Contribution à l’étude du 9e art dans les ventes aux enchères en Europe, en 2015

Dans le rapport 2015 de l’ACBD sur la production d’une année de bande dessinée dans l’espace francophone européen, Michel Coste, expert indépendant pour le marché du 9e art, notait que la bande dessinée avait envahi les galeries d’art spécialisées, mais aussi les salles des ventes : « En 2015, avec 90 ventes différentes sur le territoire francophone européen (réalisées par 33 opérateurs), de nouveaux records ont été atteints. Ce marché augmente en volume vendu (avec près de 19 300 lots) et en chiffre d’affaires : 30, 743 millions d’euros, frais d’acheteur et TVA compris. Bien entendu, ce sont les originaux (notamment les pièces exceptionnelles d’auteurs comme Hergé, Albert Uderzo, Enki Bilal, Jean Giraud ou Jacques Tardi) qui tirent le marché vers le haut, car plus disponibles qu’avant et de plus en plus recherchés, avec une cote montant sans cesse depuis 2005. » Notre expert revient plus en détail sur cette tendance avec cet article réalisé en exclusivité pour BDzoom.com !

 

Dédicace d'Hergé datée de 1977, vendue en 2015.

Sorties des greniers, caves, chambres et bibliothèques, les bandes dessinées, après avoir été vendues sur les marchés, brocantes, vide-greniers, librairies spécialisées, solderies et festivals, ont investi, un peu plus, après la Seconde Guerre mondiale, les hôtels de vente en régions et à Paris (à Drouot). Plus récemment en divers lieux, salles et hôtels particuliers, privés et publics et au départ par le biais de vacations, ventes dites courantes en mannettes, mélangées parfois avec d’autres objets et des livres divers. Avant-guerre (la 2ème) déjà, de vieux Journal de Mickeyet autres étaient vendus au milieu de livres divers pour enfants.

Les premières ventes dites spécialisées BD, c’est à dire où l’on ne trouve que des lots issus de cet univers, sont apparues à la fin des années 1980, à Paris et à l’Hôtel Drouot, bien avant les ventes sur minitel, puis sur Internet ensuite, vers 1995, par le biais de sites marchands bien connus aujourd’hui. Marchands, collectionneurs passionnés et galeristes spécialisés BD (une quinzaine en Europe) ont contribué fortement à l’offre.

Enfin, d’année en année, les catalogues de vente sont devenus de plus en plus précis et raisonnés.

Original d'Albert Uderzo (« Les Lauriers de César », 1971) venu en 2015.

J’ai identifié plus de 85 types de lots proposés : du poster commun à l’album rare dédicacé, crayonnés, sérigraphies, dessins de presse, dessins et planches originales, mises en couleurs, jeux/jouets, figurines et objets issus du merchandising, celluloïds des animations du 7eart, les livres illustrés pour enfants, etc. Les pièces issues de l’univers d’Hergé, surtout « Tintin », restent très présentes, depuis l’origine, et participent grandement aux résultats. Les albums anciens, dits de collection, représentent encore la plus grande partie du volume écoulé. Le marché des originaux couvre autant la partie historique et ancienne que les productions actuelles issues de l’actualité éditoriale ; ce marché représente, à lui seul, la plus grosse partie en valeur, tous objets confondus.

Original d'André Franquin (« Spirou », 1956) vendu en 2015.

Bien avant le passage à l’euro, en 1994 à l’Hôtel Drouot, déjà 44 originaux étaient proposés comme un Bilal (« Phalanges de l’ordre noir ») à 1 830 € (équivalence francs/euros), un « Blueberry » à 1 525 € ou un Tardi à 1 100 €… 21 ans après, ces génies du trait publiés dans Pilotesont au sommet dans les ventes actuelles, avec des valeurs parfois multipliées par dix…

Original de Jean Giraud (« Blueberry : Arizona Love », 1990) vendu en 2015.

L’explosion du nombre de ventes a commencé vers 2005 en augmentant continuellement pour aboutir ces cinq dernières années à : 23 ventes et 12 808 lots par 11 opérateurs en 2011, 28 ventes et 12 104 lots en 2012, 51 ventes et plus de 15 000 lots et 19 opérateurs en 2013 et 56 ventes, plus de 18 000 lots par 24 opérateurs, l’année dernière (en 2014).

Original de Jacques Tardi (« Nestor Burma », 1987) vendu en 2015.

Original de Guido Crepax daté de 1987 (« Dr Jekyll et Mr Hyde ») vendu en 2015.

Cette année, avec 90 ventes, dans 5 pays (France, Belgique, Luxembourg, Italie et Suisse), réalisées par 33 opérateurs dont 25 sur 408 maisons de vente aux enchères en France en 2014, un nouveau record a été atteint en chiffre d’affaires frais d’acheteurs et TVA comprise avec presque 31 millions d’euros réalisés. Le marché se porte bien, il augmente en volume vendu et en chiffre d’affaires et les habitudes sont bien ancrées : collectionneurs, marchands en boutique, physiques ou sur Internet, et dessinateurs achètent, vendent et revendent au gré d’un calendrier de plus en plus chargé et où chacun trouve son bonheur, ou pas selon ses moyens financiers. Les pourcentages des invendus (n’ayant pas trouvé preneur) restent stables ou en diminution selon les stratégies employées de chacune des maisons de vente. Les catalogues imprimés ont tendance à disparaître au profit ou en addition à celui en PDF sur le site de l’opérateur. La possibilité récente d’enchérir par Internet a permis d’accroître les résultats.

