Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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L’actualité a été une source d’inspiration constante pour Hergé, sous tous ses aspects. L’actualité politique (devenue de l’histoire), dans « Tintin », a particulièrement sollicité l’intérêt des exégètes. Elle se présente pratiquement telle quelle dans « Le Lotus bleu » qui stigmatise l’impérialisme du Japon envahissant la Chine à la suite d’un faux attentat ferroviaire. Elle apparaît en filigrane dans « L’Étoile mystérieuse », les deux histoires ayant pour cadre l’Amérique du Sud (« L’Oreille cassée » et « Tintin et les Picaros »), celles qui opposent la Syldavie et la Bordurie (« Le Sceptre d’Ottokar » et « L’Affaire Tournesol ») et celles qui se déroulent en Arabie (« Tintin au pays de l’or noir » et « Coke en Stock »). Mais n’étant pas l’essentiel de l’œuvre d’Hergé, elle peut donner lieu à des interprétations qui pèchent par leur prétention à l’explication exhaustive. Le cas de la Syldavie est particulièrement symptomatique de cette dérive…
La première des aventures de Tintin en Europe orientale semble limpide pour qui connaît tant soit peu l’histoire politique européenne de l’Entre-deux-guerres.
De l’avis général, elle est inspirée par l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie, en 1938 — avec cette différence essentielle que, en l’occurrence, cette imitation d’Anschluss échoue. Les Syldaves qui complotent pour le rattachement de leur pays à la Bordurie évoquent les nazis viennois qui œuvraient pour l’annexion de leur pays par l’Allemagne.
L’interprétation de Dodo Nita : la Syldavie serait la Roumanie
Or, cette interprétation (Syldavie = Autriche) a été contestée par Dodo Nita, spécialiste roumain de BD (1).
Il est vrai que la Syldavie, à la différence de l’Autriche, est un pays balkanique. Et, par ailleurs, son nom (constitué par la deuxième syllabe de « TranSYLvanie » et les deux dernières de « MolDAVIE », noms de deux provinces roumaines), sa chaîne de montagnes (les Zmylphates évoquant les Carpates tant par leur nom que par l’aspect de mille-pattes des Carpates roumaines), ses fleuves (le Vladir et son affluent, le Moltus, rappelant le Danube et le Prout), son symbole national (le pélican [noir, il est vrai], animal répandu sur les rives et le delta du Danube), l’appellation du parti félon, la Garde d’Acier (à l’évidence inspirée de La Garde de Fer de Codreanu) incitent à l’identifier à la Roumanie plutôt qu’à l’Autriche.
Dodo Nita remarque aussi certaines autres analogies : ressemblances entre Klow, la capitale syldave, et la ville roumaine de Galati (similitudes topographiques, nombre d’habitants identique), même importance des sources thermales et du commerce de l’eau minérale en Syldavie et en Roumanie (2).
Fort de ces arguments, il identifie la Syldavie à la Roumanie, la Bordurie à l’URSS, le maréchal Plekszy-Gladz (le dictateur bordure) à Staline, maréchal lui aussi, et le complot visant au rattachement de la Syldavie par la Bordurie à l’annexion de la Moldavie par les Soviets en 1940. Malgré le sérieux de l’étude de Dodo Nita, il est permis de s’interroger sur la vraisemblance de sa thèse.
Les failles de cette interprétation :
Si troublantes qu’elles paraissent, les analogies entre la Syldavie et la Roumanie ne prouvent pas qu’Hergé ait conçu la Syldavie comme un double imaginaire de la Roumanie (3). Bien des faits contredisent cette théorie.
Tout d’abord, la langue syldave. À la différence du roumain, elle n’a rien d’une langue romane. Elle se présente comme un agglomérat d’éléments hollandais, allemands et russes, avec quelques emprunts au tchèque et au croate. Les indices d’une origine latine en sont totalement absents. Les linguistes Mark Rosenfelder et Rainer Grutman ont établi que la plus grande part du syldave provenait du marollien, dialecte flamand jadis pratiqué dans le quartier des Marolles, et que parlait habituellement la grand-mère maternelle d’Hergé (4).
Quant à l’analogie entre la Bordurie et l’URSS stalinienne, elle laisse rêveur. Pertinente pour « L’Affaire Tournesol » (1954 dans Tintin), elle ne l’est pas du tout pour « Le Sceptre d’Ottokar » (1938 dans Le Petit Vingtième), antérieur de seize ans.
