Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...Spécial Western 3 : « Buffalo Runner » par Tiburce Oger
Récente pépite issue du riche catalogue proposé en ce début d’année par l’éditeur Rue de Sèvres, « Buffalo Runner » propose un récit aventureux nostalgique et torturé. En 1896, et alors qu’il vient d’assister au massacre d’une famille cheminant vers la Californie, le rude Ed Fisher raconte à l’unique survivante sa vie aventureuse de cow-boy. Il narre surtout l’épisode, essentiel dans la conquête de l’ouest, de l’extermination des bisons, qui affaiblit les tribus indiennes et permit le développement du commerce des peaux, des ranchs, et des lignes ferroviaires…
Après deux précédents articles consacrés à « Sans pardon » et à « Undertaker », clôturons cette sélection Spécial Western avec ce nouveau titre signé par Tiburce Oger, dont les planches et dessins font l’objet d’une récente exposition-vente organisée à Paris par la Galerie Napoléon. Marqué par de primes lectures des « Tuniques Bleues » et passionné par les chevaux, l’auteur aura précédemment investi le genre westernien avec les 3 albums de « La Piste des ombres », publiés par Vents d’Ouest de 2000 à 2002. Plus récemment, c’est l’aventure exploratoire américaine qui avait été mise à l’honneur au travers du scénario de « Canoë Bay » en 2009 (dessin de Patrick Prugne ; éd. Daniel Maghen). Outre l’adaptation en cours de la célèbre série d’heroic-fantasy jeunesse « Les Chevaliers d’émeraude » (4 titres déjà parus depuis 2011 chez Casterman ; scénario par la romancière Anne Robillard), Tiburce Oger aura donc trouvé l’énergie de revisiter la mythologie du Far West sous un angle finalement peu abordé jusqu’ici.
Comme en témoignent les deux visuels de couverture (l’un pour la version « classique », l’autre pour la version luxe, enrichie d’une fin inédite, de divers visuels et d’un entretien de 6 pages avec Thomas Hantson intitulé : « La Conquête de l’Ouest est une histoire de pauvre »), ce sont en effet autant les illustrations des anciens pulps que l’affichage publicitaire ou la peinture américaine qui auront inspiré ce récit. Les Western Fictions, d’abord, constituées d’un ensemble romanesque et illustré composé après 1850, à la suite des écrits de James Fenimore Cooper, capitaliseront en mettant en scène la vie intrépide d’authentiques figures : Davy Crockett puis Jesse James, Billy The Kid, Wyatt Earp et bien sûr Wild Bill Hickok (1837 – 1876) et Buffalo Bill (1846 – 1917), ces deux derniers étant à l’évidence conjugués pour le présent album – autant dans la silhouette que dans la veine héroïque – dans le personnage d’Ed Fisher. Le titre et la typographie « Buffalo Runner » nous renverra initialement aux affiches annonçant le Wild West Show (spectacle fondé en 1883… qui passera même par Angoulême en 1905, comme je l’ai découvert récemment !). Par effet de citation parallèle, il renverra aussi aux créations picturales éponymes de Charles Marion Russell (1864 – 1926), lequel aura rendu ce vieil Ouest définitivement légendaire, parallèlement au cinéma. Ce en quelques 2 000 tableaux magnifiant cow-boys, Indiens, paysages des grandes plaines et… chasses aux bisons !
« Buffalo Runner », livrée dès la couverture entre règlements de comptes au colt et décimation des grands bovidés, est une histoire sanglante, dont Tiburce Oger choisit de ne pas gommer la brutalité âpre, du reste souvent stérile. Rappelons par ailleurs que les bisons d’Amérique du Nord – sujet central du récit – étaient encore estimés à 60 millions avant l’arrivée des Européens en Amérique, vivant et migrant sur les plaines herbeuses d’Amérique du Nord, du Mexique au Canada. En raisin de campagnes de chasse intensive, impliquant des équipes bien organisées (un ou deux chasseurs professionnels, soutenus par une équipe de dépeceurs, d’hommes chargés de nettoyer les fusils ou remplir les étuis à munition, de cuisiniers, de palefreniers, de forgerons, de gardes pour la sécurité, de conducteurs de chariots, et de nombreux chevaux et véhicules !), il n’en restera plus que 800 vers 1890, avant que l’animal ne soit sauvé in extremis de l’extinction. Les peaux de bisons (vendues de 3 à 50 $, à une époque où un ouvrier gagnait au mieux un dollar par jour) furent utilisées pour fabriquer des courroies de machines industrielles, des vêtements et des tapis, ou exportées massivement à destination de l’Europe.
À l’évidence, de l’animal à l’homme, tous deux coureurs des pistes disparus derrière le rail et la modernité, le Far West était devenu à la fin du XIX une quête désespérée cherchant déjà à forger sa propre légende : sur cette autre « Piste des ombres » s’étiraient les silhouettes crépusculaires issues d’un genre à la fois moribond et éternel. Un spectacle aventureux, tragique et lyrique que les arts du spectacle et de l’image allaient savamment reconstruire au siècle suivant, en redessinant les grands espaces américains entre toiles et cases…
Philippe TOMBLAINE
« Buffalo Runner » par Tiburce Oger
Éditions Rue de Sèvres (17, 00 €) – ISBN : 978-2369810438
Version grand format à 25, 00 € (couverture alternative)
Alors ça c’est de l’article! Merci beaucoup. Amitié Tiburce