Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...Jack Kirby
Jacob Kurtzberg naît le 28 août 1917 dans le Bowery, un quartier du Lower Est Side de New York, au sein d’une famille juive russo-autrichienne(1).
Ses parents Ben et Rose travaillent dans une usine de tissage sur l’East River. Jacob grandit très modestement dans un minuscule appartement sur Essex Street. Cinq ans plus tard, l’arrivée de David, son frère cadet, oblige sa mère à arrêter de travailler et la famille à déménager pour un appartement plus grand sur Suffolk Street (un trois pièces à $12 par mois, avec une seule chambre, sans salle de bain et des toilettes sur le palier), dans le même quartier ghettoïsé, où les bandes de gosses des blocks avoisinants s’affrontent violemment (lire à ce titre « Street Code »(2), l’extraordinaire histoire autobiographique réalisée en crayonnés).
La crise de 1929 affecte durement la famille du jeune Jacob. Jack se souvient avoir dû mettre plusieurs pulls les uns sur les autres pour résister au froid dans l’appartement mal chauffé. À neuf ans, il attrape une pneumonie. Les antibiotiques n’existant pas encore, c’est aux exorcismes judaïques que ses parents ont recours… Et l’enfant survit ! Pour soutenir les siens, Jack devient garçon de courses pour le Daily News et vend les journaux à la criée sur la 42e rue. Plus jeune que les autres gamins employés, Jack subit quelquefois leurs brimades. Dans les pages des journaux du dimanche, Jack découvre ses futurs maîtres du dessin : Alex Raymond, Harold Foster ou Milton Caniff et rêve, comme tant de gosses de sa génération, aux exploits de « Flash Gordon », « Prince Vaillant » et « Terry and the Pirates », sans oublier les pulps de SF que ses faibles moyens lui permettent parfois d’acquérir. Dans une interview, il se souvient de son premier Science Wonder repêché dans un caniveau, un jour de pluie, au retour de l’école. Sur l’escalier de secours de son appartement trop petit, Jack dévore « Le Comte de Monte-Cristo » d’Alexandre Dumas, « 20 000 lieues sous les mers » de Jules Verne, « War of the Worlds » d’H.G. Wells, « Treasure Island » de R.L. Stevenson et les romans d’Edgar Rice Burroughs (les cycles de « Tarzan », « John Carter » et « Pellucidar »…) qu’il trouve à la bibliothèque locale.
À part ces lectures, les feuilletons radiophoniques et les histoires que lui conte parfois sa mère, sa distraction favorite est le dessin.
Ses parents sont rapidement obligés de lui rationner le papier assez cher à l’époque, obligeant l’enfant à dessiner sur toutes les surfaces vierges qu’il trouve, y compris la cage d’escalier de son misérable immeuble, ce qui vaut quelques soucis à ses parents(3)… Et il y a aussi le cinéma…
À l’époque des premiers films parlants, des Saturday Matinees et des chefs-d’œuvres de la Warner (« Scarface », « Little Caesar ») et de l’Universal (notamment les films de Tod Browning avec Lon Chaney(4)), Jacob et son frère passent leur temps dans les salles obscures. Jack idolâtre James Cagney et John Garefield et se prend à rêver qu’il deviendra acteur. Il joue d’ailleurs à douze ans au théâtre de son école.