Les pièces exceptionnelles trouvent preneur et la flambée des scores s’explique par divers paramètres comme la rareté, la qualité, l’encrage, la scène, etc. La demande croissante et l’opportunité d’acquérir, à chacun, sa madeleine de Proust, à commencer ou compléter sa collection, sont bien ancrées. L’effet numérique via Internet fait progresser la visibilité mondiale de l’offre et des illustrateurs et donc fait accroître les résultats.

Original de Gotlib (« Rubrique à brac », 1970) vendu en 2015.

La production de pièces sur commande, dites artistiques, par l’effet générationnel des goûts et des influences historiques, augmente l’offre dans les ventes dites de prestige une ou deux fois par année où la peinture BD, comme je la nomme, fait venir de nouveaux collectionneurs issus d’autres segments de l’art, amateurs de BD ou non. Les maisons Artcurial, Sotheby’s, Christie’s et Millon, ne s’y trompent pas.

Original de Jean-Yves Mitton (« Le Surfeur d'argent ») vendu en 2015.

La compétition pour trouver des pièces exceptionnelles, ou pour simplement retrouver une image d’antan, a permis aux amateurs d’admirer les réalisations des dessinateurs anciens, disparus ou oubliés, mais aussi des plus actifs récents et prometteurs ; et ce sont les originaux publiés ou non (couvertures, planches, crayonnés) qui tirent le marché vers le haut, car ils sont enfin plus disponibles qu’avant et de plus en plus recherchés. La cote montante sans cesse de certains dessinateurs le montre très clairement, mais dépend aussi de critères bien connus actuellement de la profession et des envies des collectionneurs. Question de goûts et de générations.

Par ailleurs, en France, par la loi du juillet 2000, puis celle du 20 juillet 2011, les formes juridiques des études françaises ont changé et une autorité régulatrice des ventes aux enchères volontaires a été créée : le Conseil des ventes volontaires (CVV) siégeant à Paris.

 

Comprendre les chiffres 

  • Pour les ventes retenues : les ventes judiciaires (rares avec de la BD) et les volontaires.

Celles en salle, avec ou non un catalogue papier, celles en ligne sur Internet par le truchement d’un outil web comme ceux de Drouot Live/On-Line ou d’Interenchères. Je retiens aussi les vacations où il y a des lots importants en rareté ou valeur (planches, par exemple), même si la proportion en pourcentage est inférieure à 50 % du contenu de la vente. Les ventes caritatives ou partiellement caritatives sont incluses. En revanche ne sont pas incluses, pour des raisons de statut juridique différent des SVV françaises et opérateurs étrangers en sociétés, les ventes appelées enchères des sites Internet comme Catawiki ou Ebay.

  • Pour le segment Originaux, je ne retiens que les types de lots suivants : les dessins de couverture (1ère/4ème) et les planches originales encrées ou pas, mais publiées, des albums, périodiques, romans et ouvrages pour enfants, pages de garde, gag/planche, strips et bandes (ou partie de), case d’Hergé, lots de planches, histoires complètes, mais pas les dessins de dédicace, ni les copies de sécurité, couvertures alternatives ou d’hommage ni les crayonnés d’étude ou préparatoires ni les peintures et illustrations réalisées pour une vente (commandes).
  • Pour le segment Chiffre d’affaires estimé, a été pris en compte les montants totaux réalisés par vente et par opérateur des lots vendus, frais et TVA comprise en sus du montant atteint au marteau, c’est à dire le montant qu’a payé l’adjudicataire : acheteur en salle, par téléphone, sur ordre d’achat, par Internet ou par l’expert. Les totaux sont estimés à 98 % de la réalité, car les lots vendus après les ventes appelées after sales n’apparaissent pas forcément dans les résultats publiés et de plus, pour les ventes dites courantes, il semble qu’il n’y ait pas d’obligation de publication des résultats.

Dessin de Réné Pellos, daté de mai 1969 et paru dans L'Épatant n° 12, sur les ventes aux enchères.

Ce qui n’apparaît pas dans cet article :

Les frais pour les acheteurs par maison (entre 20 et 31 %), les best-sellers : meilleurs scores de chaque vente (beaucoup de pièces issues de l’univers d’Hergé, encore), c’est-à-dire les lots et leur descriptif (montant atteint en euros hors frais et TVA, donc au marteau, typologie du lot, et auteurs) ; les analyses et commentaires par vente ni l’analyse par typologie de produits vendus, ni par dessinateurs dont beaucoup ont déjà une cote sur le premier et le second marché.

Dans la continuité des galeries (1er marché), ce second marché croît donc en volume et en lots vendus également.

Cette première contribution, basée sur les résultats publiés par les opérateurs, leurs catalogues et ma présence en salle lors des vacations (ventes publiques tant en France qu’en Belgique), sauf erreurs ou omissions, se veut être comme un observatoire du sujet et la base d’une analyse annuelle approfondie des contenus des ventes, des tendances de vente et d’achat, des dessinateurs et des mouvements de ce marché en pleine expansion.

L’analyse détaillée et complète par pays et par maison de vente et autres opérateurs, ainsi que les tendances du marché, fera l’objet d’une conférence publique fin mars dans le cadre du partenariat entre Drouot et la mairie du 9e arrondissement, et d’un rapport à paraître courant 2016 qui sera publié en tirage limité.

Michel COSTE, expert indépendant assuré pour le marché du 9e art

Galerie

Une réponse à Contribution à l’étude du 9e art dans les ventes aux enchères en Europe, en 2015

  1. PH LENFANT dit :

    Bonjour,
    pourrez vous me signaler où se procurer votre étude mentionnée à paraître courant 2016? merci

Répondre à PH LENFANT Annuler la réponse.

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