French Soap (première partie : les bandes anglo-saxonnes)

Aujourd’hui, pour notre rubrique « Le Coin du patrimoine », Henri Filippini nous présente, dans un premier temps, les principales aventures sentimentales anglo-saxonnes qui sont à l’origine de la déferlante du genre mélodramatique, la plupart du temps sous forme de strips, dans les pages BD des grands quotidiens français pendant les années cinquante et soixante…

Le soap opera (œuvre de savon) voit le jour dans les pages comics des quotidiens américains, dans les années 1930. Alors que d’invincibles policiers traquent la pègre, que d’audacieux aventuriers parcourent la planète, que d’autre s’envolent pour l’espace, des jeunes femmes à la vie sentimentale (mais aussi professionnelle) compliquée ou de séduisants célibataires, aux professions qui font rêver les lectrices, sont créés par les auteurs de strips.

Citons les plus célèbres bandes dessinées du genre qui seront traduites dans les magazines français :

-                    « Connie » par Frank Godwin en 1927 : l’héroïne est, à l’origine, une jeune blonde Américaine qui deviendra journaliste et évoluera dans le monde du cinéma. Sous des intitulés différents (« Cora », « Diane détective », « Liliane », « Rosy Patt »…), la belle Connie est surtout présente en France ou en Belgique dans Le Journal de Mickey (voir 80 bougies pour Le Journal de Mickey [première partie]), puis dans Robinson et Hop Là ! réunis, L’Aventureux, Jeudi… Outre dans des suppléments aux revues Phénix ou RanTanPlan ou dans un numéro de Rétrospective BD (le n° 17 de 1979 avec les tout premiers épisodes), on la retrouve plus tard dans un album de la collection Copyright des éditions Futuropolis, en 1981.

-                    « Apple Mary » lancé en 1934 par Martha Orr, avec Mary Worth, une quinquagénaire victime de la dépression des années vingt, d’après le film de Frank Capra « Lady for a Day ». Cette série célèbre aux USA est pratiquement inédite en France.

-                     « Brenda Starr, Reporter », avec Brenda Frazier, une jolie journaliste rousse campée en 1940 par Dale Messick. Encore un strip, dont la traduction française est inexistante…

-                     « Rex Morgan, M.D. » : Rex Morgan est un médecin généraliste quadragénaire, né en 1948 de l’imagination du psychiatre Nicholas Peter Dallis — qui signait ici Dal Curtis — pour Marvin Bradley et Frank Edgington. En France, quelques épisodes sont publiés dans Fantax magazine (en 1949) et dans Kiki Sprint (de 1958 à 1959).

-                     « Judge Parker » : le juge Parker est un élégant quinquagénaire aux nombreuses aventures sentimentales créées également par Nicholas P. Dallis — dont le nom de plume est ici Paul Nichols — en 1952, pour Dan Heilman. Pas de trace explicite d’une traduction française pour cette série.

-                     « Judd Saxon » : cette série est scénarisée par Jerry Brondfield – même si Elliot Caplin, l’un des frères d’Al Capp, le créateur de « Li’l Abner », assure aussi l’écriture de quelques épisodes — et dessinée par Ken Bald dès 1957, ce jeune cadre amoureux de sa secrétaire, devenu chez nous « Gerald Norton » dans France-Soir à la fin des années 1950, puis un pocket mensuel d’Edi-Europe à partir de 1964.

-                    « On Stage » : strip proposé en 1957 par Leonard Starr et dont la naïve héroïne s’appelle Mary Perkins. En France, cette jeune et jolie provinciale qui devient une étoile du théâtre, du cinéma et de la télévision est rebaptisée « Adorable Marie » le temps de quelques prestations dans Paris-Jour et Modes de Paris.

-                    « Apartment 3-G » : encore une création du docteur Nicholas P. Dallis (avec l’aide d’Harold Anderson), dessinée ici par Alex Kotzky, dès 1961. En France, ce strip qui met en scène un sympathique trio de jeunes filles partageant le même appartement, serait apparu furtivement dans les fascicules d’Edi-Europ à la fin des années 1960, ainsi que dans J’aime, un magazine féminin publié en 1972.

-                    « Dr. Kildare » : créé à l’origine pour une série télévisée américaine, le héros, qui est un séduisant médecin, est adapté en BD en 1962 par le scénariste Elliot Caplin et le dessinateur Ken Bald. En France, la série a été publiée à la fin des années 1960 dans France-Soir et Confidences.