Mais son environnement reste violent ; il joue très souvent dehors et fait rapidement partie de la bande des gamins de sa rue, le Suffolk Street Gang, affrontant les gosses des rues avoisinantes (Norfolk St., Stanton St…). Les bagarres dans les ruelles et sur les toits d’immeubles sont fréquentes et rudes. Mais le jeune Jack, surcompensant une taille modeste par plus d’agressivité et d’intelligence, se sent invincible au sein du groupe. Parfois Jack doit protéger son frère qui, bien que de taille plus grande, souffre de surpoids et de problèmes cardiaques. Autour de lui, nombre de jeunes tournent mal et deviennent des truands…
Même à l’école hébraïque, la violence est omniprésente. Son prof de gym doit faire faire une heure de basket à ses élèves chaque matin avant d’entrer en classe, pour que les cours s’effectuent normalement. Jack apprécie particulièrement les cours d’histoire antique. Lui et quelques uns de ses copains (dont son voisin Morris Cohen, un gamin passionné d’aviation(5)) seront remis dans le droit chemin par le rabbin du block et surtout par la « Boy’s Brotherhood Republic », une association responsabilisant les jeunes des quartiers sinistrés. C’est d’ailleurs pour le bulletin de cette association que le jeune Jack publie ses premiers dessins et articles entre 1933 et 1935…
De cette jeunesse pauvre et parfois dangereuse, Kurtzberg tire des avantages indéniables : une volonté de battant visible tout au long de sa vie professionnelle à venir, des dispositions à se bagarrer donnant un sens inné de la chorégraphie à ses futurs combats de papier et des rencontres avec des personnages hauts en couleurs, des malfrats s’incarnant plus tard dans ses « Mobsters » de BD.
Dans les pages d’un pulp, Jack, alors âgé de 14 ans, découvre une publicité pour le Pratt Institute (la fameuse école de dessin où passeront les artistes de comics Bob Powell, Mort Meskin, Syd Shores, Leonard Starr, Al Gabriele, Al Avison et tant d’autres). Jack demande à ses parents de l’y inscrire, mais malheureusement, son père vient de perdre son emploi. L’enfant parvient à se payer lui-même quelques cours et abandonne après une semaine. L’enseignement trop académique ne lui convient pas. Jack veut tout et tout de suite… Il devra apprendre tout seul. Pour l’heure, il doit gagner sa vie et aider ses parents. Il accompagne un temps son père sur les marchés pour revendre des denrées alimentaires sur une vieille charrette à bras.
Et c’est au printemps 1935 que sa carrière professionnelle démarre enfin, lorsqu’il répond à une petite annonce et entre aux studios Max Fleisher situés sur Broadway (48th St.). Il quitte donc l’école en classe de Première pour travailler sur les dessins animés de « Popeye », « Betty Boop » et « Color Classics ». Il est in-betweener, travail consistant à dessiner les images intermédiaires des personnages animés sur celluloïde. 300 personnes se partagent la tâche sur des tables lumineuses.
C’est un vrai travail à la chaîne qui ne satisfait pas ses velléités artistiques, mais la paye est là… Malgré tout, le jeune Kirby démissionne à la fin de l’année 1935, effrayé par la pression syndicale et les menaces de grève qui pèsent sur la société (un débrayage massif aura lieu en 1937) et par l’annonce du transfert prochain du studio à Miami en Floride (survenant en 1938, lorsque Paramount financera les nouveaux locaux loin des syndicats pour la production de « Gulliver’s Travels »). Sans le sou et toujours chez ses parents dans l’appartement de Suffolk Street, il postule auprès des petits syndicates de comic strips, parents pauvres du King Feature ou du United Features Syndicate. La chance lui sourit, lorsqu’en janvier 1936, il place au Lincoln News Syndicate ses premiers cartoons qu’il dessine toujours sur la table de la cuisine chez ses parents (et qu’il écrira très vite lui-même)… Parmi ces œuvres de jeunesse, citons « Your Health Comes First », « Laughs from Today’s News », « Facts You Never Know »…, des dessins humoristiques et éducatifs vendus à quelques centaines de journaux (entre quatre cent et sept cent, selon les sources), Romance of Money, un fascicule produit pour une banque…
L’année suivante, Lincoln commande à Jack – pour son plus grand plaisir – la réalisation de quatre strips hebdomadaires (« Cyclone Burke »), une série de SF (« The Black Buccaneer »), « Socko the Sea Dog » (une copie de « Popeye ») et « Abdul Jones » : une féerie arabisante (réédités chez Pure Imagination (6)).