Dans « L’Affaire Tournesol », élaboré en pleine guerre froide, la Bordurie constitue certes une sérieuse menace pour le monde occidental, et son dictateur, le maréchal Plekszy-Gladz ressemble à s’y méprendre à Staline. Cependant, le chef de sa police politique, le colonel Sponsz, ressemble plutôt à un officier de la Wehrmacht avec son monocle et sa galanterie lourde et empruntée à l’égard de la Castafiore (tous comme les autres officiers qu’il nous est donné de voir dans cet album) ; quant aux inspecteurs et agents secrets, ils évoquent les policiers de la Gestapo, avec leurs gabardines et leurs chapeaux.
Surtout, dans « Le Sceptre d’Ottokar », Plekszy-Gladz est absent, et la Bordurie, dans la mesure où elle cherche à annexer la Syldavie avec la complicité de certains Syldaves, ressemble de manière confondante à l’Allemagne hitlérienne aspirant à réaliser l’Anschluss de l’Autriche voisine. Certes, le parti probordure de Syldavie s’appelle la Garde d’Acier. Mais ce choix même ne prouve rien. Car enfin, la Garde de Fer roumaine, quoiqu’idéologiquement proche du nazisme, n’a jamais milité ou comploté pour le rattachement de la Roumanie à l’Allemagne — et encore bien moins à l’URSS. Et si, de par son nom, la Garde d’Acier évoque La Garde de Fer, le but de son complot l’assimile clairement au parti nazi autrichien, et le nom de son chef, Müsstler, est plus qu’évocateur, formé qu’il est par la première syllabe du nom de Mussolini et la seconde de celui de Hitler. On ne saurait être plus transparent.
Dodo Nita pense que « Le Sceptre d’Ottokar » a été inspiré à Hergé non par l’Anschluss et les précédentes tentatives des nazis autrichiens (notamment le coup d’État manqué de juillet 1934 qui coûta la vie au chancelier Dollfuss et fit grand bruit en Europe), mais par l’annexion, en août 1940, de la Moldavie par l’URSS stalinienne en application du pacte Ribbentrop-Molotov du 23 août 1939. Or, cette annexion se produisit deux années après la première publication du « Le Sceptre d’Ottokar ». Comment croire sérieusement qu’Hergé, bien informé certes, mais non diplomate, ait pu, en 1937-1938, fonder son histoire sur une occupation qui n’eut lieu que deux ans plus tard et dont le projet n’était pas clairement arrêté au Kremlin (il ne le sera qu’au lendemain du pacte germano-soviétique) et n’était connu que dans les chancelleries européennes pour lesquelles il ne constituait d’ailleurs pas un souci primordial ? En réalité, et de toute évidence, Hergé, en 1937-1938, comme tous les Européens, se sentait bien plus préoccupé par les projets de conquête d’Hitler que par ceux de Staline, et ne savait vraisemblablement rien des visées du second sur la Moldavie, ignorées de tous. D’autre part, cela va sans dire, il ne pouvait pas prévoir qu’en 1947, la Roumanie passerait dans l’orbite soviétique en devenant une République populaire. C’est donc à tort que Dodo Nita invoque ces deux faits (l’annexion de la Moldavie, puis la soviétisation de la Roumanie) à l’appui de son interprétation du « Sceptre d’Ottokar » comme un affrontement roumano-soviétique.
En vérité, si Hergé s’est inspiré de la géographie physique de la Roumanie pour imaginer celle de la Syldavie,
il s’est inspiré des événements autrichiens pour concevoir la tentative d’annexion dont cette dernière est victime, et il a doté les Syldaves d’un idiome qui ne ressemble ni au roumain ni à l’allemand. La Syldavie est une création composite. À l’évidence, elle n’est pas la Roumanie, et la Bordurie n’est pas l’URSS. Et c’est bien l’Anschluss (et, avant elle, le coup d’État manqué de juillet 1934 en Autriche) qui a inspiré à Hergé « Le Sceptre d’Ottokar ».
Se garder des interprétations
Devons-nous alors considérer la Syldavie comme symbolisant l’Autriche, et la Bordurie comme une caricature de l’Allemagne ? Ce n’est pas sûr. En vérité, il convient de se garder d’interprétations certes séduisantes et pertinentes à certains égards, mais étayées sur une appréciation inexacte du rôle de l’actualité dans l’œuvre d’Hergé.
