Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Les enfants dans la Seconde Guerre mondiale, entre quotidien et actes héroïques…
De 1939 à 1945 s’est déroulé le plus meurtrier de tous les conflits. Les 60 millions de morts de la Seconde Guerre mondiale marquent une rupture profonde dans l’histoire de l’humanité. Les enfants des pays en guerre ont vécu ces temps troublés à leur niveau, en observant un monde adulte qui sombrait parfois dans la folie la plus destructrice, mais aussi en agissant quand cela était possible. Trois œuvres traitent de l’enfance au temps de la guerre dans la France occupée et dans la Pologne marquée à jamais par la Shoah.
Nous avons signalé, dans cette rubrique, les qualités indéniables du premier volume des « Enfants de la Résistance », en rappelant que cette plongée dans le quotidien d’enfants projetés dans la Résistance permet de mieux comprendre pourquoi la période de l’Occupation constitue, selon la formule de l’historien Henry Rousso : « un passé qui ne passe pas. »
Cette série fictionnelle offre une vision à hauteur de jeunes adolescents – 12–13 ans – des années sombres de l’Histoire de France, entre 1940 et 1944. Les jeunes lecteurs peuvent ainsi facilement s’identifier à des héros, deux garçons et une fille, qui entrent en Résistance pour des raisons variées. C’est dans un village inventé de toutes pièces que Vincent Dugomier fait grandir ses jeunes héros. Leurs aventures fictives sont on ne peut plus crédibles, car elles sont inspirées de nombreux témoignages recueillis par les auteurs et par des exemples pris dans une vaste et sérieuse documentation.
Le tome 3 se déroule sur l’année 1941. Dans leur village à l’heure allemande, François, Lisa et Eusèbe veulent continuer à agir contre l’occupant bien que le papa de François ait été fusillé par les nazis. Aucun adulte ne se doute que sous le nom de code de Lynx se cache un groupe de préados prêt à reprendre ses activités de résistance. Un agent de Londres a été parachuté, mais Pégase ne voit dans les gamins que de simples messagers vers un réseau d’adultes. Désormais, les enfants de la Résistance ne se contentent pas de diffuser des tracts ou de faire du repérage, Pégase leur demande maintenant de poser des explosifs dans une usine qui travaille pour le IIIe Reich…
Cette excellente série est didactique et vivante : l’humour de Vincent Dugomier permet de dédramatiser de nombreuses situations dramatiques, et montre de manière réaliste la vie des Français sous l’Occupation. Les grandes étapes de la guerre sont appréhendées par leur réception par des villageois ordinaires ; l’entrée en guerre de l’URSS de Staline suit un aparté d’un instituteur au fait des dérives du régime de Moscou, celle des États-Unis permet d’évoquer le partage du monde entre les deux super-grands après-guerre.
Les aquarelles aux belles nuances de Benoît Ers donnent un côté vintage à des aventures narrées sans temps morts. Pas de tabou dans le scénario : la collaboration économique, la trahison de certains Français, l’antisémitisme… toutes ces thématiques sont abordées sans manichéisme, pour permettre au plus grand nombre d’aborder sereinement cette époque, où « les Français ne s’aimaient pas », selon la formule de Georges Pompidou.
À noter, pour les enseignants et les amoureux d’histoire, que la bande dessinée est complétée d’un dossier pédagogique, très riche et fort bien illustré, rédigé par Vincent Dugomier lui-même, et d’un site ludo-interactif hébergé par le site des éditions du Lombard.
La vie dans la France occupée était difficile pour une majorité. Dans Varsovie soumise aux nazis les plus extrémistes, seule une minorité des habitants a survécu à la guerre, qu’ils soient Juifs ou chrétiens. Deux ouvrages justes et sensibles évoquent la vie des enfants dans le ghetto de Varsovie pendant les heures les plus noires du second conflit mondial.
Le deuxième tome de la trilogie « Irena » paraît deux mois seulement après le premier. Tous les lecteurs de ce récit intelligemment scénarisé par Jean-David Morvan et Séverine Tréfouël ont encore en tête et dans le cœur les épisodes marquants de la vie d’Irena Sendlerowa narrés dans un premier volume que nous avons mis en avant dans notre rubrique.
