« Les Sauvages » par Lucie Lomova

Les « sauvages », autrement dit les populations dites non « civilisées », sont au c?ur du récit de Lucie Lomova consacré à une histoire vraie, celle de l’amitié entre Alberto Vojtech Fric, botaniste et ethnographe praguois, et Tcherwuish, un Indien de la tribu Chamacoco, rencontré en 1908 sur les rives du fleuve Paraguay. Fric découvre alors une tribu décimée par un mal inconnu et décide de tout faire pour la sauver?

Il retourne à Asuncion puis à Buenos Aires en amenant Tcherwuish, mais nulle part les médecins ne peuvent le soigner. Il emmène alors l’Indien chez lui, à Prague, voyage en soi semé d’embûches. Sur place, l’ami sauvage finit par guérir, mais, surtout, il fait sensation par son extravagance et son ignorance des usages sociaux. Fric multiplie les conférences en sa présence, affrontant les sarcasmes et les situations loufoques créées par son impulsif compagnon.

Plus tard, ils retourneront ensemble au Paraguay. De retour dans ses terres, Cherwuish se fait à son tour conférencier, mais personne ne croit aux récits qu’il fait de son séjour européen, et sa tribu le chasse. Les deux hommes sont devenus inadaptés dans leurs sociétés et dans leurs cultures respectives ! Jaroslav Ha?ek, l’auteur du célèbre « Brave Soldat Chvéïk« , s’est inspiré d’eux pour l’écriture de la nouvelle « L’Indien et la police praguoise ». Ce n’était pas le premier voyage de Fric dans cette région d’Amérique du Sud. Lors d’un précédent séjour, il y épouse même une Indienne dont il aura une enfant, qu’il ne reverra jamais. La postface de six pages qui, photos à l’appui, rend compte de l’existence de ces deux êtres que tout opposait et que tout a rapproché, éclaire parfaitement cette ascendance qui a donné lieu à des retrouvailles étonnantes.

Il reste de cette histoire beaucoup de leçons à tirer, tant sociales que philosophiques, ce qu’à l’évidence Lucie Lomova, elle-même praguoise, tenait à faire partager. Les enjeux scénaristiques sont ainsi finalement assez forts pour faire oublier la sobriété classique de son graphisme. On ne peut, par exemple, à la lecture de ces « Sauvages » s’empêcher de penser aux récits de ce qu’il est convenu d’appeler les « zoos humains ». Au 19ème et au début du XXème siècles, certains voyageurs et scientifiques ont ramené des antipodes des indigènes pour les exposer aux bons bourgeois sédentaires des grandes villes. La BD en a d’ailleurs aussi rendu compte au travers de quelques albums. À propos de la Nouvelle-Calédonie, on peut lire la série en trois tomes intitulée « Kia Ora » (cf. notice L@BD) ou « Cannibale » (cf. notice L@BD), adapté du récit éponyme de Didier Daeninckx. Ce qui arrive à l’Indien, c’est aussi l’histoire d’un jeune Esquimau déraciné, puis exhibé avec sa famille aux États-Unis, qu’on retrouve dans deux titres : « Minik » (cf. notice L@BD) et
« Groenland Manhattan » (cf. notice L@BD).

Voyages dans le temps, voyages dans l’espace, voyages dans l’histoire des mentalités… Bons voyages !

Didier QUELLA-GUYOT (L@BD et blog)

« Les Sauvages » par Lucie Lomova
Éditions Actes Sud / L’An 2 (24 €)

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