Ce dernier, il convient de ne pas l’oublier, est un dessinateur et scénariste, un auteur de fictions, et non pas un écrivain engagé, un essayiste politique ou un militant nourri d’idéologie. À cet égard, il conçoit l’actualité comme une matière première dont il tire parti pour créer son univers propre, qui n’est pas le monde réel. Les éléments du réel, il les utilise comme des matériaux avec lesquels il bâtit ses histoires, qui ne sont pas l’Histoire, même si elles s’en inspirent. Et cela est vrai même dans les albums qui collent au plus près de la réalité historique, tels « Tintin au pays des Soviets » et « Le Lotus bleu ».
Et, dans la mesure où ils ne sont que des ingrédients, les similitudes avec le réel apparaissent souvent troubles et incohérentes, voire contradictoires. L’évolution de la Syldavie et de la Bordurie dans les albums où elles apparaissent est révélatrice de ce point de vue.
La Syldavie, royaume pastoral ou grand état moderne ?
Ainsi, dans « Le Sceptre d’Ottokar » (1938), la Syldavie se présente comme un petit royaume de 642 000 habitants, essentiellement rural et replié sur ses traditions autour de son roi. Puis, dans « Objectif Lune » (1950 dans Tintin), elle s’est dotée d’une puissante centrale nucléaire et d’un remarquable centre de recherches scientifiques qui s’affaire à la construction d’une fusée et prépare la première expédition sur la Lune. On a peine à croire qu’un petit pays de paysans, de pêcheurs et d’artisans puisse se transformer à ce point en si peu de temps. Enfin, dans « L’Affaire Tournesol » (1954 dans Tintin), le même pays dispose de services secrets qui jouent dans la cour des grands et se sentent assez fort pour tenter de s’emparer d’un savant capable de mettre au point une arme redoutable. Imagine-t-on le Monténégro (pays de 650 000 habitants, effectif comparable à celui de la Syldavie du « Sceptre d’Ottokar ») préparant une expédition sur Mars et dont les services secrets pourraient faire la nique à l’ex-KGB ou à la CIA ? Invraisemblable.
À s’accrocher à une interprétation rigoureusement historique et politique des aventures de Tintin, on pourrait à bon compte taxer Hergé d’incohérence.
Ce serait oublier que ce dernier, quel que soit son intérêt pour le monde où il vit et l’actualité de son temps, s’affaire non à décrire fidèlement, analyser ou critiquer ceux-ci, mais à en tirer les éléments d’édification de son univers propre.
Dès lors, il ne se soucie pas de réalisme, d’exactitude ou de logique. La Syldavie, il l’accommode à la sauce qui convient à l’histoire qu’il mijote sur le moment, sans se soucier de la cohérence de la succession des représentations qu’il en donne dans ses divers albums.
La Bordurie : dictature fasciste ou communiste ?
Il en va de même de la Bordurie. Celle-ci semble clairement être un pays fasciste dans « Le Sceptre d’Ottokar » (où, d’ailleurs, on ne la voit guère). Puis, son identité politique se charge d’ambiguïté dans « L’Affaire Tournesol », où ses projets militaires menaçants pour l’Occident (les États-Unis en particulier), son maréchal-dictateur moustachu et le contexte de guerre froide de l’époque la font ressembler à l’URSS stalinienne, cependant que ses officiers et ses policiers évoquent l’Allemagne hitlérienne. « Tintin et les Picaros » confirme cette ambivalence : la Bordurie y soutient un régime autoritaire en butte à des guérilleros révolutionnaires, ce qui l’apparente à un état « fasciste », mais elle se réclame d’une idéologie totalitaire précise (plekszyste), ressemblant ainsi à l’URSS des années 1960 et 1970 qui exportait le communisme dans le tiers-monde où elle s’efforçait de trouver des relais.
Alcazar : général fascisant ou guérillero révolutionnaire ?
Et, puisque nous en sommes aux aventures de Tintin au San Theodoros, on peut affirmer que nos présentes observations valent pour le général Alcazar. Celui-ci, qui ressemble d’abord à un Perez Jímenez ou un Batista dans « L’Oreille cassée » (1935 dans Le Petit Vingtième), se mue en une caricature de Castro ou de Che Guevara dans « Tintin et les Picaros » (1975 dans Tintin), ce qui ne l’empêche pas d’être soutenu par une multinationale (5).
