Le Joker fête ses 75 ans…

Cela fait maintenant 75 ans que l’ennemi emblématique de l’homme chauve souris a été imaginé par le scénariste Bill Finger, ainsi que par les dessinateurs Bob Kane et Jerry Robinson dans le n°1 de Batman, au printemps 1940. S’il est indéniable que la paternité du chevalier noir revient à Bob Kane, celle du méchant au sourire narquois serait une cocréation dans laquelle Jerry Robinson se serait inspiré du film « The Man who laughs » (1928) avec Conrad Veidt dans le rôle principal (1). Quoi qu’il en soit, ce vieillard est toujours aussi fringant et plusieurs événements le mettent sur le devant de la scène aujourd’hui.

Conrad Veidt dans « L’Homme qui rit »

Première apparition du Joker.

Destiné à mourir d’un coup de couteau dès sa première aventure. Le Joker doit son salut à la clairvoyance de son éditeur, Whitney Ellsworth, qui fit modifier la fin de cette première histoire en ajoutant un pavé de texte indiquant que l’on devrait revoir ce super-vilain.

75 ans après, il erre toujours dans les pages de la série « Batman ». Si le personnage de Batman (et donc du Joker) a pu tourner au grand-guignolesque dans les années 1960 (2), les années 1980 lui ont apporté un caractère plus sombre, qu’il conserve encore aujourd’hui.

Pour fêter dignement cet anniversaire, DC a décidé que le mois de juin lui serait consacré. Comme il est maintenant habituel, des couvertures alternatives ont été réalisées pour 24 des plus grands titres de l’éditeur mettant en scène ce terrifiant bouffon (3).

À l’origine, il devait y avoir 25 titres. Malheureusement, la couverture alternative de Batgirl n°41 est passée à l’As (ce qui est dommage pour un joker – Ah ah ah !). Dés sa présentation via internet par son auteur, Rafael Alberquerque, les réseaux sociaux se sont enflammés devant le caractère sexiste de cette image. Cédant à la pression, il a demandé à DC de retirer son illustration de la liste des couvertures. Même si elle apparaît encore dans le magazine de précommande Previews, elle ne sera pas disponible : celui-ci ayant été imprimé avant la controverse. C’est la position de soumission de Batgirl qui a dérangé certaines personnes.

Le dessin de Rafael Alberquerque qui aurait du figuré en couverture de Batgirl n° 41

Rafael Alberquerque a expliqué son choix sur ce retrait (4) :
« Ma couverture alternative pour Batgirl a été conçue pour rendre hommage à une bande dessinée que j’admire, et je sais que pour énormément de lecteurs elle est une de leur histoire favorite. «The Killing Joke » fait partie de la vie de Batgirl aussi bien canoniquement qu’artistiquement, je ne pouvais pas m’empêcher de présenter la relation traumatisante entre Barbara Gordon et le Joker.

Pour moi, c’était juste une couverture dérangeante se rapportant au passé du personnage que je me sentais capable d’interpréter de manière artistique. Mais il est devenu évident que, pour d’autres, elle a touché un point sensible. Je respecte ces opinions et, sans chercher à savoir s’ils ont tort ou raison, aucune opinion ne devrait être ignorée.

Mon intention n’a jamais été de blesser ou de vexer quiconque par mon art. Pour cette raison, j’ai recommandé à DC de retirer cette couverture alternative. Je suis soulagé que DC Comics ait été à l’écoute de mes préoccupations en ne publiant pas la couverture en juin comme annoncée précédemment.

Avec tout mon respect,

Rafa »

S’il est clair que sur cette image, Batgirl est effrayé par ce qui risque de lui arriver, Batman a lui aussi eu droit à son lot de couvertures où il est en mauvaise posture. C’est du moins les images que des internautes exaspérés ont dénichées après coup pour répondre à la polémique.

Ce dessin devait être trop adulte pour ces détracteurs. Ils n’ont pas compris la référence, n’ont pas imaginé comment Batgirl pourrait se défaire de cette situation et ont juste dramatisé les choses.

Pour mieux comprendre les intentions d’Alberquerque, et comprendre pourquoi Batgirl a été traumatisé par sa rencontre avec le Joker, il suffit de lire ou relire le « Killing Joke ». Et cela tombe bien, l’éditeur français Urban Comics a décidé de fêter à sa manière les 75 ans du personnage en réalisant une édition de prestige de ce comics en version entièrement en noir et blanc. C’est donc une édition unique qui nous est proposée en France. Aux USA, seule une édition « Deluxe » avec de nouvelles couleurs est disponible. Le dessinateur Brian Bolland ayant été déçu des teintes criardes de la version de 1988 a, vingt ans plus tard, lui-même recolorisé son chef d’œuvre. Certains préfèrent cette nouvelle version, d’autres restent attachés à la première mise en couleur de John Higgins. À l’origine, Bolland avait explicitement demandé à ce que les flash-back soient traités en noir et blanc. Lorsqu’il les a vu ressortir avec des oranges, des violets ou des jaunes tape-à-l’œil, il était furieux. Sa version de 2008 utilise des tons plus réalistes et, malheureusement, cela enlève de la tension dans la scène de la fête foraine avec ses lumières agressives et dérangeantes. La version d’Urban étant sans couleurs, elle se rapproche donc bien plus de ce qu’imaginait l’artiste au départ. Indéniablement, le dessin de Bolland se suffit à lui-même. C’est un auteur méticuleux, au trait fin et réaliste. Cette édition essentielle d’Urban, du fait de son grand format, est un excellent choix pour apprécier au mieux ce graphisme.