Kirby travaille sous pseudonymes (Davis, Lawrence, Brady, Jack Curtiss, Bob Brown, Teddy…), une pratique alors courante chez les petits syndicates voulant paraître plus gros qu’ils n’étaient, en prétendant avoir un large aréopage d’artistes. La paye est misérable ($5 le strip), inférieure à celle des Studios Fleischer, mais on lui promet des intéressements sur les ventes. Malheureusement, Lincoln ne vend vraiment que « Facts you Never Know » et « Socko the Sea Dog » (peut-être aussi « The Black Buccaneer ») et les bonus ne viendront jamais… Mais Kirby s’accroche à ce travail. Il confie d’ailleurs ses émoluments chèrement mérités à sa mère, qui s’occupe des achats de ses vêtements et qui fait tourner la maison.
De cette première expérience mitigée dans la bande dessinée, Kirby prend conscience qu’il a une grosse capacité de travail et qu’il peut produire beaucoup, tant au niveau dessin que scénario.
Mais une révolution traverse le monde de l’édition new-yorkais… Celle des comic books. Ce nouveau support réédite d’abord des Sunday Pages dans des numéros gratuits et publicitaires. Un marché va naître, lorsque les éditeurs s’aperçoivent qu’ils ont une clientèle pour ces revues. Action Comics # 1 (National Periodical) sort en juin 1938, avec le « Superman » de Jerry Siegel et Joe Schuster, et le succès est foudroyant. Les éditeurs se lancent dans ce nouveau créneau, qui annonce le crépuscule de leurs pulps… Et les nouveaux fascicules seront bientôt à court de matériel à publier…
En mai 1938, fort de son expérience chez Lincoln, Kirby démarche le jeune Will Eisner, qui avec son ami Jerry Iger, vient de monter l’un des premiers Sweat Shops de la profession : le Universal Phoenix Syndicate, au coin de la 40e rue et de Madison Avenue.
Rappelons que les Sweat Shops étaient des packagers indépendants, pourvoyant en BD les éditeurs de pulps désireux de tester le nouveau marché des comic books. À cette époque, aucun éditeur ne croit suffisamment en leur pérennité pour embaucher sa propre équipe. Ils préfèrent travailler en sous-main avec des ateliers de dessinateurs. Les artistes confirmés étant employés par les syndicates, ce sont les débutants rêvant de succès sur un comic strip ou une page du dimanche qui font leurs premières armes – en se faisant souvent exploiter – dans les Sweat Shops, où les prix à la page (souvent quelques dollars l’unité) sont inversement proportionnels aux cadences de travail (le terme anglais « sweat » signifiant sueur). À Universal Phoenix Syndicate, Jack collabore avec Eisner, Bob Powell et Lou Fine et illustre au sein même du studio les grands genres populaires (SF, western, aventure) sur trois séries : « Diary of Dr. Hayward », « Wilton of the West » et « The Count of Monte Cristo »… Travaillant anonymement (sous les signatures Jack Curtiss, Fred Sande, Curt Davis…), Jack gagne $15 par semaine, soit $5 la planche. « Monte Cristo » de Kirby et Eisner est vendu au magazine anglais Wags. « Dr. Hayward » et « Wilton of the West » paraissent dans Jumbo Comics (Fiction House), qui édite aussi aux USA le premier épisode de « Monte Cristo ». Détail amusant, « Wilton » et « Dr. Hayward » commencent au beau milieu de l’histoire, pour faire croire aux acheteurs potentiels des séries que l’Universal Phœnix Syndicate a déjà du kilométrage dans le métier !
Toutes ces bandes ont également été rééditées chez Pure Imagination(7). Will Eisner se souviendra avec émotion de cette époque glorieuse où il embaucha toutes les futures stars du métier (et où il refusera pour son plus grand regret le « Superman » de Siegel et Shuster) dans un Graphic Novel intitulé « The Dreamer » et dans une interview à paraître d’ici quelques semaines sur ce site. Grâce à Eisner et Fine, Jack apprend beaucoup sur la composition, la perspective et l’encrage… Lorsqu’il quitte le studio en juillet 1938, probablement parce qu’il n’y gagne pas assez d’argent, ses bandes sont poursuivies par Lou Fine. Jack est maintenant un artiste talentueux et confirmé.