Eh bien, tout cela ne paraît incohérent que si on oublie l’indépendance d’Hergé, teintée de désinvolture, à l’égard d’un monde réel qui n’est pour lui qu’une source d’inspiration, mais qu’il n’entend pas représenter fidèlement, et au sein duquel il ne souhaite pas s’engager (il n’est ni Ciro Alegría, ni Koestler, ni Orwell ou Tucholsky).
On ne saurait dire qu’il brouille les pistes, car il ne cherche pas à égarer son lecteur. Parce qu’elle est inspirée par l’actualité et le monde réel en général, mais indépendante d’eux, son œuvre, tout à la fois, sollicite l’interprétation et l’explication tout en les relativisant ou les invalidant. Hergé est un artiste et un auteur de fictions, non un intellectuel critique, il convient de ne pas l’oublier.
(1) « Tintin en Roumanie », aux éditions MJM Craiova, en 2003, réédition en 2007.
(2) Nous laissons ici la référence à deux injures du capitaine Haddock, « Papous des Carpates » et « Bachi-bouzouks des Carpates », dont Dodo Nita entend tirer argument, mais qui, à l’évidence, ne prouvent rien : la chaîne des Carpates s’étend sur 8 pays différents (7 en 1937-1938, en raison de l’existence de la Tchécoslovaquie).
De plus, on le sait, Haddock affuble couramment certaines personnes de termes qui ne s’appliquent pas à elles, voire qui ne revêtent pas, dans leur usage courant, une acception ou une connotation injurieuse (« catachrèse », « anacoluthe », « coloquinte », etc.).
(3) De même que ne prouve rien le fait qu’Hergé ait visité le stand de la Roumanie à l’Exposition universelle de Paris en 1938 et les allusions qu’il a faites à ce pays à plusieurs reprises par la suite.
(4) Rainier Grutman, « “Eih bennek, eih blavek” : l’inscription du bruxellois dans Le Sceptre d’Ottokar », Études françaises, Les Presses de l’Université de Montréal, vol. 46, no 2.
(5) En l’occurrence l’United Banana Company, dont le nom a peut-être été inspiré à Hergé par celui de l’United Fruit Company, soutien des dictatures conservatrices d’Amérique latine contre les mouvements réformateurs et révolutionnaires, dénoncée par O. Henry et Pablo Neruda, et que l’on voit donc mal appuyer des guérilleros de type castriste ou guevariste. Au sujet des alliés respectifs de Tapioca et Alcazar, Tintin dit à Haddock : « Un bel imbroglio, vous voyez » ; en effet, on ne saurait mieux dire.
Et n’hésitez pas consulter, dans BDzoom.com, l’autre article d’Yves Morel sur « Tintin » :
« Vol 714 pour Sydney » : des antihéros sans prise sur un monde absurde….
Bonjour,
Lecteur de longue date de BD Zoom, j`ai lu avec intérêt votre article “Tintin en Roumanie?”
J`aimerais quand même y apporter quelques précisions :
- Jamais je n`ai affirmé « qu’Hergé ait conçu la Syldavie comme un double imaginaire de la Roumanie », ni oralement, ni par écrit.
- Jamais je n`ai affirmé que la langue syldave aurait été inspiré par la langue roumaine.
Je suis tout a fait convaincu que la langue syldave a été invente a partir du marollien – Michel Maes, ami bruxellois qui connaît le dialecte respectif, m`en a fait la démonstration.
- « Dodo Nita pense que « Le Sceptre d’Ottokar » a été inspiré à Hergé non par l’Anschluss et les précédentes tentatives des nazis autrichiens […] mais par l’annexion, en août 1940, de la Moldavie par l’URSS stalinienne en application du pacte Ribbentrop-Molotov du 23 août 1939. »
Jamais de la vie je ne pas pensé, ni affirmé ça. Depuis « Le Monde de Hergé » de Benoît Peeters il est clair et net, preuves a l`appui, que c`est l`Anschluss qui a servi comme base de départ de l`album « Le Sceptre d`Ottokar ». Par contre j`ai toujours salué le génie de Hergé qui identifie, avec ses moyens, les ressemblances entre le nazisme et le communisme, et prévoit par son album de BD tous les autres annexions réalisés par le Reich allemand ou par l`Union Soviétique, dans les années suivants.