Le superbe rendu du dessin de Brian Bolland en noir et blanc

Côte à côte, la version de 1998 et celle de 2008.

Les modifications de la version de 2008 du « Killing Joke » ne s’arrêtent pas aux couleurs : Bolland ayant également redessiné certaines images.

Il a notamment méticuleusement retiré l’ovale jaune entourant le symbole de chauve-souris sur la poitrine du héros. Délimitation qui est toujours présente sur la version d’Urban Comics. Cette version est donc celle de 1988 et non la nouvelle édition, retouchée de 2008. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller en page 21, là où Allan Moore, le scénariste, apparaît en train de trinquer. Dans la réédition, le personnage du pingouin a été rajouté dans l’image sans aucune raison apparente.

Les trois versions côte à côte. 1988 avec les couleurs saturées. 2008 avec le Pingouin rajouté et la version Urban de 2015 en noir et blanc sans le Pingouin.

Dans la version Urban Comics, en noir et blanc, la délimitation du logo de poitrine de Batman est toujours présente.

Il est également étrange d’avoir dans la préface de Tim Sale et la postface de Brian Bolland des allusions à cette couleur refaite qui ici n’existe pas. Par contre, on retrouve le noir et blanc d’origine de l’histoire courte « Un parfait innocent » que Brian Bolland avait réalisé pour la collection, bien nommée, Batman Black & White.

Voilà, le Joker a 75 ans, et si vous en devez lire qu’une histoire de lui, plongez-vous dans « Killing Joke ».

Gwenaël JACQUET

« Killing Joke » par Brian Bolland et Alan Moore 
Éditions Urban Comics (19€) – ISBN : 9782365776394

(1) « L’Homme qui rit » en bon français, est un film muet du réalisateur allemand Paul Leni. Tourné aux États-Unis, il est basé sur le roman du même nom de Victor Hugo. Paul Leni meurt d’une septicémie le 2 septembre 1929, tout juste un an après la sortie du film. Durant sa carrière, il réalisera 15 films, 11 en Allemagne et le reste à Hollywood où il a été convié par les studios Universal en 1926.

(2) Le caractère humoristique de Batman a été amplifié par la réalisation d’une série télé, destinée à un public très jeune, entre 1966 et 1968.

(3) Voiic la lite des titres avec le dessinateur de la couverture alternative :
Action Comics n° 41 par Darwin Cooke
, Aquaman n° 41 par Walter Simonson et Laura Martin, Batman n° 41 par Sean Murphy et Matt Hollingsworth, Batman/Superman n° 21 par Jock, Catwoman n° 41 par Javier Pulido, Deathstroke n° 7 par Lee Weeks et R&T Horie, Detective Comics n° 41 par Patrick Gleason et John Kalisz, Gotham Academy n° 7 par Craig Rousseau, Gotham par Midnight par John Van Fleet
, Grayson n° 9 par Dave Johnson, Green Arrow n° 41 par Bill Sienkiewicz, Green Lantern n° 41 par Ben Oliver, Harley Quinn n° 17 par Eduardo Risso, Justice League n° 41 par David Finch, Jonathan Glapion et Brad Anderson, Justice League of America n° 1 par Howard Porter et Hi-Fi, Lobo n° 7 par Neil Edwards & Jay Leisten et Jeromy Cox, New Suicide Squad n° 9 par Jim Lee et Alex Sinclair, Secret Six n° 3 par Dan Jurgens, Danny Miki et Alex Sinclair, Sinestro n° 12 par Joshua Middleton, Superman n° 41 par Karl Kerschl, Superman/Wonder Woman n° 18 par Cliff Chiang, Teen Titans n° 9 par Scott McDaniel et R&T Horie, The Flash n° 41 par Eddy Barrows et Marcelo Maiol et Wonder Woman n° 41 par Brian Bolland.

(4) Voici le texte en anglais de la citation originale : « My Batgirl variant cover artwork was designed to pay homage to a comic that I really admire, and I know is a favorite of many readers. ‘The Killing Joke’ is part of Batgirl’s canon and artistically, I couldn’t avoid portraying the traumatic relationship between Barbara Gordon and the Joker.
For me, it was just a creepy cover that brought up something from the character’s past that I was able to interpret artistically. But it has become clear, that for others, it touched a very important nerve. I respect these opinions and, despite whether the discussion is right or wrong, no opinion should be discredited.
 My intention was never to hurt or upset anyone through my art. For that reason, I have recommended to DC that the variant cover be pulled. I’m incredibly pleased that DC Comics is listening to my concerns and will not be publishing the cover art in June as previously announced. With all due respect, Rafa »

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