« Last Hero Inuyashiki » T1 par Hiroya Oku

Au Japon, les héros de mangas sont quasiment toujours jeunes, beaux et souvent lisses. Ils correspondent à leur public cible. Avec « Last Hero Inuyashiki », Hiroya Oku propose une œuvre décalée où le protagoniste principal n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’étudiant que l’on aperçoit au côté de monsieur Inuyashiki, mais bien ce vieillard en phase terminale. Après « Gantz », voici la nouvelle série SF de ce mangaka méticuleux qui améliore encore son graphisme de page en page.

Monsieur Inuyashiki n’est pas aussi âgé que son attitude et son corps peuvent le laisser croire. À 58 ans, il a une petite carrière de salarié derrière lui, ce qui l’a complètement usé. À tel point que sa propre fille, une adolescente ayant honte de lui, le présente comme son grand-père. Il a pourtant tout sacrifié pour sa famille. À la fois son temps, mais aussi ses économies, afin d’offrir le meilleur à sa femme, sa fille et son fils.

Aujourd’hui est d’ailleurs un grand jour, la famille déménage dans la nouvelle maison que Monsieur Inuyashiki vient d’acquérir. Oh, ce n’est pas la belle bâtisse moderne au bord de la rue, mais bien celle se trouvant derrière, dans l’ombre. Elle est modeste, c’est peu de le dire, mais c’est tout ce que ce salarié pouvait s’offrir. Lui est heureux, il est enfin propriétaire, ses enfants sont déçus, sa femme résignée. Délaissé par les siens, il décide de se trouver un vrai ami fidèle, un chien, ça lui fera un peu de compagnies et peut être un nouveau but dans la vie. Mais le pire est à venir, les résultats de ses examens médicaux tombent : le médecin ne lui donne plus que trois mois à vivre, il a un cancer en phase terminale. De retour chez lui, il n’arrive pas à placer un mot afin d’annoncer la terrible nouvelle à ses proches. De tout de façon, ils ne se soucient guère de lui.

Prostré dans un parc alors qu’il promène son chien, il est le témoin d’un fait bien étrange : une chose vient de s’écraser en face de lui, le réduisant en poussière. Mais, les extraterrestres responsables de ce crash veulent rester discrets. Ils reconstruisent donc le vieillard à l’identique, grâce à une technologie bien plus évoluée que la nôtre. Sauf que, si son aspect extérieur peut tromper son monde, à l’intérieur, il est devenu une vraie machine de guerre. Une fois la stupéfaction passée, il décide de mettre sa nouvelle identité et ses nouveaux pouvoirs au service du bien. Malheureusement, le jeune qui se trouvait à côté de lui au moment de l’impact en a apparemment décidé tout autrement. Avec ce nouveau corps arrivent de nouvelles responsabilités qu’il va falloir gérer. Comme si M. Inuyashiki avait besoin de ça.

Déjà connu pour sa série de science-fiction guerrière « Gantz », Hiroya Oku revient donc avec un projet bien surprenant. « Last Hero Inuyashiki » fait d’un antihéros son personnage principal. Un vieillard à l’opposé de ce que l’on pourrait imaginer comme identité pour une machine de guerre sophistiquée. Cet employé de bureau minable, méprisé de tous, y compris sa famille, va voir son destin changé du jour au lendemain. Heureusement, il va se ranger du côté des opprimés et essayer de faire les bons choix pour se sentir mieux dans sa vie.