-                    « Ben Casey », encore un jeune médecin séduisant travaillant dans un hôpital, inspiré d’un feuilleton télévisé et créé également en 1962, mais par Jerry Caplin (un autre frère d’Al Capp) et Neal Adams. En France, on retrouve aussi la version strip de cette série dans le quotidien France-Soir et dans le magazine féminin Confidences, en 1969 et 1970.

Terminons cette longue évocation non exhaustive des bandes américaines avec le modèle du genre apparu aux États-Unis en 1953 : « The Hearth of Juliet Jones » de Stan Drake (dessins) et d’Elliot Caplin (scénarios), dont les strips sont publiés en France, dès l’année suivante, sous le titre « Juliette de mon cœur ».

Juliette Jones est une jeune trentenaire sacrifiant sa vie amoureuse à son vieux père à la santé fragile et veuf depuis peu, ainsi qu’à sa jeune sœur, Ève, à la vie sentimentale mouvementée.

Les premiers strips de ce soap opera américain, qui fit les beaux jours de France-Soir, France-Dimanche et autres Ici-Paris, ont été compilés dans deux beaux volumes de la collection Copyright des éditions Futuropolis, en 1984.

Il faudrait aussi ajouter à cette liste quelques belles Anglaises :

-                    « Jane » créée par Norman Pett en 1932.

Les amusantes mésaventures de cette séduisante personne qui n’a de cesse de dévoiler ses dessous affriolants sont publiées en Belgique dès la fin des années 1940.

Mais en France, ce sera seulement de manière éphémère, dans les quotidiens Paris-Journal et Paris-Jour ou dans Charlie mensuel (en 1973).

-                    « Carol Day » de David Wright en 1956. Les intrigues sentimentales de ce mannequin d’une maison de haute couture londonienne sont publiées en France dans le quotidien L’Aurore, puis dans Le Parisien libéré, de 1959 à 1970.

« I’m Patti ».

-                    « I’m Patti » de Rab Hamilton en 1959.

En France, on ne trouve guère que la traduction d’un seul épisode de ce strip créé pour le Daily Mirror, publiée dans la revue Pogo (Poco), au n° 11 de 1970.

-                    « Lindy » d’Ernest Ratcliff en 1959.

En revanche,  on retrouve régulièrement les aventures de cette jeune fille de bonne famille, qui s’occupe notamment d’un club pour jeunes, dans le quotidien français Paris-Jour, de 1962 à 1967.

-                    « Tiffany Jones » de la scénariste Jenny Butterworth et de la dessinatrice Pat Tourret en 1964 (traduite en France dans Paris-Jour, entre 1965 et 1969, puis dans le n° 11 de Rétrospective BD, en 1978)…

La plupart de ces strips sont alors traduits et distribués en France par l’agence Opera Mundi que dirige Paul Winkler. Devant leur succès, en homme d’affaires avisé, le créateur du Journal de Mickey se dit qu’en produisant des séries françaises, il n’aurait pas à céder une part des bénéfices juteux au « syndicat » américain.

C’est ainsi qu’Opera Mundi, distributeur de matériel américain à destination de la presse francophone, devient à son tour concepteur et distributeur de ses propres produits.

Constatant le succès que connaît « Juliette de mon cÅ“ur », dont les histoires sirupeuses sont publiées dans France-Soir, Paul Winkler décide alors de mettre en bonne place les soap opera dans son catalogue…

À suivre…

Henri FILIPPINI

mise en pages et diverses vérifications : Gilles Ratier

Galerie

10 réponses à French Soap (première partie : les bandes anglo-saxonnes)

  1. Mariano dit :

    Ouaip. Quoiqu’on en pense, cela fait partie intégrante de l’Histoire de la Bande Dessinée. Comme signalé dans l’article, Futuropolis a eu une part plus qu’importante dans la (re)connaissance de ces strips, séries et auteurs. les dessins sont remarquables. Sans oublier France Soir qui a été aussi un remarquable support pour la Bande Dessinée populaire.
    Même si ce n’est pas (encore ? ) le sujet mais dans le même genre, il est bon de rappeler les excellentes aventures de 13 rue de l’Espoir de Gillon et des Gall’s brothers.chez Humanos, compilation des strips dans… France Soir.
    :o )

