Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Autobiographie d’acteurs du 9e art ou vie d’auteurs de BD en bandes dessinées…
Autobiographies, recueils d’interviews ou mises en cases des souvenirs d’auteurs, les confessions des acteurs du monde de la BD sont légion en ce premier semestre ! Et elles sont toutes aussi passionnantes que décoiffantes : que ce soient celle de Bruno Léandri (pilier de Fluide glacial), de Chantal Montellier (pionnière de la bande dessinée au féminin), de certains représentants de la génération actuelle (Christophe Blain, Florence Dupré la Tour ou Catherine Meurisse), de Jacques Sandron et Raoul Cauvin (auteurs de la série familiale « Godaille et Godasse »), ou encore de figures mythiques comme Gotlib, Fred, Philippe Druillet, Claire Bretécher, Nikita Mandryka et Jean Giraud… Et manifestement, ce n’est même qu’un début ! (1)
Après avoir raconté les quatre cents coups de sa turbulente jeunesse dans deux livres précédents, Bruno Léandri poursuit, avec son inimitable plume déconnante, la suite du récit de sa vie. Lequel nous intéresse au plus haut point, puisqu’il s’attarde sur sa collaboration à deux monuments de la presse satirique des années 1970 à 1990 : Hara-Kiri (où il rejoint les idoles de son adolescence qu’étaient le professeur Choron, Cabu et Cavanna) et Fluide glacial (dont il assurera, pendant près de quarante ans, la rédaction de plusieurs rubriques comme « L’Encyclopédie du dérisoire » et d’incontournables photo-BD où il se mettait régulièrement en scène). C’est ainsi qu’il nous permet de découvrir de l’intérieur, et sans langue de bois ou propos hagiographique, les excès de Georges Bernier alias Choron, cheville ouvrière du mensuel bête et méchant : « Avec toute l’admiration qui me reste intacte, j’aimerais qu’on ne passe pas aux pertes et profits de l’histoire sa chronique noire, son ombre détestable qui me l’a fait détester, du moins partiellement, sa parfois grasse et épaisse connerie aux heures pinardières, sa brutalité blessante dont j’ai indéniablement souffert. Oui, sans lui, le jeune Hara-Kiri et ce nouveau souffle de l’humour libertaire n’auraient sans doute pas existé, mais je me suis souvent surpris à penser que, sans lui, le Hara-Kiri de l’âge mûr aurait peut-être aussi vécu plus longtemps. » En revanche, la suite de son parcours journalistique à Fluide glacial n’est composée que d’admirations et déclarations d’amour au géniteur de ce mensuel d’humour mythique (Gotlib), mais aussi d’un florilège d’anecdotes convulsantes sur le reste de l’équipe : ces cintrés de génie que sont Binet, Maëster, Goossens, Edika, Solé, Blutch, Coyote, Ferri, Casoar, Igwal et autres Frémion. Tendresse, rigolade et narration précise sont au rendez-vous de cette chronique d’une époque agitée où, manifestement, ils se sont quand même tellement marrés !
« Nous nous sommes tant marrés : mes années Hara-Kiri et Fluide glacial » par Bruno Léandri
Éditions Fluide glacial (19 €) — ISBN : 978-2352 — 07583-7
Autre confession, dans un style complètement différent, c’est celle de Chantal Montellier : dessinatrice, peintre, romancière, journaliste… qui a su cultiver, contre vents et marées, un engagement contre toutes formes de sexisme et d’injustice. Voici donc une autre forme d’autobiographie qui propose un texte très illustré (avec des dessins, des BD ou des photos remontées et retouchées par le talent de graphiste aguerri de l’auteure) : une sorte de bilan de ses incessants affrontements familiaux ou professionnels, mais aussi de ses douloureux combats féministes et militants au sein du monde l’édition qu’elle continue toujours de côtoyer. Notamment, pour ce qui concerne ce premier tome qui couvre la période 1947-1980, sur ses travaux réalisés ou ses projets présentés aux Beaux-Arts de Paris pendant les événements de Mai 68, à Combat syndicaliste (organe de la CNT), chez Losfeld, à L’Humanité, à Charlie mensuel, au Canard sauvage de Jacques Glénat, pour Guy Peellaert, chez Kesselring ou chez Futuropolis et surtout aux Humanoïdes associés : entre Métal hurlant et Ah ! Nana, première et dernière revue de bandes dessinées féminines en France ! Voici donc, la véritable, incroyable et édifiante histoire d’une artiste engagée qui n’épargne personne, même pas elle !
« La Reconstitution » T1 par Chantal Montellier
Éditions Actes Sud – l’An 2 (22 €) — ISBN : 978-2-330-03894-6
Des interviews d’auteurs, on en trouve aussi sur le web (voir, par exemple, celles de votre site préféré BDzoom.com : http://bdzoom.com/interviews), mais hélas de moins en moins sous forme imprimée.