En parallèle à son travail chez Universal Phœnix, Jack continue de démarcher les syndicates. Entre mai et juillet 1938, probablement grâce à « Wilton of the West », il dessine sous le pseudonyme de Lance Kirby le comic strip « The Lone Rider », scénarisé par Bob Farrell pour le Associated Features Syndicate… Mais après quelques semaines, l’éditeur lui préfère le dessinateur Frank Robbins et Jack perd sa place. À partir d’août 1939, ces strips seront compilés dans le comic book Famous Funnies édité par Eastern Color (sous le titre « Lightning and the Lone Rider », en donnant la part belle au cheval du héros, sans doute afin d’éviter un procès pour plagiat de Lone Ranger). Le personnage sera par la suite repris par Farrell Publications (la maison d’édition de Bob Farrell) entre 1951 et 1955, dans un comic book éponyme dessiné par Jack Kamen.
En 1939, peut-être pour se faire pardonner de Jack, Bob Farrell et Frank Robbins lui proposent de les assister sur « Scorchy Smith », le daily strip d’aviation rendu célèbre par Noel Sickles qu’ils réalisent pour Associated Press Newsfeatures. Pendant quelques semaines, Jack va travailler dans le riche appartement du dessinateur en tant que « ghost artist ».
Fin 1939, Jack rentre chez l’éditeur Victor Fox. Fox, qui s’autoproclame avec emphase le « King of Comics », est passé à l’édition en s’associant avec… Bob Farrell(8). Ce dernier a donc certainement joué un rôle important dans l’embauche de Jack. Les bureaux de Fox sont dans le même immeuble que National, quelques étages plus bas, sur Lexington Avenue. Volontiers voleur d’idées et de talents, Fox a une vision artistique assez limitée (il est daltonien), mais l’homme est pragmatique. Il se tournera vers le « good girl art » après-guerre et éditera quelques perles (« Rulah » dans Zoot Comics, et surtout « Phantom Lady » de Matt Baker(9)), avant de disparaître en 1952… Mais en 1939, après un Wonder Comics et son « Wonder Man » commandité à Eisner et Iger lui valant quelques démêlés avec la National (l’éditeur lui fait un procès pour plagiat de Superman qu’il gagne), Fox n’est plus au mieux avec l’Universal Phœnix Syndicate, qui lui avait pourtant fourni jusque là d’excellentes séries et ses plus belles couvertures (dues à Lou Fine(10)). Fox doit finalement se résoudre à chercher une nouvelle équipe, lorsqu’Eisner et Iger le lâchent fin 1939 pour concentrer leur activité chez Fiction House et Quality Comics.
C’est dans ce contexte de transition que Fox récupère Kirby. Il lui confie du travail de staff artist à $15 par semaine et Jack s’ennuie passablement sur les montages de pages de publicité, le gommage des planches et les retouches. Il jalouse un peu le statut de Lou Fine. C’est alors que Fox décide de se lancer dans le daily strip, avec « Blue Beetle », un personnage qu’il publie déjà en comic book dans Mystery Men Comics (et qu’il déclinera aussi en feuilletons radiophoniques au même moment).
Il cherche parmi ses employés un dessinateur ayant l’expérience de ce format et Kirby s’avère être l’homme de la situation. Jack revient donc au dessin, sous le nom collectif de Charles Nicolas (une « signature maison » qu’il reprendra par la suite), l’occasion pour lui de dessiner son premier super-héros(11). Mais le daily strip n’est pas un succès et s’arrêtera trois mois plus tard, en mars 1940.
La nuit, Kirby travaille sur d’autres projets, des strips de science-fiction qu’il propose en free-lance au Harry Chesler Studio, le tout premier Sweat Shop new-yorkais(12), sans succès. Il démarche également le studio de Bert Whitman (le futur artiste des strips de « Green Hornet ») et celui-ci lui achète son strip de SF « Solar Legion ». Mais Whitman ne parvient pas à le placer dans les journaux. Il finit par le vendre à l’éditeur de comic books Tem Publishing, qui le publie dans Crash Comics Adventures de mai à juillet 1940. Temerson, son éditeur, demande à Jack de remonter ses strips au format comic book (ils deviendront les épisodes 2 et 3 de la série) et de réaliser un premier épisode original. Ce sera pour Jack son premier travail spécifiquement destiné à ce support et le premier qu’il signe « Jack Kirby »… mais son nom sera enlevé par Temerson au moment de la publication.
