« La Grande Odalisque T1 et T2 (« Olympia ») par Jérôme Mulot, Florent Ruppert et Bastien Vivès

Après un premier ouvrage paru en septembre 2012 dans la collection Aire libre (Dupuis), Jérôme Mulot, Florent Ruppert et Bastien Vivès relancent leur trio de braqueuses de haut vol dans « La Grande Odalisque T2 : Olympia » (paru le 16 octobre). Comme l’indique ce titre, Alex, Sam et Carole vont de nouveau devoir viser un sommet artistique. Quittées en mauvaise posture après le périlleux cambriolage du Louvre et la disparition de Carole, elles reprennent donc du service pour une nouvelle mission aux frontières de l’impossible : le vol de trois tableaux, parmi lesquels l’« Olympia » de Manet, exceptionnellement exposé au Petit Palais à Paris. Récit d’aventure haletant et surprenant, « La Grande Odalisque » fait assurément – et dès sa couverture – tomber des nues ses lecteurs !

Encrage de la planche 2 du tome 1 et couleurs par Isabelle Merlet (Dupuis, 2012)

Ce titre rassemble comme nous l’avons dit Jérôme Mulot et Florent Ruppert (tous deux scénaristes et dessinateurs pour L’Association dans les collectifs L’Éprouvette et Lapin) ainsi que Jérôme mulot, Florent Ruppert et Bastien Vivès, révélation du Festival d’Angoulême en 2009 (« Le Goût du chlore ») remis à l’honneur en 2012 et 2013 avec le succès de « Polina », puis le lancement du manga « Lastman » chez Casterman (7ème tome paru en août 2015 ; adaptation en dessin animé à paraître dès janvier 2016 sur France 4). N’oublions pas de signaler les très belles ambiances adjointes aux planches originelles grâce aux couleurs d’Isabelle Merlet (c’est également elle qui a colorisé des titres ou séries comme « La Croix de Cazenac », « Le Chant des Stryges », « Svoboda ! » ou « Les Voleurs de Carthage »).

Couverture du tome 1

Le vol d'un autre fameux tableau au musée d'Orsay (planche 4 du tome 1)

Sans peur mais pas exemptes de reproches, nos trois voleuses (qui commentent avec un humour grinçant aussi bien leurs actions intrépides, leurs ratages sentimentaux et leurs désirs sexuels que leurs angoisses ou leurs plans de carrière…) font immédiatement référence aux (sexy !) classiques du genre : les trois sœurs Kisugi dans « Cat’s Eye » (manga de Tsukasa Hōjō prépublié dans le magazine Weekly Shōnen Jump entre 1981 et 1985 ; adaptation animée en deux saisons sous le titre « Signé Cat’Eye » entre juillet 1983 et juillet 1985) ou fort évidemment les célébrissimes « Drôles de dames » (116 épisodes de 50 minutes, série TV créée par Ivan Goff et Ben Roberts et diffusée entre mars 1976 et juin 1981 sur le réseau ABC), qui feront l’objet de deux films en 2002 et 2003, avec les virevoltantes actrices Cameron Diaz, Drew Barrymore et Lucy Liu.

Première planche du tome 2 (Dupuis, 2015)

Dans « La Grande Odalisque », tout est prétexte à l’éclatement du genre aventureux : invraisemblance des actions, décomposition du mouvement et temps ralenti, action inattendue, commentaire cru et cynique. La où le braquage de haut vol nécessite d’ordinaire (selon les lois romanesques et cinématographiques du genre) des heures de repérage, d’étude des plans et une application cadrée au millimètre, nos héroïnes nous offrent à l’inverse cascades, mitraillages et courte-poursuite ultime dans les salles du Louvre, contre le GIGN !

La mise en avant de l’art et la manière (plus que la réalité formelle) est annoncée directement par le titre « La Grande Odalisque », référence au tableau peint en 1814 par Ingres, célèbre pour sa déformation : dans cette scène orientaliste représentant une femme du harem, on remarque au premier abord le dos particulièrement long (trois vertèbres supplémentaires sont présentes) et l’angle peu naturel formé par la jambe gauche. Ingres a préféré volontairement sacrifier la vraisemblance à la beauté. Le titre du deuxième tome, « Olympia », fait quant à lui référence au tableau réalisé par Édouard Manet en 1863 (actuellement conservé au musée d’Orsay), qui représente une jeune femme nue d’une blafarde nudité, le pied gauche encore chaussé d’une mule, allongée sur un divan et un châle de cachemire blanc.

La Grande Odalisque (Ingres, 1814 ; Musée du Louvre)

Olympia par Manet (1865 ; musée d'Orsay)

En couverture, à chaque fois, une des trois héroïnes, nue, semble en extrême difficulté : l’une (la brune Sam ?) comme l’autre (la rousse Alex) semble se sacrifier ou tenter l’impossible (alléger l’hélicoptère, remonter à la surface depuis le sas d’un sous-marin pour chercher de l’aide) dans une posture improbable, saisie sur le vif (la chute ou le mouvement de nage) entre deux éléments (air et eau), face à la mort (menace de chute fatale ou de noyade). Surtout, si la nudité féminine renvoie directement le spectateur aux cadres des deux tableaux évoqués, elle suggère essentiellement la fragilité des personnages (le trio est soudé, comme l’indique le geste ou le cri désespéré, mais aussi coupable, voire irresponsable et meurtrier), par un effet de contraste assez violent opposant les corps et les engins mécaniques (hélicoptère ou sous-marin). Dans cet exercice permanent de « Haute voltige » (film de Jon Amiel (1999) dans lequel excellaient Sean Connery et Catherine Zeta-Jones), concluons que l’imaginaire abstrait permet de relier, au fil des cases et des dialogues, monde de l’Art et réalités du quotidien : l’aventure traditionnelle, désormais assortie d’humour noir et d’une mise en avant féministe, cède le pas aux émotions et aux effets (potentiellement morbides) de sa propre représentation, entre jeu des allusions et conquête des illusions (littéralement, puisque le but est bien le vol des tableaux).

C’est décidément tout un art que la BD !

Braquage de haut vol (planche 21 du tome 1 ; Dupuis, 2012)

Philippe TOMBLAINE

« La Grande Odalisque T1 » et « T2 : Olympia » par Jérôme Mulot, Florent Ruppert et Bastien Vivès
Éditions Dupuis (20, 50 €) - ISBN : 978-2800155739, ISBN : 978-2800163437

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