    • Gilles Ratier dit :

      ça sera pour la semaine prochaine, mon cher Mariano (dans la 2ème partie de ce dossier), c’est d’ailleurs annoncé dans le titre et à la fin du texte d’Henri Filippini…
      Bien cordialement
      Gilles

  2. Mariano dit :

    ça le sous-entend et je ne doute pas que cette série aura une place privilégiée par la suite.
    ;o)

    • Gilles Ratier dit :

      Oui, c’est vrai, ça le sous-entend est plus juste. Mais rassurez-vous, je suis en train de travailler sur l’iconographie de cet article (donc uniquement sur les BD sentimentales françaises de cette époque) et ça promet d’être très intéressant également.
      Bien cordialement
      Gilles Ratier

  3. Mariano dit :

    D’autant que de grands dessinateurs en ont produit quelques uns comme par exemple des Marcello ou Fusco dans les Pierrot et autres périodiques du genre. Frimousse était pas mal dans le genre aussi.
    :o )

    • Gilles Ratier dit :

      Oui, mais dans cet article à venir, Henri Filippini s’est contenté de lister les strips francophones sentimentaux et quotidiens dans la grande presse. Ceux que tu cites, ça sera peut-être pour une autre fois…
      Bien cordialement
      Gilles Ratier

  4. Xof91 dit :

    Bonjour,

    Concernant la série Jane, version Hubbard, traduite en France dans Paris Journal puis Paris-Jour (vers 1959-1960), je suis l’heureux acquéreur d’une série unique – découpée, collée et reliée consciencieusement en 6 albums – des 836 premiers ( ou seuls?) strips, en VF.

    Je dispose actuellement d’albums d’épisodes intitulés « Chocolat et cigarettes », « Cyclope

    Cordialement.

    ———————————————————————————————————————
    Cette héroïne très sexy (le but des scénarios semble être de la mettre en position de se déshabiller !) est née en 1932 sous forme de dessin d’humour et en 1938 en tant que BD quotidienne, pour le Daily Mirror. Le dessinateur est Norman Pett jusqu’en 1948 (cette version est publiée dans L’Etoile du Soir en 1946).

    Mike Hubbard, son assistant, la alors reprend avec brio, jusqu’en 1959. Plus tard, il y aura une reprise se terminant en 1963, par le hollandais Alfred Mazure (voir aussi Modesty Blaise).

    La version Hubbard est traduite en France dans Paris Journal puis Paris-Jour (vers 1959-1960), Nord-Matin (vers 1958-1960), puis plus tard dans Charlie Mensuel n°55, 93, 100, 101 (1973 à 1977).

  5. Christophe SONET dit :

    Suite,

    ai aussi, bande anglaise policière en VF, 3 épisodes – découpés, collés et reliés consciencieusement en livrets – de Buck Ryan ( merci à l’encyclo Pressibus 95 !! quelle somme !!) : la peur qui tue, Cyclope guide spirite, chocolat et cigarettes.

    Je frissonne de les tenir en main! les trouver en aussi bon état de conservation 60 ans après, c’est incroyable.

  6. Prokov dit :

    Au sujet de Gérald Norton/Judd Saxon, pourriez-vous vérifier votre information disant que Jerry Brondfield est un pseudo d’Elliot Caplin. Voici un texte US :
    Jerry Brondfield (1914–98) was a radio broadcaster, journalist, sports reporter, and documentary filmmaker. His books include Woody Hayes and the 100-Yard War and Great Moments in American Sports.
    Par ailleurs, les dates d’Elliot Caplin sont 25.12.1913/20.02.2000. Ce dernier aurait juste participé aux scénarios de JB, idem pour Ben Casey, autre série de l’époque.

    • Gilles Ratier dit :

      Bonjour Prokov !
      Manifestement, Henri Filippini n’avait pas écrit que Jerry Brondfield était un pseudo d’Elliot Caplin (ce sont bien deux personnes différentes), mais je vous accorde que sa tournure de phrase pouvait, en effet, vous amener à cette conclusion. Je me suis donc permis de réaménager ses propos, en essayant de ne pas les trahir. J’espère que cela est plus clair pour tout le monde.
      En tout cas, merci pour votre contribution à rendre notre prose plus claire !
      Bien cordialement
      Gilles Ratier

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