Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Fillette avant-guerre : 1909-1942 (première partie)
Après les articles sur les revues des éditions Del Duca (1), voici une autre reprise d’un dossier de Michel Denni publié dans Le Collectionneur de bandes dessinées (au n° 93 daté du printemps 2001) : il est consacré à Fillette, le premier petit illustré féminin…
Au cours de la première décennie du XXe siècle, les frères Offenstadt (Charles, Georges, Maurice — ou Moïse — et Nathan) ont acquis une place prépondérante sur le marché des journaux pour enfants. Après avoir lancé en 1904 L’Illustré à 5 centimes, sur 12 pages dont 2 en couleurs, lequel se démarque des réalisations falotes de l’époque encore prisonnières des images d’Épinal, ils créent en 1908 L’Épatant qui remporte un succès considérable dans les milieux populaires, entre autres grâce aux « Pieds nickelés » à l’éthique joyeusement libertaire. Suivront Fillette (1909), L’Intrépide (1910), Cri-Cri (1911), Les Romans de la jeunesse (1912), La Croix d’honneur (1915).
« Pionniers, novateurs, les Offenstadt ont le mérite d’avoir sorti la presse pour les jeunes des ornières dans lesquelles elle se trouvait enlisée », écrit George Fronval dans Phénix en 1967, « car ce sont des accoucheurs ayant su utiliser la couleur avec habileté, s’entourer de dessinateurs, d’écrivains et de maquettistes talentueux, donner naissance à une œuvre d’hebdomadaires illustrés pour la jeunesse dont sont sortis les périodiques d’aujourd’hui » (2).
En 1909, il n’existe qu’un seul journal destiné aux petites filles, La Semaine de Suzette, attrayant certes (grâce à « Bécassine », voir 2015 : l’année Bécassine), mais qui se vend 10 centimes le numéro et s’adresse surtout aux enfants des milieux favorisés de la bourgeoisie. Les Offenstadt vont cibler à nouveau les classes populaires en lançant cette année-là un journal qui ne coûtera que 5 centimes, donc moitié prix que son concurrent des beaux quartiers, sur 16 pages dont 4 en couleurs.
Comme pour L’Épatant, le succès va se révéler foudroyant, à tel point même que la publication devient bihebdomadaire dès la rentrée de 1912.
Un premier numéro très Art nouveau
En ce premier numéro, qui apparaît le jeudi 21 octobre 1909, « Les Aventures de Guénola et de Gulduc » occupent la première page couleur en un style très Art nouveau où prédominent courbes, volutes, coloris précieux et décors floraux.
Elles sont dessinées par Raymond Tournon, illustrateur et dessinateur humoriste qui a débuté dans Le Journal pour tous en 1898 et travaillé à La Vie amusante (1903). Parallèlement, il signe aussi les doubles pages centrales des deux premiers numéros avec les pérégrinations de « L’Homme au bâton de fer » mettant en scène des personnages comiques courts sur jambes et à grosses têtes.
En page 3, la rédaction présente ce premier numéro en précisant que Fillette « est le journal des petites filles, mais peut aussi être lue par des garçons et ne coûte que 5 centimes » (comme L’Épatant, d’ailleurs). Chaque jeudi paraîtra une page : « La Mode de Fillette », avec un patron de poupée ou de menus vêtements pour petites filles. Il y aura aussi des jeux amusants, des recettes de cuisine, un « Sac à malices » réservé aux réponses qui seront faites aux demandes des jeunes lectrices, des contes, des fables, des monologues à dire, des rébus. Un roman de Maurice Mario (1881-1976), écrivain populaire très en vogue à l’époque : « Rejeté par les flots » débute en pages 4 et 5. La page 6 est réservée à « L’Espiègle Lili », nous y reviendrons. Puis, on trouve une saynète en deux parties due à Clotilde Leclerc, la double page centrale de Raymond Tournon évoquée plus haut. Enfin, n’oublions pas la dernière page en couleurs avec un récit complet animalier humoristique de Nicolson qui signe d’ailleurs, dans ce premier numéro, deux autres demi-planches du même genre.