Fox est toujours à la recherche d’un directeur de publications pour sa branche comic book. Il passe une petite annonce et rencontre en décembre 1939 un certain Joe Simon. Simon est un ex-cartoonist du Rochester Journal American de Syracuse (NY).
Il est free-lance pour Funnies Inc., le Sweat Shop de Lloyd Jacquet, où il touche $7 la page (et qui lui a placé « Solar Patrol » dans Silver Streak Comics chez Lev Gleason). Grâce à Funnies Inc., il travaille également à Timely (la future Marvel), une firme cliente de Jacquet située au McGraw-Hill Building sur la 42e rue. Joe y a produit « The Fiery Mask » pour Daring Mystery Adventures n°1 et entretient d’excellents rapports avec le patron de la société Martin Goodman.Fort de cette expérience professionnelle et d’une fausse lettre de recommandation de son ancien journal (écrite en fait par un de ses amis pigistes !), Simon obtient le poste chez Fox. Il touche $85 par semaine, plus $10 la planche. Il est directeur de publications, une tâche ingrate si l’on considère la qualité extrêmement relative des histoires que de jeunes artistes indépendants lui soumettent. Pour relever le niveau, il embauche les scénaristes Martin Burstein (un ancien du journal de Syracuse) et Ed Herron (tous deux payés à $5 l’histoire) et le jeune lettreur Alfred Harvey. Joe réalise quelques belles couvertures pour cacher la misère de ses sommaires. Il lui manque des dessinateurs confirmés. Et c’est alors qu’il rencontre Jack… Joe est impressionné par son talent et sa productivité. Il achète à Jack ses strips de SF refusés et les remonte pour en faire deux histoires (« Wing Turner » dans Mystery Men Comics et « Cosmic Carson » pour Science Comics en mai 40). Il confie également du travail d’encreur à Jack (« Space Smith », dessiné par Henry Fletcher, un ancien du studio Eisner & Iger, dans Fantastic Comics).
Malgré leurs différences de taille (Joe est beaucoup plus grand que Jack), d’aisance sociale (Joe a été à l’université) et leurs statuts professionnels (Joe est le patron de Jack), les deux hommes sympathisent et décident de travailler ensemble en indépendants. Selon Joe, c’est Jack qui l’aurait démarché en ce sens. Et, en mars 1940, Joe Simon quitte brusquement Fox pour monter son propre studio sur la 45e rue, tout proche de celui de son ancien employeur Funnies, Inc… Mais il ne parvient pas à convaincre Kirby d’abandonner son job à plein temps chez Fox et ses piges pour Lincoln News Syndicate… Jack subvient toujours aux besoins de sa famille et ne peut pas lâcher la proie pour l’ombre. Et, pendant les mois qui suivent, il ne retrouve son associé que les nuits et les week-ends, au cours de séances de travail intensives.
Démarre alors une collaboration formidable qui durera plus de quinze ans… Et que Jack décrira en ces termes : « On était comme des frères… Joe était un grand frère pour moi ».
Une technique de production est rapidement mise au point (quoi qu’assez souple) : Simon se charge des contacts et des contrats avec les éditeurs (tâche oh combien importante dans la vie d’un auteur, que Jack ne maîtrisera jamais), les deux hommes écrivent ensuite un script, Kirby le plus souvent en fait le découpage et les crayonnés, Simon se réservant la composition des Splash Pages, des couvertures et réalisant l’encrage (et parfois le lettrage).
Les deux hommes réalisent d’abord des couvertures de Champion Comics, Speed Comics pour Worth Publications, la société qu’Al Harvey, l’ex-lettreur de Fox, achète juste après, lorsqu’il devient lui-même éditeur(13) . L’une des premières bandes dessinées de Simon et Kirby, « Daring Disc », une histoire de cinq pages, est restée inédite jusqu’au début des années 2000.