Aussi, délectons-nous de la deuxième saison d’Ellipse(s), petite, mais luxueuse revue éditée par les éditions La Bulle de la médiathèque de Mazé dans le Maine-et-Loire, qui recueille les confessions artistiques de Christophe Blain, Florence Dupré la Tour et Catherine Meurisse.
Il s’agit, en fait, de riches entretiens avec ces trois auteurs de la génération actuelle, aux identités bien marquées, qui ont participé à des soirées-débat organisées par les responsables de cet établissement ressource régional : la programmation dédiée à la bande dessinée d’auteur s’étant concentrée, cette année, sur le thème de l’humour.
Le tout, bien maquetté et illustré, tente de s’éloigner résolument des sentiers battus et est complété par diverses chroniques d’albums et par un article bien documenté sur « Le rire autrement ».
Ellipse(s) n° 2 (8 €)
Éditions La Bulle — Médiathèque de Mazé, 16 rue de Verdun, 49630 Mazé (http://mediathequelabulle.ville-maze.fr/ville-maze.fr)
C’est aussi un autre établissement appartenant à une collectivité locale (la bibliothèque publique centrale du Brabant wallon) qui est l’éditeur d’un très intéressant opus sur les auteurs de « Godaille et Godasse » (Jacques Sandron et Raoul Cauvin), bande dessinée d’aventures humoristiques qui fit les beaux jours du journal Spirou, entre 1975 et 1990 : « L’Empire de Sandron et Cauvin » par Christian Jasmes, bibliothécaire très actif qui multiplie, depuis des années, les actions pour valoriser la bande dessinée dans les milieux dits respectables.
En quatre-vingts pages proposant une introduction érudite de l’encyclopédiste Patrick Gaumer, une étude sur le cadre historique de ces amusantes histoires situées sous le règne de Napoléon 1er, un petit dictionnaire des personnages et, surtout,
des entretiens passionnants avec le dessinateur et le scénariste, Christian Jasmes fait le tour de cette série dont l’intégralité a été rééditée en 2012 par les éditions Hématine : malgré son prix élevé, cet album a été épuisé au bout de quelques mois, à peine !
Les éditions Dupuis seraient donc bien inspirées de nous en proposer une nouvelle version, en confiant, par exemple, le dossier de présentation de cette intégrale à Christian Jasmes.
« Godaille et Godasse : l’empire de Sandron et Cauvin » par Christian Jasmes
Éditions Bibliothèque publique centrale du Brabant wallon (10 €)
Des interviews d’auteurs, et pas des moindres puisqu’il s’agit de celles de Gotlib, Fred, Philippe Druillet, Claire Bretécher, Nikita Mandryka et Jean Giraud, on en trouve aussi sous une forme originale dans « La Révolution Pilote » : un conséquent ouvrage de plus de cent quarante pages dues au dessinateur Nicoby et au journaliste Éric Aeschimann.
En effet, pour raconter la révolution « culturelle » qui a eu lieu au sein du journal Pilote entre 1968 et 1972 et qui débouchera sur la naissance de la BD moderne, les deux compères ont eu la bonne idée de mettre en bandes dessinées leurs rencontres avec ces six figures majeures du journal qui ne faisait que commencer, alors, « à s’amuser à réfléchir ».
Seulement voilà, quarante ans plus tard, les révoltés de l’époque se sont assagis et la mémoire leur fait souvent défaut : assumant les contradictions, ils préfèrent, la plupart du temps, exprimer leur admiration pour René Goscinny, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire dont ils avaient, pourtant, contesté l’autorité, bien décidés alors à tuer le « père » !
Si le journaliste de L’Obs, Éric Aeschimann, s’est passionné avant tout pour les traces que Mai 68 a pu laisser dans l’imaginaire culturel, considérant Pilote comme un objet sociologique reflet de son époque, et si son propos tombe quelquefois à l’eau par faute de reconstitution approximative des événements par les acteurs précités, son écriture tout en finesse compense largement le peu d’anecdotes croustillantes récoltées.
Quant à Nicoby, habitué à ce genre d’exercices (avec « Dans l’atelier de Fournier » ou « Mes Années bêtes et méchantes »), il caricature avec entrain et humour tous les auteurs piliers de l’époque à Pilote.
On aurait d’ailleurs bien voulu connaître la version des faits par certains d’entre eux, qui sont toujours de ce monde, mais moins mis en exergue dans ce livre clé : les Philip Caza, Jean Chakir, Pierre Christin, Bob de Groot, Jean-Pierre Dionnet, André-Paul Duchâteau, F’Murrr, Christian Godard, Yves Got, Patrice Leconte, Mazel, Jean-Claude Mézières, Jean-Claude Morchoisne, Jean Mulatier, Julio Ribéra, Patrice Serres, Jean Solé, Jacques Tardi, Touïs, Turk ou autres Albert Uderzo.
