« Lefranc T26 : Mission Antarctique » par Christophe Alvès et François Corteggiani

Inscrit dans le contexte de la guerre froide depuis son apparition dans « La Grande menace » en 1952, le reporter Guy Lefranc (créé par Jacques Martin) s’est parfois risqué dans des aventures plus contemporaines, au fil des 25 titres déjà parus. Pour l’actuel « Lefranc T26 : Mission Antarctique », le scénariste François Corteggiani et le dessinateur Christophe Alvès replongent aux sources du grand récit d’espionnage mâtiné de science-fiction, autour du mythe des OVNIS du IIIe Reich. En compagnie d’Axel Borg et à la demande du MI5, Lefranc est chargé de s’emparer des plans d’une redoutable arme secrète élaborée par des néo-nazis, entre Prague et une base polaire située dans la Nouvelle-Souabe. Guerre froide, avez-vous dit ?

Première planche (crayonné par C. Alvès) et couleurs par Bonaventure Corteggiani (Casterman 2015)

Disparu en janvier 2010, Jacques Martin laissait à ses héritiers une œuvre immense, composée principalement d’ « Alix » (né en 1948 ; 28 titres parus du vivant de l’auteur et 6 autres depuis 2010 dont « Par delà le Styx » en novembre 2015, par Mathieu Breda et Marc Jailloux), des « Voyages d’Alix » (39 titres), de « Jhen » (parution en novembre du 15ème titre, « Les Portes de fer », par Jean-Luc Cornette, Paul Teng et Jerry Frissen), des « Voyages de Jhen » (16 titres parus) et donc de « Lefranc ». Afin de gérer, perpétuer et stabiliser ce précieux héritage, a été mis en place depuis 2009 un Comité Martin (composé notamment de Jimmy Van den Hautte et Arnaud de la Croix, les éditeurs de Jacques Martin chez Casterman), notamment chargé de valider des projets scénaristiques concoctés à partir des synopsis ou des idées laissées par le maître de la bande dessinée historique. C’est ainsi que François Corteggiani, déjà à l’œuvre chez Dargaud sur « La Jeunesse de Blueberry » (du tome 7 au tome 21 (à paraître en décembre), entre 1992 et 2015), avait pu réaliser en 2012 pour Casterman « Alix T31 : L’Ombre de Sarapis », dessiné par Marco Venanzi. Désireux de dédoubler les équipes responsables des grandes séries, le comité a pour le moment délégué à Mathieu Breda et Marc Jailloux la responsabilité des aventures d’« Alix », tandis qu’au moins deux duos d’auteurs se voient confier celles de « Lefranc » depuis le tome 23 : Thierry Robberecht puis Roger Seiter et Régric d’un côté (« L’Éternel Shogun » en 2012, « L’Enfant Staline » en 2013, « Cuba libre » en 2014 et une prochaine aventure située aux environs de l’Ile de Pâques pour 2016), Corteggiani et Alvès de l’autre.

Crayonné de la planche 17, contenant un hommage à un autre fameux reporter...

Un riche programme ! (Extrait du dossier de presse Casterman de novembre 2015)

Initialement prévu pour 2012, « Mission Antarctique » débutait à Istanbul en 1955 et constituait une suite assez immédiate à l’album « Lefranc T19 : Londres en péril » paru en 2008 (André Taymans et Erwin Drèze). Repoussé par conséquent jusqu’en 2015, il aura connu quelques modifications scénaristiques, dont une introduction se déroulant toujours en 1955 mais désormais… à Prague. Ayant déjà arpenté quelques régions froides ou enneigées (la Suisse et le Valais et dans « Le Mystère Borg » (1965) et « Le Repaire du loup » (1974), l’Union soviétique dans « L’Enfant Staline »), Lefranc n’avait encore jamais exploré le continent austral.

Première et seconde versions du storyboard par F. Corteggiani, d'Istanbul à Prague

Propositions de couvertures par F. Corteggiani

Comme nous l’indique le premier plat, notre héros est donc confronté à un mythe devenu bien réel : soit cette théorie – apparue dans les années 1950 – voulant que le Troisième Reich ait non seulement construit depuis 1936 des bases secrètes cachées au pôle sud mais aussi des armes et engins extraordinaires (« Wunderwaffen », et nous renvoyons nos lecteurs à la série éponyme…). Reposant sur la croyance en la survie d’Hitler (quelque part entre Amérique du Sud et Antarctique), les preuves de l’existence de plans et développements d’appareils à décollage vertical et bien sûr les innovations de l’aérospatiale alors naissante, la « légende du V7 » fit les beaux jours de nombreux canevas romancés : au-delà du mystère extraterrestre (qui pose pour sa part d’authentiques questions scientifiques), on renverra par exemple les amateurs d’ufologie à la série BD « Le Grand jeu » (Pécau et Pilipovic, Delcourt ; 6 tomes entre 2007 et 2013), aux séries télévisuelles « X-Files » (« Projet Arctique » dans la saison 1 en 1993) et « The Event » ou au film « The Thing » (Carpenter, 1982), lui-même inspiré par une nouvelle horrifique de John Campbell parue…en 1955 !

La Nouvelle-Souabe (en rouge) en Antarctique

Une géographie polaire au cœur de l'intrigue (Casterman - 2015)

Recherches de couverture par C. Alves : " Le comité Martin préférait une ambiance de neige, d’extérieur, j’ai travaillé dans ce sens."

" Ma préférence allait pour le dirigeable qui, à mon avis, donnait plus de mystère, était plus intrigant. J’ai travaillé le crayonné dans cette optique. Le comité Martin voulait plutôt la soucoupe volante pour un impact commercial plus important. Il a donc fallu adapter le crayonné."

Que s’est-il concrètement et réellement passé du côté de l’Antarctique pendant la Seconde Guerre mondiale ? Tout au plus savons-nous qu’entre 1901 et 1938, puis de 1939 à 1945 l’Allemagne tente d’explorer puis de revendiquer la Nouvelle-Souabe, zone du nord-antarctique couvrant une superficie de 600 000 km². Une base (terrestre et sous-marine) a-t-elle existé et une puissante expédition britannique (commandée par l’amiral Richard Byrd et composée – tout de même – de 5 000 hommes, d’un porte-avions et de sous-marins) tenta-t-elle de la détruire en 1946-1947, sans succès ? Des expériences technologiques secrètes y furent-elles menées (rappelons en parallèle la vague d’observations d’ovnis aux USA à partir de 1946) ? Seules les archives gouvernementales (et parfois l’imaginaire des auteurs ou des férus de thèses conspirationnistes) détiennent à priori les réponses… « Mission Antarctique » fait néanmoins assurément partie de ces intrigants « Lefranc », qui savent questionner habilement leurs lecteurs sous la couverture et le charme d’une fiction à l’ancienne, digne d’une série Z.

Crayonné préparatoire : "Je voulais un ciel lourd pour dramatiser la scène."

Encrage finalisé, sans bandeau

Couleurs et indications de maquette : " La composition de l’image a été pensée dès le crayonné en fonction des trois points « chauds » de l’image, les rectangles en rouge en haut, et le drapeau au milieu, en bas. Ce dernier attire l’attention sur le personnage énigmatique."

Version finalisée : " Pour des raisons commerciales, la couleur proposée pour le bandeau a été jugée trop « froide », d’où la version définitive de l’album avec la couleur orange pâle proposée par la maquettiste."

Philippe TOMBLAINE

« Lefranc T26 : Mission Antarctique » par Christophe Alves et François Corteggiani
Éditions Casterman (11, 50 €) – ISBN : 978-2203045187

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