Simon est très en retard sur « Blue Bolt », une série de SF à l’érotisme audacieux pour l’époque (avec sa Green Sorceress) qu’il a conçue quelques mois plus tôt pour Funnies Inc. et que Jacquet a vendu à Novelty Press pour un magazine au titre éponyme (sans que Joe ne touche un sou là-dessus). Simon et Kirby signeront ensemble une dizaine d’épisodes de cette série(14), employant au passage le lettreur Howard Ferguson et les jeunes encreurs Al Avison et Al Gabriele.
Fin de la première partie…
Jean DEPELLEY, avec la complicité de Daniel Tesmoingt, et celle de Gilles Ratier à la technique et à la mise en pages
(1) : Le grand-père paternel de Jack est arrivé avec sa famille aux USA en 1903, laissant derrière lui une vie fortunée en Galicie (une région du nord de l’Autriche, plus tard rattachée à L’Ukraine), pour éviter un duel. Sa mère, d’origine russe, est arrivée avec ses sœurs à l’âge de cinq ans à la fin du 19e siècle, avec la première vague d’immigrants.
(2) : « Street Code » est un récit autobiographique de dix pages, sorti originellement dans Argosy V3 #2 en novembre 1990 (Richard Kyle Publications) et réédité dans l’ouvrage collectif « Streetwise » (TwoMorrows, 2000).
(3) : Cette anecdote est révélée dans « The Art of Jack Kirby » de Ray Wyman & Catherine Hohlfeld (Blue Rose Press, 1992).
(4) : Une très bonne analyse des films probablement vus par Kirby est faite par Harry Morgan & Manuel Hirtz dans « Les Apocalypses de Jack Kirby » (Les Moutons électriques, 2009).
(5) : Morris Cohen devient pilote d’avions. Avant la guerre, il emmène Kirby survoler Manhattan dans un biplan, lui faisant effectuer moult loopings. L’expérience marquera Jack à vie et lui permettra de mieux visualiser le futur champ de bataille de ses super-héros.
(6) : « The Comic Strips – Jack Kirby » (Pure Imagination, 2006).
(7) « The Complete Jack Kirby » volume 1 (Pure Imagination, 1997).
(8) D’après mes recherches, il semblerait que Robert W. Farrell ait joué un rôle important de « coach » dans la carrière débutante de Jack Kirby. Cet ancien scénariste de comic strips pour Associated Features Syndicate et Associated Press Newsfeatures (sur les séries « Lone Rider », « Scorchy Smith » et « Yankee Girl ») amène certainement le jeune Kirby à assister Robbins sur « Scrochy Smith », après son éviction de « Lone Rider ». Lorsqu’à la fin des années 30, Farrell s’associe à Victor Fox pour monter une maison d’édition de comic books, Kirby se retrouve tout de suite engagé dans l’atelier…, et dessinera le comic strip du « Blue Beetle ». Farrell monte également avec Fox la société Comicscope, proposant des caméras et des versions diapositives des comics populaires de l’époque aux jeunes lecteurs. Il lâche Fox en 1944 pour monter Four-Star Publications, publiant notamment Captain Flight Comics. Après l’arrêt de sa firme, il revient au comic books en 1951, avec Lone Rider (26 numéros), le western sur lequel il a commencé sa carrière avec Kirby. En 1954, ses publications portent le sigle Ajax et publient des super-héros (Black Cobra). Il rachète ensuite les droits des personnages Fox (Blue Beetle, Samson, Phantom Lady, Wonder Boy…). Il cesse son activité en 1958. En 1966, Farrell s’associe à Myron Fuss pour monter Eerie Publications, publiant Horror Tales, Terror Tales, Weird, Tales from the Tomb…, des magazines copiant les succès de Warren (Creepy, Eerie et Vampirella).
(9): « Phantom Lady » est édité dans Golden Titans (Univers Comics).
