« Le Cheval d’orgueil » : entretien avec Marc Lizano et Bertrand Galic

C’est en 1975 que sortit le livre de Pierre-Jakez Hélias « Le Cheval d’orgueil », dans la très renommée collection Terre humaine dirigée par Jean Malaurie. Immense succès éditorial dès sa parution, cet ouvrage raconte les souvenirs d’enfance de l’auteur durant l’entre-deux-guerres en pays bigouden. Adapté au cinéma par Claude Chabrol en 1980, c’est au tour de Bertrand Galic et Marc Lizano de nous offrir une merveilleuse version en bande dessinée.

Pierre-Jakez Hélias par Marc Lizano

 Pouldreuzic, une fin de journée de 1920. Alain Le Goff vient chercher son petit-fils, Pierre, à la sortie de l’école. Le vieil homme est tracassé par une rencontre faite un peu plus tôt dans la journée, rencontre si exceptionnelle qu’il n’ose en parler à son petit-fils. Pressé par le jeune Pierre-Jakez, son grand-père lui avoue avoir croisé une poulette inquiète de ne pas arriver à l’heure à son mariage, un cochon devant assurer l’ambiance musicale à cette noce, un renard cherchant à se faire inviter aux épousailles et le coq, futur marié aux prises avec sa montre, lui aussi en retard. Amusé par l’histoire, le jeune Pierre-Jakez Hélias demande alors à son aïeul de lui raconter le mariage de ses parents, Pierre-Alain Hélias et Marie-Jeanne Le Goff.

C’est avec la réponse de son grand-père que nous entrons de plain-pied dans l’histoire de cette famille bretonne au tournant de la société rurale française. Naviguant entre différents mondes (celui des « culs blancs » et des « verges rouges », celui des traditions bretonnes à la maison et de la culture républicaine à l’école, de la Bretagne terrestre et de la Bretagne du bord de mer), l’apprentissage du jeune Pierre-Jakez, de l’école primaire de Pouldreuzic au lycée de Quimper, est un questionnement incessant sur l’importance de ses racines.

Toute la parenté du petit Per-Jakez le pousse aux études afin d’échapper à la misère, la chienne du monde. Mais si ses grands-parents lui apprennent les contes et histoires bretonnes, ils lui inculquent aussi les valeurs de courage, d’honneur et de dignité. Tout autant qu’un témoignage sur la société bretonne, il s’agit aussi d’un livre sur la fondation d’une identité, sur la transmission.

Marc Lizano.

Il n’est donc pas étonnant de retrouver pour cette adaptation Marc Lizano, lequel a déjà interrogé ces thèmes au sein d’ouvrages précédents : « La Petite Famille », « L’Enfant cachée »… Il s’est associé pour cette adaptation à Bertrand Galic, par ailleurs professeur d’histoire qui voit, avec ce livre, son premier scénario publié.

La Bretagne est un grand territoire, comment vous êtes-vous rencontrés ?

Marc Lizano : Tout simplement lors d’un festival de bande dessinée à Loperhet, dans le Finistère. Bertrand participait à ce salon en tant qu’organisateur et m’avait invité pour une exposition des planches de « L’Île aux 30 cercueils » (parue elle aussi chez Soleil/Noctambule, l’éditeur de notre adaptation du « Cheval d’orgueil »).

Bertrand Galic : Nous nous sommes revus quelques semaines plus tard… Et, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’idée avait bien mûri dans nos petites têtes respectives. Nous avons alors décidé de constituer un dossier et de démarcher les éditeurs.

Bertrand Galic.

De quelle manière avez-vous décidé d’adapter ce livre mythique ?

M.L. : Après les rencontres scolaires, le jour précédent le salon, nous avons mangé ensemble, avec Joël Legars, lui aussi présent, et avons évoqué la possibilité d’adapter « Le Cheval d’orgueil ». Une idée un peu « en l’air » qui est devenue un livre aujourd’hui.

B.G.  : Bien sûr, nous nous sommes beaucoup documentés et nous avons consulté les spécialistes les plus pointus… mais l’aspect ethnographique de l’œuvre, aussi important soit-il, n’est pas ce qui prime, à nos yeux. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il s’agit ici d’une adaptation libre, de la traduction d’un lot d’émotions, d’un ressenti.

Ce qui nous intéresse, plus que tout, c’est le regard de cet enfant sur son monde. Pierre-Jakez Hélias écrit comme un poète et décrit comme un peintre. Voilà ce qui nous a touchés et dont nous voulions absolument rendre compte.

Vous avez mis en ligne une partie de votre documentation. Avez-vous eu des retours sur votre travail par son biais ?

M.L. : Principalement des demandes d’interviews de journalistes, mais les infos sur le site serviront avant tout aux enseignants et aux lecteurs les plus curieux !