Sous le nom de « Garde d`Acier » Hergé cache le ZZRK, qui d`après au moins le nom est un parti d`extrême gauche, comme le Parti Communiste de Roumanie (et dont certains membres portent de nom a résonance russe : Boris, Trovik etc). D`accord, La Garde de Fer de Codreanu n`a jamais voulu le rattachement de la Roumanie à l`Allemagne. Mais un des objectifs du PC de Roumanie était que mon pays deviens le 16-eme république de l`URSS.
- « […] ne prouve rien le fait qu’Hergé ait visité le stand de la Roumanie à l’Exposition universelle de Paris en 1938 ».
L`expo a été organisé entre 25 Mai et 25 Novembre 1937. Comme je n`ai eu accès aux archives de Hergé il est vrais que pour l`instant je n`ai pas une preuve pour sa visite la bas. On sait quand même que Hergé s`est rendu plusieurs fois a Paris pendant cette période pour aller a la rédaction de Cœurs Vaillants. Visiter l`expo correspond quand meme a son profil intellectuel. Et même s`il n`a pas été a l`Expo, je suis persuade que ses collègues de redaction l`ont fait (c`était le grand événement de l`année) et ont pu lui emmener des brochures en français et notamment la carte de la Roumanie dessiné par Dem Demetrescu.
Et la je suis convaincu que personne, même pas vous, vous ne pouvez nier les coïncidences graphiques entre deux des dessins de « Sceptre d`Ottokar » et deux dessins de la carte.
Et il y aura d`autres arguments en faveur de ma théorie dans le prochaine édition de mon étude (pour lequel je cherche un éditeur français ou belge) parce que recentement j`ai fait de recherches a la Bibliothèque Royale de Bruxelles.
- « La Syldavie est une création composite. »
Dans mon étude j`ai écrit, en conclusion, « la Syldavie est un cocktail balkanique ». Donc la nous sommes tout a fait d`accord.
J`ai jamais dit, ou écrit, que la Syldavie c`est exclusivement la Roumanie. Par mon étude, documenté très sérieusement, j`essaye de mettre en évidence les influences roumains de la Syldavie, comme d`autre exegetes ont mis en evidence les influences d`autres pays balcaniques mais aussi de Belgique meme.
Et dans tout les conférences que j`ai présenté a ce sujet en France, Belgique, Portugal, Suède et Angleterre, les gens ont eu l`air convaincu.
Je vous remercie d`avoir cité mon petit étude dans votre article. Beaucoup des exégètes utilise aujourd`hui mes arguments sans citer la source.
Cordialement,
Dodo Nita
Cher Monsieur,
Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier d’avoir réagi promptement à mon article. Et veuillez excuser le léger retard avec lequel je vous réponds (dû à un problème informatique). Mon texte ne visait pas à critiquer votre ouvrage dans son ensemble. De toute façon, vous connaissez beaucoup mieux le sujet que moi puisque vous l’avez étudié de manière approfondie, ce qui n’est pas mon cas.
Obnubilé par les analogies que vous avez mentionnées entre la Syldavie et la Roumanie, j’ai eu le tort de manquer de vigilance et de méconnaître les nuances de votre interprétation au terme de laquelle vous n’identifiez pas ces deux pays malgré leurs ressemblances géographiques. Je vous demande de bien vouloir me pardonner cette méprise. Cependant, il convient tout de même de reconnaître que la précision un peu insistante de votre exposé, relativement aux ressemblances géographiques, suggère (à tort, certes), une relative assimilation des deux pays. Mais enfin, encore une fois, j’ai eu tort de penser cela, et j’aurais dû me montrer plus attentif et prudent.
Je n’affirme pas, dans mon article, que vous croyez la langue syldave inspirée du roumain. Il est évident que tel n’est pas le cas, et tout le monde en conviendra. Je voulais simplement tirer argument de la différence entre les deux langues pour récuser l’identification de la Syldavie à la Roumanie.
