« Embarqué, carnets marins dans le jardin du commandant » : en mer avec Christian Cailleaux !

Cet album est le résultat des derniers voyages maritimes de Christian Cailleaux. Ce n’est pas la première fois que le travail de cet illustrateur nous emmène en mer. Ses deux collaborations avec Bernard Giraudeau nous gratifièrent de deux albums aux parfums d’embruns : « R97, les hommes à terre » chez Casterman et « Les Longues traversées » chez Dupuis. La fréquentation du monde des marins pour la création de ces deux ouvrages fit naître chez Christian Cailleaux de nombreuses interrogations. Pour y répondre, il s’élança de nouveau sur (et sous) les mers et océans du globe, afin d’interroger in situ de nombreux acteurs de ce monde souvent idéalisé.

 

 

Des motivations des jeunes gens entrant au Centre d’instruction naval de Brest, des capitaines, officiers et matelots œuvrant pour des missions scientifiques ou militaires jusqu’à la présidente de la Commission de défense à l’Assemblée nationale au sujet du rôle de la Marine nationale dans la dissuasion nucléaire, toutes ces personnes répondent aux questions de ce dessinateur curieux. Nous partageons alors les désirs, les doutes des  professionnels rencontrés et découvrons des aspects économiques, politiques liés à la mer.
À la diversité des réponses, Christian Cailleaux combine de nombreuses techniques graphiques (croquis, schémas, aquarelles, peintures…) toujours accompagnées de l’élégance propre à son trait. Nous touchons ainsi des yeux à la beauté sauvage de la mer, au mouvement des vagues. Les pages de cet album nous offrent généreusement et humainement, un documentaire d’une grande érudition poétique.

 

Vous avez embarqué à bord de La Jeanne d’Arc avec Bernard Giraudeau pour la préparation de « R97 », puis sur la frégate de surveillance Floréal pour un reportage publié dans le premier numéro de La Revue dessinée, à quel moment avez-vous décidé de faire un livre de toutes ces expériences ?

Quasiment aussitôt.

Concrètement, les responsables de La Revue dessinée m’avaient contacté dans la phase préparatoire de leur premier numéro et, comme par hasard, environ quinze jours avant leur appel, on m’avait proposé de naviguer sur Le Floréal. La Revue tenait son grand reportage maritime.

À mon retour, Alain David (mon éditeur chez Futuropolis) a vu tout mon travail et m’a proposé d’en faire un livre. J’avais dans l’idée de faire une fiction de ce matériel accumulé, finalement c’est devenu un grand reportage dessiné.

Christian Cailleaux à bord de La Jeanne d'Arc.

L’article sur la patrouille dans les T.A.A.F. (Terres australes et antarctiques françaises) fut publié à l’automne 2013, avez-vous eu des retours des marins du Floréal ?

Très peu. J’ai eu des échanges avec deux officiers, un pilote d’hélicoptère… En tout cas, personne n’a été fâché.

J’ai eu aussi beaucoup de chouettes retours avec « R97 ».

 

Les témoignages que vous rapportez sont intéressants. Nous sentons un réel intérêt chez vos interlocuteurs d’expliquer leurs métiers, leurs motivations. Vous a-t-il été facile de les convaincre de participer à cette enquête ?

C’est justement avec « R97 » et par ma collaboration avec Bernard Giraudeau, qui avait le titre officiel d’écrivain de marine, que les portes de la Marine nationale se sont ouvertes. Je suis resté en contact avec plein de monde à la suite de cet album, certains marins amateurs de bandes dessinées connaissaient mon travail. Du coup, j’ai eu pas mal de propositions spontanées d’embarquement.

Une fois à bord, passé les deux-trois jours de jauge, une fois que l’équipage a compris que j’étais quelqu’un de correct, ils ont été ravis de partager leurs vies. Curieux de recevoir un civil parmi eux, les marins sont heureux et ravis de raconter leur métier.

 

Vous désiriez, en faisant ce livre, connaître les motivations des marins pour leurs engagements, mais vous abordez aussi des questions liées aux Z.E.E. (Zones exclusives économiques), à la dissuasion nucléaire, l’importance de la Marine nationale dans la diplomatie française. Ces interrogations étaient présentes dès le début de votre enquête ou est-ce qu’elles sont venues au fur et à mesure ?

La plupart des questions sont venues au fil de l’écriture de l’histoire. Ma préoccupation première fut de savoir pourquoi des jeunes s’engagent dans la Marine nationale qui reste une branche de notre système militaire, donc appelés peut-être à défendre les intérêts de la France à l’étranger et voire, parfois, à côtoyer la mort.

Par exemple, Le Floréal, que j’ai suivi dans les mers australes, navigue dans ces eaux deux mois de l’année. Le reste du temps, ce navire effectue des missions de protection et de surveillance au large de la corne d’Afrique, luttant ainsi contre la piraterie moderne.