(10) L’un des travaux les plus mémorables de Lou Fine chez Fox est « The Flame », édité en France dans Golden Titans n°1 (Univers Comics). « The Flame » inspirera le personnage de « Human Torch » de Carl Burgos (pour le Lloyd Jacket Sweat Shop) destiné à Marvel Comics #1 (Timely), paru 16 mois plus tard.
(11) : « The Blue Beetle » de Kirby a été édité en France, pour la première fois, dans le n°251 de Hurrah ! (en date du 24 mars 1940), sous le titre « Fantôme d’acier », et réédité récemment aux USA dans « The Complete Jack Kirby » volume 1 (Pure Imagination, 1997).
(12) : Le Harry « A » Chesler Studio, monté l’été 1936, fournit les premiers magazines de MLJ (notamment Pep Comics, publiant « The Shield », le premier super-héros patriote de Harry Shorten et Irv Novick) et de Centaur Comics…
(13) : Al Harvey devient éditeur en 1940 sous le label Worth Publications, grâce au financement d’Irving Manheimer de Publisher Distributing Corporation, un diffuseur qui s’enthousiasme pour son projet de sortir des Pocket Comics à moitié prix. Joe Simon réalise les couvertures des projets. Al Harvey propose ensuite à Joe de s’associer, mais il refuse. Harvey ouvre ses bureaux dans le même immeuble que Fawcett. Il abandonne après quatre numéros les Pocket Comics, facilement volés par les gamins dans les groceries (et donc impayés à l’éditeur par le diffuseur). Quelques mois plus tard, il sort des comic books au format classique. Il s’associe avec ses deux frères et publie Joe Palooka, Green Hornet... Harvey fera fortune dans les années 1950 en achetant les licences de personnages de dessins animés (Casper, the Friendly Ghost…) et éditera Simon et Kirby après-guerre.
(14) : Réédité dans « The Complete Jack Kirby » volume 2 (Pure imagination, 1997) et, plus récemment, en couleurs chez Verotik (1998).
Quelques petits commentaires sur l’article de Jean.
Victor Fox n’a jamais été comptable chez DC Comics. C’est une légende qui a été formellement démentie par Irvin Donenfeld dans une interview publié dans Alter Ego.
Le comic strip The Blue Beetle de Kirby a été publié en france pour la première fois dans Hurrah ! 251 en date du 24 mars 1940 (et non pas 1949).
Que d’énergie, de détermination et de maladresse dans ces premiers dessins!
Bravo à l’auteur de l’article pour sa documentation!
Merci pour ces commentaires !
Effectivement, il m’a fallu relire près d’une quinzaine d’ouvrages, compulser les 56 numéros du Jack Kirby Collector et fouiller dans mes archives…
Et certaines infos s’avèrent encore inexactes (voir plus haut) ! Donc, vos commentaires, vos objections et vos questions sont les bienvenues pour faire avancer ce travail…
Effectivement, Jean-Michel a raison…
Concernant Victor Fox, je suis parti d’une info donnée dans Tales to Astonish de Robin Ro (Bloomsbury, 2004, page 6) et répétée ailleurs, qui s’avère erronée. Désolé ! Fox n’a jamais été comptable chez National. Mais il y a néanmoins des liens assez étroits entre Fox et Harry Donenfeld, l’un des patrons de National (et père d’Irvin).
Après vérifications, et à la lecture des minutes du procès opposant National à Fox, on sait maintenant que Donenfeld était en partenariat avec Fox concernant sa maison d’édition Burns Publishing qui sortait des revues d’astrologie (notamment World Astrology). Pour diffuser ses revues, Fox utilisait également Independent News, la maison de distribution des propriétaires de National (Donenfeld & Liebowitz). Fin 1938, Fox vérifie les chiffres de vente de sa revue chez son distributeur et tombe sur ceux d’Action Comics # 1. Fox doit être assez impressionné puisqu’en février 1939, il rompt son contrat avec Independent News et sort en mai son Wonder Comics # 1, distribué par Kable News…
Concernant les parutions de Blue Beetle en France, Jean-Michel a raison. Mais les strips ont bien été compilés à la fin des années 40 en récit complet.
Merci de ces précisions, Jean-Michel !