de la jeunesse. Nos articles sur « Le Cheval d’orgueil », « La Petite famille » ou « L’Enfant cachée » en font foi, tout comme celui sur le premier volume de « La Pension Moreau ».
Sur une île bretonne, dans les années 1930, un pensionnat mystérieux accueille, pour les remettre dans le droit chemin, les enfants récalcitrants de familles fortunées Le timide, mais observateur, Émile est laissé là par ses parents contre cinq lingots d’or.  Le professeur Turoc administre la pension Moreau d’une main de fer ; les enseignants et le petit personnel filent doux, les élèves doivent obéir sans protester, si non ils se retrouvent, comme le valeureux Paul, pour deux mois dans un sombre cachot.
À sa sortie du cachot, Paul semble se plier de bonne grâce à la discipline d’airain de l’établissement. Mais ce n’est qu’une ruse pour tromper la vigilance de ses geôliers en cachant la haine qu’il a développée envers eux.
Avec ses amis Jeanne, Émile et Victor, ils forment un groupe solidaire dans l’adversité. Ils organisent désormais une résistance plus active ; piège pour faire tomber les surveillants dans l’escalier, destruction de l’insupportable disque 33 tours que Turoc passe en boucle dans son bureau, – La Chasse à l’enfant, bien sûr, et, ultime offense, uriner dans la sauce du rôti destiné aux adultes de la cantine.
Mais ces petits actes de vandalisme risquent de paraître bien puérils face au danger qui menace les enfants. Émile qui s’évade parfois la nuit pour rêver, perché dans un arbre, a vu des surveillants jeter le corps d’un enfant disparu dans la rivière. Il leur faut absolument s’évader pour sauver leurs vies, et très vite se cacher dans la forêt environnante.
Dans notre précédente chronique nous notions que : « L’écrivain Benoît Broyart a construit un récit prenant, à l’ambiance oppressante. Un véritable plaidoyer pour le droit à la différence et la défense de la condition de l’enfant.
Les couleurs sombres, austères, de Marc Lizano renforcent l’aspect tragique de l’enfermement et des humiliations des enfants pas si terribles de la Pension Moreau. Avec son habituel dessin à grosses têtes, il donne beaucoup d’expressivité à tous ses personnages, y compris les adultes du bagne représentés sous forme d’animaux anthropomorphes : hibou, renard, sanglier…
De quoi déshumaniser, aux yeux des lecteurs, des tortionnaires sadiques, mus par l’appât du gain. Le premier volume de ce conte jeunesse émouvant installe brillamment personnages et décors avant que la révolte ne se déclenche. À lire seul dès 8 ans ou accompagné par un adulte pour les plus jeunes. »
Nous souscrivons encore entièrement à ces propos. Le deuxième volume de la trilogie est plus sombre, les auteurs l’on construit comme un thriller en grande partie nocturne qui délivre lentement des indices dans un suspens de plus en plus oppressant. Cet album est une belle réussite narrative et graphique. Broyart et Lizano n’hésitent pas à entrainer leurs jeunes lecteurs dans un univers, parfois glauque, de polar d’avant-guerre.
Dans l’entretien qu’il nous avait accordé l’an dernier, nous avions posé une question sur ce sujet à Marc Lizano, la voici, avec sa réponse : « BDzoom.com : Comme d’autres bandes dessinées récentes, l’album est très sombre. Penses-tu qu’il aurait été possible de le réaliser dans les mêmes tonalités il y a quelques années ?
Marc Lizano : Ah, je ne sais pas. Il y a une grande liberté, une grande diversité dans la littérature jeunesse. Un peu moins en bande dessinée, mais cela change petit à petit. Je me rappelle que des éditeurs nous avaient expliqué que, non, on ne pouvait pas parler de la mort comme dans la petite famille, ça ne parlerait pas trop aux enfants. Que la Shoah était un sujet trop compliqué pour les enfants, surtout en 80 pages. Mais il n’y a pas de sujets compliqués ou impossibles, il y a surtout des sujets délicats. Loïc écrit bien pour ce public, je trouve, il sait donner un ton et un rythme à auteur d’enfant. Benoît sait faire cela aussi, écrire en bande dessinée pour les enfants. J’ai de la chance avec mes scénaristes »
Dans un registre beaucoup plus léger, Marc Lizano vient d’illustrer un conte de Claude Bathany pour les éditions Des ronds dans l’O. Son style rond, coloré et fluide, lui permet de donner vie à l’histoire d’un Betit breton qui se rêve pirate.
« Pirate ! Le pirate qui avait le mal de mer » commence ainsi : « Il était une fois, sur une île proche des côtes d’Armorique, un jeune garçon nommé Malo, dont le rêve était de devenir pirate. Chaque matin, il descendait sur le port voir les bateaux prendre la mer. Il aimait regarder les marins hisser les voiles et grimper en haut des mâts. Il aimait discuter avec eux et imiter leurs gestes. Et parfois, depuis le quai, il les aidait à largeur les amarres. Pourtant, quand un capitaine l’invitait à monter à bord, il refusait, sans donner d’explication. »
S’il ne monte pas sur navires, c’est que le pauvre Malo est sujet au mal de mer ! Comment devenir pirate alors ? Un vieux marin, Berni le borgne, lui révèle qu’il existe un moyen radical de guérir de ce mal mais qu’il devra faire un choix : pouvoir devenir pirate en naviguant sur les mers lointaines ou continuer d’écouter la musique de son ami Loïc, un très bon joueur de biniou. Dilemme cornélien que Malo résoudra à son façon dans ce bel album jeunesse pour les primo lecteurs.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« La Pension Moreau T2 : la Peur au ventre » par Marc Lizano et Benoît Broyart
Éditions La Gouttière (14,00 €) – ISBN : 979-10-92111-69-9
« Pirate ! Le pirate qui avait le mal de mer » de Marc Lizano Claude Bathany
Éditions Des Ronds dans l’eau (12,00 €) – ISBN : 978-2-37418-047-2