Dessinateur essentiellement humoriste, Nicolson a commencé dans Le Pêle-Mêle en 1898, collaborant par la suite à Nos Caricatures (1899-1900), Le Charivari (1900-1902), American Illustré (1907), Polichinelle (1908), L’Épatant avec « Le Tour du monde des deux Mathurins » (1908-1909), etc.
Dans les histoires en une planche ou les petites saynètes de quelques cases qu’il livre au début à Fillette, il privilégie le genre animalier : dessinant les chevaux avec talent, croquant les humains avec une sorte de réalisme débonnaire, tous souriants, affables, rayonnants de gaieté. Mais, plus tard, dans « Les Aventures du Chien Brownie », qu’il signe dans Fillette en 1926-1927, d’après le film sorti chez Universal, le comique devient plus caricatural, avec profusion de visages d’ahuris ou de crétins souvent en médaillon.
Nicolson a aussi illustré, par ailleurs, de nombreuses couvertures de partitions et terminé sa carrière comme chef de service des dessinateurs à la S.P.E. dans les années 1930.
Les premières farces de l’espiègle Lili
Mais la bande phare de ce premier numéro reste incontestablement « Les Mille et un Tours de l’espiègle Lili », dessinée par André Vallet (voir « Lili » toujours espiègle…). Comme pour « Les Pieds nickelés », « Lili » va devenir un classique de la bande dessinée croqué successivement, en quatre-vingt-neuf ans d’existence, par une demi-douzaine de dessinateurs et une dessinatrice.
D’un trait quelque peu brouillé, genre « croquis », Vallet invente une gamine fine et jolie, dont les longs cheveux blonds tombent sur les reins. Le texte explicatif décrivant les péripéties est de Jo Valle. Il en fait une enfant courageuse et intrépide, malicieuse, mais sans méchanceté, qui adore faire des farces à son entourage au grand désespoir de ses parents et de sa gouvernante anglaise, Miss Betsy, sèche et rébarbative comme il se doit.
Le 26 janvier 1911, au n° 67, la famille excédée se décide à envoyer Lili en pension à l’internat Poupinet. Elle va y rester jusqu’au n° 286 du 1er janvier 1914. À noter que notre héroïne vieillit avec le journal. Âgée de 7 ans en 1909, elle en a 12 en ce début 1914, année où, quittant finalement l’internat Poupinet, elle entre à nouveau en pension, mais en Angleterre, cette fois, au n° 288 (08-01-1914). Elle va y demeurer jusqu’au n° 366 du 14 mars 1915, puis comme la France est entre-temps entrée en guerre contre l’Allemagne, elle regagne la mère patrie.
Courageuse, elle va évoluer dans les zones de combat, sous le crayon d’André Galland du n° 429 (28-05-1916) au n° 522 (10-03-1918). Celui-ci la dessine gauche et malhabile, avec des cheveux plats et raides, portant une jupe trop longue.
Heureusement, en mars 1918, André Vallet lui redonne sa personnalité d’origine. Entre-temps, elle se retrouve prisonnière au-delà du Rhin, s’évade et rentre à la maison, la paix revenue. Là, on découvre que le cousin de Lili, ex-St Cyrien et brillant officier, s’est marié à Miss Betsy curieusement rajeunie et embellie.
En décembre 1919, notre héroïne effectue un flash-back totalement saugrenu qui la renvoie dans sa pension anglaise en l’été 1914.
Puis elle revient à l’époque de parution du journal Fillette au n° 636 du 30 mai 1920 avant de commencer à voyager jusqu’en février 1923.
Ce n’est plus, dès lors, une pétulante fillette malicieuse à la longue chevelure flottante, mais une jeune fille à la jupe allongée et au chignon quelque peu ridicule.
Devenu sage, elle va finalement se marier avec un officier d’aviation qu’elle avait sauvé pendant la guerre et dont l’avion, baptisé Lili, les emmène en voyage de noces.