Décédée en 2008, Irena Sendlerowa est une résistante et militante polonaise qui a été déclarée Juste parmi les nations pour avoir sauvé près de 2 500 enfants juifs du ghetto de la capitale du gouvernement général de la Pologne soumise aux sbires d’Hitler. Les auteurs ont réussi à transcrire le parcours de cette femme d’exception pour un jeune lectorat autour de la dizaine d’années.
Grâce au trait sensible, tout en retenu et douceur, de David Evrard, des séquences d’une grande violence – la vie dans le ghetto ou les tortures subies dans les locaux de la Gestapo par Irena — alternent avec celles montrant comment on peut, avec beaucoup d’astuces et de malices, faire sortir des milliers d’enfants du ghetto au nez et à la barbe d’un régiment de Waffen SS.
Pour les besoins de la cause, Irena rencontre une gloire nationale. Le docteur Janusz Korczak faisait de la radio dans les années 1930. Au péril de sa vie, il a créé l’orphelinat Dom Sierot au cÅ“ur du ghetto pour s’occuper de centaines d’orphelins. Sa philosophie était simple : « Ici ou ailleurs on ne vit que dans l’attente de la mort, et plus elle est proche, plus il faut essayer de s’amuser. Se morfondre à l’idée de sa fin prochaine, c’est comme mourir deux fois.Â
Les deux résistants s’entendent pour sauver des enfants du ghetto. Korczak, écrivain, médecin, éducateur et pédagogue engagé, choisira délibérément d’être déporté vers Treblinka avec les enfants juifs de son orphelinat. Ses dernières années ont été portées à l’écran par Andrzej Wajda en 1989 dans son film « Korczak ». Irena, elle, survivra à la guerre. Elle sort de la prison de Pawiak les bras et les jambes brisées, mais sans avoir donné les noms des autres personnes de son réseau. Nous en saurons plus dans le troisième et dernier volume de la série : « Varsovie ».
On retrouve le docteur Korczak dans un fort bel album, écrit par Adam Jaromir et illustré par sa compatriote polonaise Gabriela Cichowska : « La Dernière Représentation de mademoiselle Esther ». Le Ghetto vit ses derniers jours en cette année 1942. Dans l’orphelinat juif Dom Sierot (la maison des orphelins), vit, avec 190 autres enfants, Genia : une petite fille de 12 ans. Sur les conseils du docteur, elle tient un journal intime. Celui-ci s’achève brusquement quand tous les résidents de Dom Sierot sont déportés vers le camp d’extermination de Treblinka en août 1942.
Ce livre captivant de bout en bout, imbrique le journal du docteur, avec des textes originaux de Janusz Korczak, et celui de Génia, encore enfant, mais très lucide, qui est enthousiasmée par le projet de mademoiselle Esther. La jeune femme décide de monter, avec et pour les orphelins, une pièce de théâtre, le « Bureau de poste » de Rabindranath Tagore, le prix Nobel de littérature indien.
Les illustrations Gabriela Cichowska mêlent différentes textures – tissus des étoiles de David, blocs d’éphéméride, photos d’époque, coupures de journaux… — à un dessin dépouillé, parfois timidement rehaussé de quelques couleurs quand les enfants retrouvent la joie de vivre en s’investissant dans les répétitions de la pièce de théâtre indienne. La correspondance entre ces images puissamment évocatrices et un texte tapé sur une machine à écrire du début du XXe siècle renvoie le lecteur à la tragédie qu’ont vécu les enfants de Dom Sierot que le docteur Korczak a défendu, même au-delà de ce qu’il pouvait.
Un livre émouvant, à la fois désespéré et porteur d’une grande foi dans l’humanité, qui a été remarqué et primé dans plusieurs pays européens.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Les Enfants de la Résistance T3 : Les Deux géants » par Benoît Ers et Vincent Dugomier
Éditions Le Lombard (10,95 €) – ISBN : 978-2-8036-7026-0
 « Irena T2 : Les Justes » par David Evrard, Séverine Tréfouël et Jean-David Morvan
Éditions Glénat (14,95 €) – ISBN : 978-2-344-02009-8
 « La Dernière Représentation de mademoiselle Esther : une histoire du ghetto de Varsovie » par Gabriela Cichowska et Adam Jaromir
Éditions Des ronds dans l’O (24,00 €) – ISBN : 978-2-917237-98-4
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