Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Nordics T1 : La Grande Faim du Tupilak » par Thomas Gilbert et Fabien Grolleau
Méconnues sous nos contrées, les légendes des peuples premiers fournissent d’excellents sujets de récits fantastiques pour la bande dessinée jeunesse contemporaine. Ainsi la mythologie inuite fourmille de monstres sanguinaires et d’allégories cosmogoniques originales. Elles sont astucieusement mises en scène dans le premier volume de la nouvelle série jeunesse des éditions Sarbacane.
L’incipit de « Nordics » relève du conte : « Il y avait autrefois au sommet du monde, là où nait le Nord, un palais de glace aux milles reflets d’argent et d’or : l’Aiguille de glace. Là vivait une reine-shaman belle comme le jour et la nuit. Elle régnait en souveraine généreuse et bienveillante… »
Mais cet âge d’or s’achève quand un être d’ombre, sorti du monde souterrain pour lui demander conseil laisse la reine-shaman au matin le cœur empli de chagrin. Depuis, elle dort dans un lit de glace en son palais finement sculpté. Elle dépérit. Même les Nordics, des lutins anthropomorphes à têtes animales, l’abandonnent. Seuls demeurent auprès d’elle, ses quatre plus fidèles serviteurs, ses quatre derniers Nordics : Piqtu, Ook, Ama et Aiviq.
Longtemps après ce drame fondateur, Ook, le Nordic à tête de chouette, raconte, avec un certain talent, la légende de la naissance du monde arctique. Les animaux de la banquise écoutent, fascinés, le jeu de cache-cache involontaire entre Taqqiq, le corbeau-lune, et Saqqiq, la timide renarde-soleil. De cette course poursuite sans fin, ont été créés le jour et la nuit. Et quand la déesse-océan, une gigantesque baleine bleue, qui depuis toujours dort sous les glaces s’agace de leur va-et-vient incessant, elle bondit hors de l’eau et brise la banquise. De ce choc violent naissent tous les animaux du monde.
Après une longue nuit boréale, le jour se lève enfin. Ook s’envole pour réveiller les habitants de l’aiguille de glace. Il s’amuse un peu avec les trois autres Nordics, affamés après leur hibernation hivernale quand, soudain, le temps est suspendu : la reine-shaman semble se réveiller. Un éclair vert quitte son corps pour aller frapper un ours blanc au dehors du palais. La reine-shaman retombe vite dans son état léthargique mais au dehors un esprit malin a pris possession du corps du plantigrade. C’est un Tupilak, un esprit cruel mais idiot qui ne pense qu’à manger.
Le féroce Tupilak s’attaque aux animaux de la banquise. Pour mieux les défendre les Nordics vont consulter, dans l’allée des baleines, maître Jeniqi, le plus sage des lemmings. Ensemble, ils vaincront le démon aux dents de sabre et le renverront derrière les portes du royaume noir avec les autres créatures maléfiques de la mythologie inuite.
Fabien Grolleau est un habitué de la rubrique jeunesse de BDzoom.com. Nous vous déjà entretenu de son talent de conteur en BD jeunesse pour « Chevalier des sables »  ou la série « L’Écureuil ».
L’ancien architecte, éditeur à ses rares heures perdues pour Vide Cocagne, excelle à raconter des histoires fantastiques à partir d’un substrat historique. Après les Croisades et le Paris de la Belle Époque, il s’inspire pour « Nordics » des légendes inuites. Occasion pour le lecteur de renouveler son bestiaire mythologique avec Taqqiq, le Corbeau-Lune, et Saqqiq, la timide Renarde-Soleil et surtout avec les Tupilak, Kigatalik et autre Nanuk ; esprits positifs ou maléfiques, bien connus des peuples qui habitent les territoires bordant l’Océan glacial Arctique.
Fabien Grolleau a construit autour de cette mythologie lointaine un conte qui met en valeur les belles qualités de quatre petits lutins sympathiques telles la persévérance, l’empathie, le courage ou l’esprit de groupe.
Le dessin inventif, coloré même et surtout sur la banquise, rond et puissant de Thomas Gilbert amène dynamisme et surprises à un scénario bien ficelé. Remarqué pour son travail sur « Bjorn le Morphir », le dessinateur bruxellois emprunte aux dessins traditionnels inuits les formes et les traits de ses personnages.
Avec « Nordics », le jeune lecteur de l’école primaire peut s’évader vers les terres glacées du Grand Nord en rencontrant les êtres mythologiques de ceux qu’on appelait encore récemment les Esquimaux, de quoi le dépayser des dieux et demi-dieux de l’Olympe qu’il croise plus fréquemment dans les œuvres pour la jeunesse.
Ce premier volume, réussi et intrigant, d’une série annoncée en appelle d’autres. Nous souhaitons une belle carrière dans le neuvième art aux petits Nordics.
Laurent Lessous (l@bd)
« Nordics T1 : La Grande Faim du Tupilak » par Thomas Gilbert et Fabien Grolleau
Éditions Sarbacane (12,50 €) – ISBN : 978-2-3773-1050-0