J’ai aussi pu croiser des civils travaillant sur les navires de la Marine, les marins attachés à l’entretien des moteurs, du personnel qui fait partie du prolétariat marin…

Au fil des conversations, il m’a semblé indispensable d’aborder la question des intérêts maritimes français sous ses aspects économiques, diplomatiques et politiques. C’est pourquoi j’ai aussi tenu à rencontrer des civils pour avoir une réflexion plus globale et découvrir ainsi, avec Mme Patricia Adam, présidente de commission de la défense nationale et des forces armées, la maritimisation du monde à venir.

Comment travailliez-vous à bord ? Dessiniez-vous vos planches sur place ?

Absolument pas, un navire est toujours en mouvement avec le roulis cela bouge trop.

J’ai pris beaucoup de notes, rempli des carnets de croquis, pris des photos pour garder la mémoire de détails techniques, des couleurs…

« Embarqué » fut-il réalisé d’un seul tenant ou par étapes ?

Par étapes : la première étant mon expérience sur Le Floréal. Ensuite est venue une seule période d’épisodes décousus pour récolter mes autres informations sur le monde maritime.

J’ai alors entrepris d’ordonner ce patchwork, de réaliser des liens avec le matériel que j’avais. J’intègre, par exemple, les croquis faits dans le sous-marin pour tenter de redonner un peu l’atmosphère très particulière de cet environnement. Des dessins effectués au moment de l’épisode relaté donnent en plus un côté carnet de voyage en plus de la bande dessinée.

 

À propos, vous ne donnez pas le nom du sous-marin. C’est un secret-défense ?

Pas du tout. Les sous-marins d’attaque français ont des noms de pierres précieuses : Rubis, Émeraude… Celui qui m’a accueilli se nomme l’Améthyste.

 

Une large partie de votre album traite de la Royale, mais vous évoquez aussi la marine marchande, l’écologie maritime. Un second tome autour de ces sujets est-il en préparation ?

C’est en effet un thème qui me touche.

Les ressources naturelles dans le sous-sol marin, l’augmentation du trafic maritime, l’importance économique de la pêche, ce dont nous parlions tout à l’heure sous le terme de maritimisation du monde, me donnent envie de creuser le sillon.

En plus, cet automne, je serais en résidence à Singapour. Cette ville est devenue, en 50 ans, le second port mondial ; il y aura peut-être quelque chose à faire de ce côté-là. Peut-être y faire des rencontres qui se développeront plus tard.

 

Outre vos ouvrages liés à la mer et au monde marin, vous êtes vous-même un grand voyageur dont les pérégrinations ont alimenté les aventures de votre personnage Félix-Terry Mogo. Le retrouvera-t-on un jour ?

Certainement ! Dès que je reviendrai vers de récits de fictions, il reprendra du service pour vivre la vie dont je rêve et prononcer toutes les paroles que la réalité m’empêcherait de prononcer.

 

 

Félix-Terry Mogo dans une série d'ex-libris pour "Le café du voyageur"

Que devient votre ami Jacques Prévert après la publication de sa « Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris » ?

Eh bien, avec Hervé Bourhis, nous reprenons le travail dès le mois de juin pour continuer notre évocation dessinée de son parcours artistique. Nous voulons faire le portrait de Prévert avant sa reconnaissance publique.

La décennie des années 1920 présente dans le premier tome, traite, pour schématiser, des rencontres qui l’emmènent à son statut de poète. Pour la suite, nous aimerions lier les années 1930 à ses activités théâtrales avec le groupe Octobre, son voyage en Russie et les années 1940 à sa carrière cinématographique.

Ce mois de mai est important pour vous. Le 4 mai est paru « Embarqué » et à la fin du mois, l’association bordelaise 9-33 vous met à l’honneur dans le cadre du festival Regard 9. Une rétrospective vous ait consacré et vous êtes chargé de la programmation de ce festival, qu’avez-vous prévu ?

L’association bordelaise 9-33 m’a choisi comme invité principal pour cette année, j’ai donc participé à l’élaboration de la programmation. Mes travaux sont présentés au travers d’expositions et il m’a été proposé d’inviter des artistes dont j’aime le travail.

J’avais rencontré, lors de l’un de mes voyages, Mohamed Shennawy, créateur du collectif égyptien « Tok-Tok ». Ils sont invités pour présenter leur publication.

Il y aura une rencontre avec les éditions Cornélius, la présence d’Hector Sonon un ami et auteur béninois, un romancier et réalisateur italo-suisse, Joseph Incardona…

Le festival se termine par trois jours festifs avec des créations en direct. Le public nous connaît essentiellement à travers nos ouvrages qui sont des objets finis, ces spectacles sont l’occasion pour nous de montrer (et pour les gens de voir) un travail en temps réel.

Mille mercis océaniques à Christian Cailleaux pour sa disponibilité.

Brigh BARBER

« Embarqué, carnets marins dans le jardin du commandant » par Christian Cailleaux

Éditions Futuropolis  (24,00 €) – ISBN : 978-2-7548-1001-2

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