Le personnage est si populaire que les Offenstadt lancent, en octobre 1919, un nouveau journal Lili où notre héroïne n’apparaît pourtant pas et qui va durer jusqu’en 1926. Elle ressuscitera plus tard, mais à nouveau dans Fillette, en 1933 au n° 1318, dessinée cette fois par René Giffey, toujours sur des textes de Jo Valle. Giffey, entre-temps, a déjà repris le personnage, mais directement en albums de 96 pages, de mai 1921 à avril 1923. Albums qu’il redessine d’ailleurs en les raccourcissant à 64 pages et en modernisant les costumes à partir d’octobre 1925.
À noter que Lili, décidément voyageuse temporelle, s’est retrouvée plus âgée de quelques années en albums dans les années 1920, avant de redevenir écolière en 1933 dans Fillette.
Jo Valle, créateur de « Lili » et romancier populaire de talent
Le succès de « L’Espiègle Lili », au moins égal à celui des « Pieds nickelés », tient aussi à Jo Valle (1865-1949), dont les scénarios pleins de rebondissements sont commentés dans un long récitatif qui peut paraître ampoulé de nos jours, mais plaisait beaucoup aux petites lectrices de l’époque n’ayant pas encore droit, comme celles du Nouveau Monde, à la lecture par phylactères.
Jo Valle collabora d’abord au Rire, à La Vie parisienne et au Supplément illustré du Petit Journalavant de devenir l’auteur maison des Offenstadt.
Dans Fillette, outre la longue saga « L’Espiègle Lili », il scénarise aussi « La Bouquetière du roi » (1918-1919), « La Filleule des farfadets » (1920), « Pépita, la petite saltimbanque » (1920-1921), « Le Page de dame Isabeau » (1920-1921), « Les Espiègleries de Friquette » (1923-1926), « La Fauvette de Mantoue » (1939-40).
Signant parfois Jean de Nauzeroy, Lelva ou Zep, il fut par ailleurs un romancier populaire de talent d’une extraordinaire fécondité, aussi à l’aise dans le western que dans l’aventure au sens large, dans le récit historique que dans les épisodes humoristiques.
Chez Offenstadt, il travaillera aussi au Petit Illustré (1909-1935), à L’Épatant (1911-1931), à L’Intrépide (1910-1925) avec notamment « Le Bison noir du Far-West », « L’Aigle des Andes », etc., à Cri-Cri (1911-1928), à La Vie de garnison (1922-1930), etc. (3).
Il est évidemment mort oublié de toutes les encyclopédies littéraires, à l’hospice Saint Michel de Crépy-en-Valois, en 1949, trois personnes assistant par charité à son enterrement. (4)
Au n° 27, en avril 1910, un nouveau dessinateur, A. Buguet, entre à Fillette avec « Brillantine et Diamantin », un conte fantastique mettant en scène à Tunis « un marchand bon comme le pain, doux comme le miel, riche comme la mer » (sic).
Il se nomme Noupatin et possède une fille Brillantine « blanche comme du lait et rose comme la fraise » (resic) qu’il cherche à marier. Mais celle-ci préfère se façonner elle-même un fiancé à partir d’une pâte de sucre et d’amandes avant de le nommer Diamantin et de le disputer à une méchante sorcière très riche : Milliarda, au nez crochu et au menton pointu.
Ce genre de conte qui fait essentiellement appel au merveilleux (certains seront d’ailleurs réédités plus tard chez Offenstadt dans une collection intitulée Les Beaux Contes de fées) va proliférer dans Fillette, entre autres grâce à Raymond Tournon, ancien humoriste que nous avons évoqué à propos du premier numéro.
Il s’est reconverti dans le fantastique merveilleux peuplé d’enchanteurs, de génies et de fées avec notamment « Myrtil, la princesse au doigt magique » (1912), « L’Extraordinaire Chevauchée du Prince Modeste » (1913) ou « La Vengeance du mandarin » (1917).