Il a fallu treize années et trente-sept tomes pour voir la fin de « Gantz ». Devenu un auteur incontournable de la SF contemporaine au Japon avec ce titre, Hiroya Oku devait se renouveler. À contrepied des stéréotypes du genre, il a créé une œuvre qui est prenante dès les premières pages. Son propos est clair et cynique sans tomber dans le pathos. Le traitement hyper réaliste du dessin offre une dimension supplémentaire au récit. Que ce soit dans les décors ou les personnages, la vérité crue de notre monde nous saute au visage. Pour arriver à ce rendu, Hiroya Oku travaille avec son studio en donnant à ses assistants des indications graphiques préalablement élaborées avec un logiciel 3D de son cru. Cela permet un meilleur positionnement des protagonistes dans le décor et surtout une uniformité artistique entre tous les dessinateurs de l’atelier. Perfectionnistes, ses scènes ont, de ce fait, une profondeur et un jeu de lumière poussé. Les personnages sont tous très différents et les lieux sont immédiatement identifiables. Ce ne sont pas de simples esquisses comme dans certains manga. Mais toute cette technique ne reste qu’un outil au service du dessinateur et de son crayon. Le but n’étant pas de seulement se simplifier la tâche, mais d’uniformiser, vers le haut, le travail graphique. Véritable bourreau de travail, Hiroya Oku n’a de cesse d’améliorer sa technique pour le plaisir de ses lecteurs.

Peu d’œuvres ont fait le pari de mettre en scène nos anciens. Peu dynamiques, ils sont souvent représentatifs des ratés de nos sociétés modernes. Bien évidement on garde en mémoire l’œuvre de Katsuhiro Otomo qui dans les années 1980/1990, avait placé les personnes âgées au centre de la plupart de ses récits, dont son best-seller « Akira ». On lui doit entre autres « Roujin Z »(1), une fable épique ou un vieillard grabataire prend le contrôle d’une machine robotisée censé le soigner. Il s’en suit, une pagaille monstre représentative des défauts de jugement du gouvernement. À l’heure où le festival de la bande dessinée d’Angoulême a sacré ce Japonais en le choisissant comme président pour son édition 2016, Hiroya Oku nous propose une réflexion sur la vieillesse et le manque de prise de conscience sur la vie de ces aînés. Son propos n’est pas politique, mais une simple constatation de la situation actuelle, peu enviable, d’une certaine partit de la population à qui il offre une belle revanche.

Ce premier volume de « Last Hero Inuyashiki » commence lentement en nous présentant ce salarié mal aimé et taciturne. Puis le lecteur avance tranquillement vers la découverte de ce nouveau corps robotisé. Le vieillard semble encore plus surpris que nous, simple spectateur des événements à venir. Le suspens final nous promet un second tome aussi prenant et plein de surprises. On fait confiance à Hiroya Oku pour nous maintenir en haleine pendant encore de nombreux volumes.

Gwenaël JACQUET

« Last Hero Inuyashiki » T1 par Hiroya Oku
Éditions Ki-oon (7,90 €) – ISBN: 9782355928581

(1) Scénarisé par Katsuhiro Otomo, le film d’animation « Roujin Z », a été réalisé par Hiroyuki Kitakubo en 1991. Un manga, toujours scénarisé par Otomo, mais dessiné par Amina Okada, en a été tiré. La population mondiale vieillissante pose de plus en plus de problèmes aux gouvernements. Pour pallier le manque de main-d’oeuvre jeune et vigoureuse, le projet Z-001 a été mis en place. Cette machine robotique étant censée remplacer l’humain dans les tâches de soin les plus répétitives. Kijûrô Takazawa, un vieillard impotent est désigné comme cobaye pour tester le robot. Si son corps ne répond plus, il garde sa tête et aurait préféré qu’Haruko, son ancienne infirmière, reste auprès de lui. Cette machine, censée combler ses besoins finis par devenir dangereuse et affole le gouvernement japonais, qui aura bien du mal à apaiser les choses sans l’aide de la jeune infirmière.

 

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Une réponse à « Last Hero Inuyashiki » T1 par Hiroya Oku

  1. Capitaine Kérosène dit :

    Merci pour cette chronique.
    C’est bien tentant, mais les récits à rallonge ont le don de me décourager. Je me suis lassé de Gantz, de Zipang ou de Coq de Combat pour cette raison, l’impression de n’en jamais voir le bout.
    Sait-ton déjà si cette nouvelle série est prévue, elle aussi, pour durer 13 ans ?

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