Il a été difficile de choisir dans le nombre d’anecdotes, d’histoires du livre original, non ?

M.L. : Là, je laisse Bertrand répondre, c’est sa part.

B.G. : Effectivement… « Le Cheval d’orgueil » est un livre-monde, un monument de plus de 600 pages plus riches les unes que les autres. Il a donc fallu effectuer des choix, pour des questions de format. C’est le jeu, un peu cruel, dans ces cas-là.

Pensez-vous qu’en traitant de l’enfance, un auteur touche à quelque chose d’universel ? Que cela peut réveiller chez le lecteur des souvenirs de sa propre jeunesse ?

M.L. : D’une manière ou d’une autre, probablement. Dans ce livre, il est avant tout question de partage et de transmission.

B.G. : L’enfance… Sujet sensible et délicat qui renvoie fatalement l’adulte à sa propre histoire, à sa propre condition. Je pense que chaque lecteur du « Cheval d’orgueil » pourra trouver dans le parcours du petit Pierre quelque chose qui lui parlera directement.

La renommée du « Cheval d’orgueil » vous a-t-elle intimidés ?

M.L. : Cela aurait sans doute dû, mais, pour être honnête, pas tellement. Le livre de Hélias n’a pas besoin, et n’aura pas besoin de nous, pour exister. C’est une autre forme de « lecture », une adaptation. Nous avons eu la chance d’avoir été accueillis, nous et notre projet, avec beaucoup de bienveillance par la famille. Et, nous le voyons aujourd’hui, par les lecteurs aussi.

B.G : Je rejoins les propos de Marc, mais il n’empêche qu’adapter un ouvrage comme « Le Cheval d’orgueil » constitue tout de même un sacré défi. Disons que celui-ci nous a davantage stimulés qu’effrayés.

Espérez-vous toucher un nouveau public avec cette adaptation ?

M.L. : Je ne sais pas… Je dois dire que je ne sais jamais trop comment penser cette question du public. C’est très mystérieux, les personnes qui lisent nos livres. On ne les voit que par des chiffres de ventes, ce qui est très abstrait, ou pendant les rencontres, en dédicaces, ce qui ne représente qu’une partie des lecteurs. C’est mystérieux et plaisant.

Bertrand, « Le Cheval d’orgueil » est votre première parution comme scénariste, mais d’autres titres doivent sortir dans l’année à venir. Pourriez-vous nous les présenter ?

B.G. : Si tout se passe comme prévu, j’aurai effectivement trois sorties en 2016. Dès le mois d’avril, « Un maillot pour l’Algérie » paraîtra aux éditions Dupuis, dans la collection Aire libre. Sur ce projet, je suis en co-scénario avec le camarade Kris, l’excellent Javi Rey se chargeant du dessin. Le récit évoque la naissance et les premiers pas de l’équipe nationale algérienne de football, dans un contexte particulièrement douloureux : celui de la guerre d’Algérie. Il s’agit d’un récit profondément humain où le sport et la grande Histoire se rencontrent, font ensemble un incroyable bout de chemin.

À la fin de l’été, Kris et moi-même allons récidiver, pour un album programmé aux éditions Futuropolis. Celui-ci évoquera l’affaire du C2, sous-marin républicain venant se réfugier dans le port de Brest en pleine guerre d’Espagne, et qu’un commando de barbouzes à la solde de Franco tentera de récupérer. C’est une histoire tirée de faits réels, dessinée par Damien Cuvillier.

Enfin, « Le Voyage à Laputa » devrait sortir en décembre, aux éditions Soleil/Noctambule. Il s’agira d’une adaptation libre, réalisée avec Paul Echegoyen, du troisième « Voyage de Gulliver ».

Pour vous, Marc, « La Pension Moreau » sera votre prochaine parution. Vous travaillez sur d’autres projets, des envies ?

M.L. : « La pension Moreau » sera en trois tomes, avec Benoît Broyart, un auteur jeunesse, et sera publiée aux éditions de la Gouttière. J’ai beaucoup d’envies et de projets, mais j’en parlerai quand ils seront un peu plus avancés.

 Il est en tout cas question d’un projet autour de la Commune de Paris, avec une auteure de romans, Carole Trébor (« Nina Volkovitch », « U4 Jules »), qui devrait s’appeler « Le Moineau de la Commune ». Mais, pour le moment, je termine les crayonnés de « La Pension » tome 1 qui, je l’espère, sortira avant l’été 2016.

Mille mercis enchantés à Marc et Bertrand pour leurs réponses.

 Brigh BARBER

Mise en pages : Gilles RATIER

« Le Cheval d’orgueil » par Marc Lizano et Bertrand Galic

Éditions Soleil/Noctambule (17, 95 €) — ISBN : 978-2-302-04794-5

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