Le fantastique est aussi à l’honneur avec A. Buguet qui signera par la suite « Les Aventures de Rayon d’Or » (1912), « Nikita, la fille de la sorcière » (1917) et « Nonchalante et Brillante » (1919), Dam avec « La Forêt enchantée » (1910), Léon Roze avec « L’Écuyer du roi Othon » (1910), Asy avec « Kill le nain », Pierre Rivaltar avec « Le Nain bleu » (1912), Rolno avec « Fleur d’automne » (1913), « La Harpe qui pleure » (1915), Maurice Watt avec « Le Fils de la terre » (1914), etc.
Tous s’inspirent du graphisme Art nouveau, ce qui sied parfaitement aux jeunes lectrices de Fillette issues de milieux populaires ; d’autant que ce mouvement défendait l’idée que l’art devait être un véhicule démocratique accessible au plus grand nombre. Les gens du peuple le nommaient d’ailleurs familièrement « style nouille » ou « métro 1900 ».
On le retrouve dans le graphisme des calendriers des postes, dans les vignettes publicitaires, les emballages, les panneaux décoratifs vendus pour quelques francs et les affiches publicitaires, particulièrement celles de Mucha, mais on oublie toujours de citer la presse enfantine.
Fillette en fût l’un des fleurons, au moins jusqu’en 1914, notamment par ses bandes exotiques ou fantastiques peuplées de jeunes héroïnes habillées de vêtements chamarrés, présentant des chevelures ondoyantes avec cascades de mèches folles, évoluant dans des décors mosaïqués d’inspiration byzantine à motifs géométriques avec bordures ornementales, arabesques dorées, guirlandes de fleurs, frises de feuillages, etc. Ces histoires en images ne durent souvent que sur deux numéros (non recensées faute de place dans le tableau synoptique en fin d’article) et occupent la première page et les deux pages centrales, toutes en couleurs.
Des humoristes reconvertis dans le fantastique ou l’exotisme
La plupart de ces artistes, devenus chez Offenstadt maîtres es fantastiques ou exotiques, se sont d’abord fait connaître dans l’humour polisson.
Déjà cité, Louis Le Réverend, qui signait L. Le Riverend, est un artiste jusque-là plutôt spécialisé dans le dessin léger : collaborateur de journaux aux titres évocateurs : La Vie en culotte rouge (1902-1912), Le Frou-Frou (1902-1922), La Gaieté gauloise(1906), etc.
Georges Damour dit Dam, l’un des plus doués, a débuté en 1902 dans La Rigolade et Le Frou-Frou ; il signe aussi Piwitt et on le rencontrera encore dans L’Inédit en 1914, avant de perdre sa trace.
Ancien dessinateur humoriste, lui aussi, Asy collabore parallèlement aux Belles Images à partir de 1910 et jusqu’à la fin en 1936, à Lili (1919-1926) et Mon Copain du dimanche (1911). Le trait, assez maladroit au début, gagne en assurance, mais sans atteindre à la munificence de Damour.
Léon Roze, qui disparaît également en 1914 (Grande Guerre oblige ?) est aussi un ancien humoriste. Né en 1869, il fait ses premières armes dans Fin de siècle en 1891, collabore à La Chronique amusante (1895), Le Bon Vivant (1899), La Gaieté gauloise (1903), etc.
Pierre Rivaltar a commencé dans Le Rire et Le Sourire (1908-1910) et ne donne plus de ses nouvelles après 1912, année où il signe dans L’Inédit.
Rolno deviendra par la suite illustrateur réaliste de presse, mais travaillera chez Offenstadt au moins jusqu’en 1936, puisqu’on le retrouve cette année-là dans L’Almanach du Petit Illustré.
Maurice Watt, enfin, s’est fait connaître dans Pages folles (1909) et collaborera au Rire (1915-1917) et chez Offenstadt à La Jeune France, Cri-Cri et L’Épatant (1933).