« La Révolution Pilote : 1968-1972 » par Nicoby et Éric Aeschimann
Éditions Dargaud (17,95 €) — ISBN : 978-2205 — 06928-0
(1) Parmi les autobiographies d’auteurs BD à venir, signalons que les éditions Grand Angle (filiale de Bamboo) vont publier les mémoires attendues du scénariste Jean Van Hamme en juin. Nouvelle pour le moins étonnante, quand on sait que le cocréateur de « XIII » et « Wayne Shelton » (chez Dargaud), de « Largo Winch » ou « Lady S ». (chez Dupuis) et de « Thorgal » (au Lombard), pour ne citer que ses séries les plus connues, s’est rarement aventuré à publier ses écrits en dehors du groupe Média Participation (Dargaud, Le Lombard, Dupuis…) auquel il est pratiquement toujours resté fidèle ! À moins que ce ne soit Média Participation qui le poursuive ? Puisque ce dernier a racheté Dargaud alors qu’il y publiait « XIII », puis le Lombard où il faisait « Thorgal », et enfin Dupuis pour emballer « Largo Winch ». Heureusement pour le scénariste, Casterman et Glénat n’était alors pas à vendre (rires) !
« Mémoires d’écritures » comportera quatre-vingts pages illustrées, en grande partie, par des archives personnelles de Jean Van Hamme (notamment des dessins inédits d’André Franquin, de Jean Giraud, de Grzegorz Rosinski ou de William Vance) et fleurira les rayons des librairies, juste au moment où le Centre Belge de la Bande Dessinée s’apprêtera à lui consacrer une grande rétrospective de juin à septembre 2015.
Bonjour, merci de votre article. Je me permets un commentaire sur l’integrale de Godaille et Godasse et votre judgement sur le prix ‘trop elevé’. A mon avis le prix etait (plus que) justifié par la qualité de l’integrale a partir de la maquette, des bonus (le poster!), du travail de recherche, du papier, de la qualité de l’impression…Un vrai travail d’artiste et d’artisan…pour ne pas faire mention qu’il s’agissait d’une edition limité..Dans le contexte actuel d’une quantité d’integrales souvent concus sans un vrai travail de preparation e de ‘design’ afin d’avoir vraiment un produit special et different par rapport aux albums d’origine, je suis tout a fait pour avoir d’autres initiatives comme celle qui a ete fait pour l’integrale Goddaille et Godasse. Vu la quantité de tirages speciaux, de tete vendus a plus de 100 euros sans avoir souvent la moindre justification qu’un simple justificatif et un ex-libris signé, on ne peut que demander de plus en plus d’operations comme celle qui a ete fait – avec amour et respect pour les createurs et l’oeuvre dans l’Integrale Godailles et Godasse.
Cordialement
Fabio
Bonjour Fabio !
Merci de vos précisions et commentaires, mais où avez-vous vu que j’ai écrit que votre belle intégrale était proposée à un prix ‘trop élevé’ ? J’ai juste mis : « malgré son prix élevé, cet album a été épuisé au bout de quelques mois, à peine ! » Ce qui ne veut pas dire la même chose ! Le prix était élevé car, comme vous l’avez expliqué, il se justifiait, mais mon propos n’était pas de dire que c’était trop élevé : c’était simplement de dire que, malgré l’handicap du prix, l’ouvrage a été vite épuisé : je ne vois pas en quoi ma diatribe vous discrédite…
Bien cordialement
Gilles Ratier
Cher Gilles, je vois qu’on bien d’accord. Je m’en rejoui!. Je profite pour preciser que je suis un lecteur et pas un editeur et que j’avait acheté l’integrale et je l’avait trouvé excellent. Aucun discredit, donc..seulement l’occasion de remarquer la qualité d’un produit editoriale hors commun. Je profite pour vous feliciter pour le niveau des contenus de votre site…Je le trouve un des meilleurs sources d’info autour de la bd meme sur des auteurs italiens (je suis italien) qui sont plutot oubliés dans notre Pays. Sachez, par ex. que un article comme celui sur Aldo Capitanio (meconnu en France, j’imagine) et bien on ne le trouve nulle part sur les sites/bases de donnés italiens a ma conniassnce! Alors bravo Gilles aussi de ma part comme amateur et connaisseur de Fumetti avant que de Bande Dessinéé…
Avec tout mon amitié
Fabio
Que de compliments, cher Fabio ! Merci mille fois, toute la rédaction de Bdzoom.com est sincèrement touchée par vos appréciations…
Bien cordialement
Gilles Ratier