« Sangsues » T1 par Daisuke Imai

Les mondes parallèles restent l’apanage de la science-fiction. Pourtant, il existe des cas bien réels ou des humains trouvent le moyen de vivre dans en marge de la société, tout en étant à nos côtés. Pour la collectivité, ces gens n’existent plus, puisqu’ils sont, la plupart du temps, censés être décédés. Du coup, cela les oblige à vivre aux crochets de leurs concitoyens en se faisant le plus discret possible. C’est ce qui explique que l’on peut les qualifier de sangsues, et c’est le thème de ce manga.

Yoko est une jeune fille ordinaire de 21 ans. Aujourd’hui, elle vit au rythme d’autres personnes. Lorsqu’elle repère un appartement vacant, elle se débrouille pour en avoir le double des clés et le squatter jusqu’au retour de son propriétaire. Ainsi, elle va naviguer de logement en logement au gré de la journée. Elle prend soin de ne rien déranger, et pourtant, n’hésite pas à se servir avec parcimonie dans le réfrigérateur de ses victimes. Jusqu’ici, tout se passait bien, avant qu’elle ne se fasse surprendre par un autre squatter. C’est là qu’elle découvre le terme de sangsue et les contraintes qui régissent cet art de vivre aux crochets des travailleurs. Alors que jusque-là elle était invisible, elle va s’engouffrer dans un nouveau monde avec ses propres codes et ses conflits.

Les pages couleur ont été conservées dans l’édition française.

Ce premier volume d’une série de cinq met en avant la vie de Yoko, jeune néophyte dans le monde des sangsues. Ce principe classique, où le lecteur pénètre en même temps que l’héroïne dans le monde qui l’entoure, permet de créer une vraie connivence. On a réellement la sensation que tout ce qui est égrené au fil des pages fait avancer l’histoire.

Avec cette première œuvre, Daisuke Imai se classe immédiatement parmi les grands auteurs. Sa maîtrise de la construction narrative lui permet de créer une intrigue aux rebondissements multiples et vraiment inattendus. À aucun moment, il ne cherche à compliquer inutilement son récit. Tout est limpide et très bien amené, tout en ménageant un suspense bienvenu. Évidemment, un bon scénario ne serait rien sans un bon dessin. C’est aussi le cas, puisque ce néophyte excelle dans sa représentation de la lumière avec des ombres franches. Ce n’est pas l’univers sombre de Frank Miller ou Atsushi Kaneko, mais un monde plutôt ensoleillé. Comme celui d’une belle journée d’été ou le soleil taperait bien fort, ce qui est souvent le cas au Japon.

Pour une première BD publiée, c’est un coup de maître. Daisuke Imai a réalisé ce manga alors qu’il avait 30 ans (en 2011), et cette maturité se ressent bien évidemment dans le dessin et l’histoire, mais également dans les sujets évoqués. Il est clairement à l’écoute des problèmes de société actuels. Sa vision du monde n’est pas en noir et blanc, contrairement à son dessin. « Sangsues » n’est pourtant pas un simple pamphlet politique sur la crise du logement ou le mal-être identitaire de certains humains. Ce thriller offre plusieurs niveaux de divertissement et de réflexion, ce qui le rend encore plus attrayant.

Si les premières pages, assez légères, posent la basse de l’intrigue, on comprend vite, avec les derniers chapitres, que les sangsues vont s’affronter dans une guerre de territoires sanglante. Ce qui semblait être la simple tranche de vie d’une jeune fille un peu paumée va monter en puissance au fil de ce premier volume, pour devenir un vrai thriller. Yoko a clairement mis les pieds dans un monde qu’elle ne soupçonnait pas.

Les couvertures japonaises de « Sangsues » (titré « Hiru » au Japon) sont très différentes de l’édition française en bichromie. Ici, les couleurs aquarellées dominent, et l’ambiance est bien plus joyeuse et moins oppressante.

Aujourd’hui, Daisuke Imai vient de commencer deux nouvelles séries au Japon. Ou, plutôt, une même histoire d’amour racontée selon deux points de vue diamétralement opposés. Sous le titre « Koto Koto » nous découvrons simultanément la vision de Yukichi dans Young Champion, ainsi que celui de Chihiro dans Manga Action, tous deux publiés chez Akita Shoten. Une approche innovante de la narration où chaque histoire peut se lire indépendamment l’une de l’autre, mais où les recoupements offrent une troisième lecture instructive. Cet auteur n’a visiblement pas fini de nous surprendre. En attendant, n’hésitez pas à vous plonger dans le monde de « Sangsues », encore une très belle découverte du label Sakka des éditions Casterman.

Les premières pages couleurs de « Koto Koto - Yukichi no Koto » (à propos de Yukichi) ont été publiées le 24 février 2015 dans Young Champion et celles de « Koto Koto - Chihiro no Koto » (à propos de Chihiro) dans Manga Action, le 3 mars 2015.

Gwenaël JACQUET

« Sangsues » T1 par Daisuke Imai
Éditions Casterman (7,95 €) – ISBN : 2203095369

HIRU © Daisuke Imai 2011 / SHINCHOSHA PUBLISHING CO.

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