Dans les années 1920, le fantastique est surtout représenté dans Fillette par « Les Belles Histoires de Tante Olive », lesquelles occupent en bichromie les deux pages centrales du journal. Elles sont dessinées par Claude Whip, sur un texte fourni de Maurice Mario
Exotisme, xénophobie et péril jaune
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, beaucoup d’artistes occidentaux subissent l’influence de l’art japonais. Ils en adoptent un certain nombre de techniques de composition : la structure bidimensionnelle de l’image, les perspectives en vue panoramique, les aplats de couleurs, la calligraphie, etc.,
et tout un bric-à-brac décoratif constitué de bambous, fleurs de cerisier, nénuphars et glycines, éventails, paravents, kimonos, etc.
Ces « japonaiseries » influencent la plupart des disciplines se réclamant de l’Art nouveau, en particulier l’illustration.
Dans Fillette, les bandes exotiques sont de ce fait à l’honneur, dès 1911, avec « Les Aventures extraordinaires et stupéfiantes de la princesse La-Zu-Li et de ses compagnons ». L’auteur se nomme Asy et nous l’avons évoqué plus haut pour « Kill le nain ».
La-Zu-Li est une princesse chinoise. Persécutée par le cruel Sa-Tang, elle fuit avec le cuisinier Lô et le chat noir Mi-Hiâo (sic).
Ils se réfugient en Inde où un brahmane les recueille. Des baguettes délimitent les cases. Et, comme il s’agit d’un conte, le chat parle et chevauche à l’occasion un cheval ailé.
Le Riverend aborde, en 1915, l’aventure exotique avec « Yvette, la fille des roseaux » mettant en scène deux petites filles conduites en esclavage à Tunis avant de se retrouver emportées par un éléphant furieux à travers le désert.
La même année, il signe aussi « La Poupée aux yeux de jade » où des Chinois fanatiques, les frères du Lotus-bleu, tourmentent la petite Suzette Merville et sa maman : en planches en couleurs avec cases en cercles ou trapézoïdales juxtaposées.
À noter l’artifice du « médaillon-jumelle » pour des plans rapprochés, technique employée par Joseph Porphyre Pinchon dans les saynètes de « Bécassine » paraissant dans La Semaine de Suzette. Les textes de H. Leehouder et Paul Darcy reflètent parfaitement l’idéologie coloniale de l’époque censée apporter la civilisation aux peuples « arriérés » d’outre-mer.
« La Vengeance du mandarin » (1916-1917), dessinée par Raymond Tournon et écrite par Guy Tong, adopte de son côté la xénophobie type « péril jaune » qui imprègne la littérature populaire depuis plusieurs décennies avec, notamment, « La Bataille de Strasbourg » (1895) de Jules Lermina et « L’Invasion jaune » (1905) du capitaine Danrit.
« Édith, la rose du Val d’Argent » (1917) de Janko, sur un texte de Paul Darcy, conte les aventures en Australie d’une fille de fermier « à la voix angélique et musicale », de sa petite poupée Ketty et de sa petite servante canaque qui ont été enlevées par des « Boches » (sic) évadés d’un camp de prisonniers. Elles sont réduites en esclavage par des sauvages alliés aux Allemands, mais « qui valent mieux qu’eux » bien que Paul Darcy les assimile parfois à des singes. Janko a dessiné des garnitures remplies de lapins gris et blancs qui encadrent les cases.
Après la guerre, le genre va se tarir. Une réussite pourtant : « Les Aventures de Bébé-Peggy » (1926-1927) d’André Galland, tout en ombres et en hachures, sur un texte de Jean d’Agraives d’après la jeune actrice Baby Peggy connue en France par le film de l’Universal « Captain January » (1926). L’action se déroule d’abord dans un sultanat du Moyen-Orient avec force coups de cimeterre. Puis Bébé Peggy se retrouve « industrielle » aux États-Unis et monte un magasin d’objets trouvés dans un terrain vague en compagnie du négrillon Mokoko.
Enfin, dernière bande exotique du journal : « Compagnes d’Infortune », en 1941, est une histoire en images de Line Deberre où une petite princesse hindoue et son amie française sont enlevées par des bandits chinois et emmenées au Thibet.