Je reconnais avoir opéré un raccourci hâtif et fallacieux en affirmant que vous pensiez que Le Sceptre d’Ottokar avait été inspiré à Hergé par les visées de Staline sur la Moldavie plutôt que par les tentatives des nazis de réaliser l’Anschluss, le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne, qui devait avoir lieu en mars 1938. J’ai eu le tort de mal interpréter l’analogie que vous établissez, dans votre livre, entre cet événement et l’annexion de la Moldavie par l’URSS (1940), puis le passage de la Roumanie dans l’orbite soviétique (1947).
Pour Hergé, la Syldavie est « un cocktail balkanique » suivant votre propre expression, ou « une nation composite », comme je l’ai écrit. Sur ce point, nous sommes d’accord, et vous en convenez.
Je pense comme vous qu’en fait Hergé s’applique à mettre en relief les ressemblances entre le fascisme et le communisme, qu’il considère comme les deux aspects de ce phénomène terrible qu’est le totalitarisme, destructeur des hommes et des nations. Pour Hergé, on ne peut pas choisir entre fascisme et communisme ; ce sont deux dictatures totalitaires qui se ressemblent par leurs procédés et les hommes qui les mettent en œuvre. Ainsi, dans Le Sceptre d’Ottokar, la Garde d’Acier rappelle la Garde de Fer roumaine pro-nazie de Codreanu, mais son autre nom, le Zentral Zyldav Revolutzionär Komitzät (ZZRK) évoque, ainsi que vous le notez judicieusement, un parti d’extrême-gauche, c’est-à-dire, à l’époque, un parti communiste ; et il est exact que le parti communiste roumain aspirait à faire de la Roumanie une république de l’URSS.
Cette ambivalence du fascisme et du communisme se retrouve en d’autres albums d’Hergé. Dans L’Affaire Tournesol, composé en pleine guerre froide, la Bordurie évoque l’URSS par son maréchal-dictateur (Plekszy-Gladz) qui ressemble furieusement à Staline, sa volonté de détruire New-York et les grandes villes américaines et la menace qu’elle fait planer sur le monde libre ; mais le colonel Sponsz et les généraux bordures ressemblent à des officiers de la Wehrmacht, et les policiers et agents secrets font penser à des inspecteurs de la Gestapo. Dans Tintin et les Picaros (1976), le général Alcazar ressemble à un chef de guérilleros castristes ou guevaristes (et il parle de révolution), mais il est soutenu par une multinationale capitaliste, et son passé est plutôt celui d’un dictateur militaire « de droite » ; et la Bordurie qui soutient son ennemi Tapioca, évoque à la fois un pays fasciste et l’URSS des années 70 qui s’efforçait d’instaurer, dans le Tiers-Monde, des régimes vassaux.
Concernant la possible visite d’Hergé à l’Exposition universelle de novembre 1937, je confesse mon ignorance. Cependant, il est certain que la géographie physique et certains aspects de l’économie (notamment la production d’eau minérale, la grande boisson syldave) de la Roumanie, ont inspiré Hergé dans sa conception de la Syldavie. Je l’ai précisé dans mon texte, et, sur ce point encore, nous nous accordons.
En résumé, nous sommes globalement d’accord, et je pense que c’est un simple malentendu (dont je porte la responsabilité) qui nous a opposés sur cette question de l’influence de la Roumanie dans la conception par Hergé de la Syldavie.
Cordialement,
Yves MOREL
Cher Monsieur Yves Morel,
Si nous sommes d`accord que Syldavie est un de plus fascinants pays de papier du monde la la BD, et que Hergé est un créateur génial, le reste n`est que des nuances sans grande importance.
Amicalement,
Dodo Nita
Passionant, cet article où l’on apprend bien des choses! Sapristi!
Bonjour,
Un article très intéressant ! Je souhaitais juste adjoindre la modeste pierre de mon témoignage à l’édifice de cette réflexion : en relisant il y a quelques jours les 3 albums de Tintin se déroulant en Syldavie et en Bordurie, j’ai été frappé par l’extrême ressemblance des paysages, montagneux notamment, avec ceux que l’on trouve en Croatie ou au Monténégro. Cette ressemblance frappante ne peut être due qu’à un coup de génie de Hergé, ou bien à une documentation solide. Qui plus est, les villes et leurs minarets évoquent l’Herzégovine, située de l’autre côté des fameuses montagnes croates. Aussi, mon opinion est faite : géographiquement, la Syldavie, c’est la Yougoslavie.