« Ça ne coûte rien » par Sylvain Saulne

À Shanghai, en 2008, comme à Pékin, on prépare intensément les jeux Olympiques, la Chine s’offrant à grands frais des architectures futuristes et rasant de près sa barbe de vieux quartiers. C’est dans ce contexte que débarque Pierre, un jeune Français venu découvrir le pays pendant trois mois?

Avec quelques économies et dans l’attente d’un héritage, il s’installe du côté de la jeunesse dorée, goûtant sans compter la vie oisive et distrayante de l’expatrié, restaurants et jeunes femmes faciles, entre boîtes de nuit et drogue. Mais toute médaille à son revers, ce dont se rend compte le jeune homme d’autant qu’une contrainte imprévue s’impose : ses économies s’amenuisent et l’héritage se fait cruellement attendre.

Alors Pierre décide de réduire les frais et même de s’adapter au niveau de vie de la population locale. Shanghai révèle alors sa vraie nature : la ville de rêve (pour le capitaliste européen !) exhibe ses quartiers délabrés, ses pauvres, bref ses limites, ses fêlures. C’est l’électrochoc. Pierre décide d’attendre son héritage en n’empruntant pas à ses amis argentés. Il va vivre chichement comme les Chinois, très chichement, limitant toutes ses dépenses, comptant comme il n’a jamais compté, évaluant tout en équivalent repas, pensant avec son estomac ! Il s’enfonce seul et déterminé dans une vie d’ermite responsable qui l’isole, l’affaiblit tandis qu’il côtoie la vraie Chine, celle des humbles et des laissés pour compte du « régime » (sans jeu de mots, ici ? Voire). Du coup, ce voyage au pays de la surconsommation sportive (les JO !) disparaît très vite pour un voyage introspectif, une réflexion sur les vraies valeurs.

Sylvain Saulne réussit là un album qui tient d’abord du récit de voyage touristique (très critique vis-à-vis de ses compatriotes) pour devenir récit autobiographique intelligent. Alors que son trait évolue, s’affirme et s’affermit au fil des pages, il joue habilement des couleurs, disparaissant peu à peu, la nourriture seule restant colorée. De l’abondance friquée à l’ascétisme volontaire, le héros sert un récit atypique et sincère, d’autant plus maîtrisé et documenté que l’auteur vit et travaille à Shanghai. Dans un précédent titre, « Mes affinités sélectives« , beaucoup moins convaincant à tous points de vue, album qui se passait déjà en Chine, dans une Shanghai futuriste, il abordait en postface les raisons de son séjour asiatique et constatait déjà, en 2008, que cela n’avait pas grand intérêt d’aller « faire son riche » là-bas. C’est devenu tout le sujet de  » Ça ne coûte rien « . Et c’est un sans-faute ! Notons que Saulne était apparu fort logiquement dans l’album collectif  » Chine : regards croisés  » (cf. notice L@BD)
(Casterman, 2009). Pour être complet indiquons enfin que son premier album,  » Effleurés  » (cf. notice L@BD) (Dargaud, 2008), il l’a signé sous le nom de Sylvain Limousi avec Isabelle Bauthian.

Bon voyage !

Didier QUELLA-GUYOT (L@BD et blog)

 » Ça ne coûte rien  » par Sylvain Saulne
Éditions KSTR (16 €)

Galerie

2 réponses à « Ça ne coûte rien » par Sylvain Saulne

  1. Palmier dit :

    Sylvain Limousi a aussi dessiné Le Prétexte. C’est une bd avec une réflexion sur le voyage aussi, encore mieux qu’Effleurés. Il y a une partie en Chine, mais aussi New York, Istanbul…
    Je lirai « Ca ne coute rien ». Ca a l’air intéressant.

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