Un patriotisme de circonstance
Après l’entrée en guerre, en août 1914, il va bien falloir, dans Fillette, exalter les vertus patriotiques. D’autant que nos malheureux Offenstadt, non contents d’être juifs, sont aussi d’origine allemande. Une attaque en règle contre eux a déjà été publiée dans Romans-revue en 1913 où la maison de la rue de Rocroy est qualifiée de « Société judéo-allemande des publications pornographiques » à cause de la revue La Vie en culotte rouge lancée en 1904.
Dès l’entrée en guerre, en août 1914, la xénophobie, l’exaltation chauvine et l’espionnite envahissent les médias. Et le 6 du même mois, l’un des fils Offenstadt est arrêté sous l’inculpation d’espionnage, mais bénéficie heureusement aussitôt d’un non-lieu. Toutefois, la presse, surtout cléricale et réactionnaire, ne désarme pas et, en 1917, L’Écho de Paris écrit à propos des Offenstadt « qu’on ne peut permettre à des naturalisés de fraîche date de contribuer à l’empoisonnement moral du pays. » Or, le père de la famille, Joseph, est tout de même Français depuis novembre 1889 et fixé depuis 1860 à Paris, où ses enfants sont tous nés.
Charles Offenstadt dans un droit de réponse à L’Écho de Paris contre-attaque : « il nous reste à regretter que nos frères sous les drapeaux ne puissent aller vous soumettre notre protestation. » À la fin de la guerre, la famille s’adressera même au ministère de la Justice pour obtenir réparation par lettre recommandée avec papier à l’en-tête de Pages de gloire, une collection toute retentissante de l’héroïsme et de la bravoure de l’armée française pourfendant les « Boches ». (5)
En vain, malgré « Les Pieds nickelés » qui se sont couverts de gloire dans L’Épatant, malgré Rolno qui a dessiné « Les Enfants de l’otage » (1915-1916) dans Fillette (où deux petites filles cherchent à délivrer leur grand-père bourgmestre pris comme otage), malgré l’espiègle Lili héroïne en pays ennemi, malgré le terme Publication Offenstadt remplacé par la seule adresse (3, rue de Rocroy, Paris) et le choix d’un directeur littéraire avec nom à particule : Paul de Léonie.
(À suivre)
Michel DENNI
Mise en pages et mise à jour du texte : Gilles Ratier
(1) Voir Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (première partie), Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (deuxième partie), Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (troisième partie), Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (quatrième et dernière partie), Le Tarzan d’après-guerre (1ère et 2ème série) : première partie, Le Tarzan d’après-guerre (1ère et 2ème série) : deuxième partie, Le Tarzan d’après-guerre (1ère et 2ème série) : troisième et dernière partie, En 1941 et 1942, il y eut L’Audacieux (première partie), En 1941 et 1942, il y eut L’Audacieux (deuxième et dernière partie) et L’Astucieux : encore une revue de Del Duca !.
(2) Voir « La Dynastie des Offenstadt » par George Fronval dans Phénix n° 3, 5 et 7 (1967-1968) et « Les Frères Offenstadt » par Sylvie Prémisler dans Le Collectionneur de bandes dessinée n° 35 (1982).
(3) Voir « Essai de bibliographie de Jo Valle » par Louis Viger et Louise Lagneau, dans Le Chercheur de publications d’autrefois n° 5 (août-sept. 1972).
(4) Voir « Souvenir de Jo Valle » par Robert Barrier, dans Le Chercheur de publications d’autrefois n° 5 (1972).
(5) Voir « Les Frères Offenstadt » par Sylvie Prémisler, op. cit..
Ping : Fillette après-guerre, première série : 1946-1953 (1ère partie) | ArtsCulture
le dernier numéro de Fillette en 1942 porte le numéro 1755 avec un mot de « Marraine » annonçant l’arrêt de la publication du magazine Ce dernier numéro porte la date du 8 mars 1942 et est comme le numéro 1754 d’un format différent : 4 pages grand format
Deux histoires sont « à suivre ». Les rédacteurs espéraient ils une prochaine reprise??
Merci pour vos précisions, Michèle !
Bien cordialement…
Gilles Ratier